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A priori, les contrats industriels de la filière spatiale (contrats de construction, de lancement et d’exploitation de satellites) sont muets quant aux clauses relatives au développement durable et à la viabilité des activités spatiales. Ils comportent en effet de nombreuses clauses relatives à l’attribution et à la gestion des risques, qui sont d’ailleurs le cœur de ces contrats le plus souvent internationaux, mais la notion de protection de l’environnement spatial y est rarement abordée.

Toutefois, il ne faut pas s’arrêter à cette première impression de mise à l’écart de la protection de l’environnement spatial. En effet, ces préoccupations liées à la viabilité à long terme des activités spatiales sont en réalité très présentes au stade contractuel, mais plutôt en amont des contrats commerciaux, de construction, de lancement et d’exploitation, grâce à la mise en place d’un certain nombre de normes en matière environnementale, et à leur mise en œuvre dans les contrats de sous-traitance notamment. Le secteur spatial est très exigeant en termes de qualité des matériaux, afin d’assurer la sécurité et la fiabilité. Tous les fabricants d’équipements, de sous-systèmes, tous les sous-traitants des grands donneurs d’ordre doivent ainsi démontrer la qualité et la performance des pièces et équipements produits, vérifier la conformité de ces pièces et équipements, identifier l’origine d’éventuelles défaillances et proposer des solutions adaptées, s’assurer de la fiabilité et la pérennité des équipements en service.

304 « Large Space Object Population near the International Space Station », Orbital Debris Quarterly News, vol. 18, n° 1, January 2014, pp. 1-2 : pendant 15 ans d’exploitation, il a fallu mener 16 manœuvres afin d’éviter les collisions. La population de débris entourant la SSI, susceptibles de provoquer des dommages s’élève à plus de 800.

305 S. Mosteshar, « Space Situational Awareness : Need, Solutions and some Consequences », ZLW, 2013, n° 4, pp. 719-727.

306 [ http://www.esa.int/Our_Activities/Operations/Space_Situational_Awareness ].

Ces préoccupations environnementales sont prises en considération dans un certain nombre de documents tels que ceux émis par les institutions nationales et internationales du secteur spatial, au premier rang desquelles on peut citer le CNES et l’Agence spatiale européenne dans leurs relations avec l’industrie spatiale.

Ainsi, dans un document consacré au développement durable (Sustainable Development, 2009-2010 Report), l’ESA insiste sur les contraintes réglementaires et sur le respect, par exemple, du Règlement sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction de substances chimiques (REACH) parfois utilisées pour la fabrication des satellites, ou emportées à bord des satellites.

L’accent est également mis sur le respect de la directive relative à la limitation de l’utilisation de certaines substances dangereuses (RoHS) et sur l’importance de la protection de l’environnement sur les sites de lancement, par exemple, sur le site du Centre spatial guyanais (CSG), classé Seveso 2 pour le niveau de risque. La norme ISO 14001 est appliquée sur le site du CSG : cette application fait l’objet d’une clause particulière dans les contrats passés par le CNES/CSG avec les industriels de la base de lancement. L’Agence spatiale européenne a également émis le souhait d’adopter peu à peu une politique d’achats responsables (responsible purchasing policy) en intégrant dans les cahiers des charges (statement of work) des clauses prenant en compte la dimension environnementale et/ou sociale.

Concernant le CNES, le Cahier des clauses administratives particulières des marchés prévoit, dans son article XVII (Management pour la maîtrise environnementale des activités déléguées), que :

« Le titulaire prend toutes les mesures utiles lui permettant de maîtriser les éléments susceptibles de porter atteinte à l’environnement et à garantir la sécurité et la santé des personnes ainsi que la préservation du voisinage.

Outre les dispositions et exigences légales réglementaires visées à l’article 7 du CCAG applicable au marché, le CNES demande au titulaire de prendre les mesures de préservation de l’environnement figurant dans le contrat. Le titulaire s’engage à en respecter les termes.

Sur demande expresse du CNES le titulaire doit être en mesure, en cours d’exécution du marché et pendant toute la période de garantie des prestations livrées et/ou effectuées, d’apporter la preuve que ces prestations satisfont aux exigences environnementales fixées dans le marché (…) ».

Concernant le travail réalisé au sol, un grand nombre de textes imposent le respect de normes qui, pour certaines, sont liées à la viabilité à long terme des activités spatiales. Ces normes sont européennes (EN 9100 : norme européenne en matière d’assurance-qualité dans le secteur aéronautique et spatial) ou internationales (ISO 9001:2008 – système de management de la qualité – ; ISO 24113:2011 – Systèmes spatiaux – Exigences de mitigation des débris spatiaux ; ISO 27875:2010 – Systèmes spatiaux – Gestion du risque de la rentrée pour les étapes orbitales des véhicules spatiaux non habités et des lanceurs spatiaux ; ISO 16158:2013 : Systèmes spatiaux – Evitement des collisions avec les objets en orbite ; ISO 16290:2013 : Systèmes spatiaux – Définition des niveaux de maturité de la technologie (NMT) et de leurs critères d’évaluation).

Les normes ISO concernent les systèmes spatiaux, leur développement et leur mise en œuvre et les systèmes de transfert des informations et données spatiales (sous-comité 14). Elles couvrent le cycle de vie complet d’un projet spatial c’est-à-dire la conception, les essais, la mise en œuvre, le lancement, l’exploitation, le démantèlement, et les aspects liés à l’interopérabilité satellite/système-sol. Cette certification va permettre à certaines entreprises de réaliser des sous-systèmes du système spatial,

faisant de ces dernières des partenaires du donneur d’ordres, partenaires devant respecter les finalités de protection de l’environnement. Elle joue un rôle essentiel pour le management des risques.

Certains organismes ont d’ailleurs pour objectif d’harmoniser la spécification des produits, le développement, l’évaluation, la qualification et la fourniture de composants spatiaux électriques, électroniques, électromécaniques : tel est le cas de l’European Space Components Coordination de l’ESA, qui a élaboré une Charte de coordination des composants spatiaux européens308. Le CNES a également établi un référentiel normatif, afin d’établir les spécifications des projets dont le CNES assure la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’œuvre. Ce référentiel permet une meilleure maîtrise des risques, la préparation des contrats, la diffusion des meilleures pratiques et la prise en compte des principes de sécurité et de sauvegarde.

Ainsi, les exigences en termes d’assurance-qualité vont par exemple entraîner l’interdiction de l’usage de certains matériaux comme le mercure, les substances radioactives, le zinc et le cadmium. Tout produit non conforme pourra faire l’objet d’un rapport d’incident et éventuellement d’un avis de rejet. Tout changement dans la conception, la fabrication, la formulation par rapport aux propriétés, l’assemblage, l’emballage… doit être signalé. Les notions de propreté, de traçabilité et d’alerte sont également essentielles. On prévoit ainsi parfois que « [l]es risques de pollution chimique ou du fait de particules provenant de pièces, des matériaux ou des procédés utilisés doivent être identifiés et réduits en fonction des exigences d’approvisionnement, le cas échéant ».

Dans les contrats d’assurances, une clause intitulée Certification est parfois stipulée. Selon elle : « Prior to Attachment of Risk, the Insured shall certify in writing to Insurers that:

the Spacecraft, Launch Vehicle and all associated equipment used have passed all qualification and acceptance tests, including flight readiness review, and fully meet the requirements of the Contract or a written waiver has been issued and a summary of such waiver has been provided to Insurers;

(…)

any anomaly(ies)/failure(s) or deviation(s) in performance identified or reported have been fully investigated by the Insured and/or Launch Vehicle Sub-Contractor in accordance with the applicable quality procedures (…) »309.

De même, des efforts sont entrepris pour que l’objet soit construit afin de générer le moins de fragments possible pendant sa rentrée. Tel est le cas des lanceurs. Le contrat peut permettre le développement des études d’impact sur l’environnement et de manière générale le développement de l’éco-conception. La protection de l’environnement prend parfois la forme de clauses des contrats, imposées par le client, prévoyant le respect par le fabricant de satellites des lois nationales sur l’environnement s’imposant à leurs clients : réduction des gaz à effet de serre, recyclage, etc.

Les contrats d’exploitation de satellites prévoient, quant à eux, des clauses dites de Retirement of Satellite. On peut en outre lire, dans certains contrats, que « Safety, reliability and Quality assurance includes the integration of all Safety and Mission Assurance Activities (safety, reliability, maintainability, and quality) into mission operations to ensure the mitigation of risk », et que « The contractor shall protect the environment by ensuring that all work performed and equipment used on-site (…) to fulfill the requirements of this contract are in compliance with all Federal, State, and Local regulations and public laws, and the following NASA JSC directives (…). The Contractor shall provide data on affirmative

308 [ https://spacecomponents.org/specification/docprocedures ].

309 C. Wells, « Les spécificités des contrats d’assurances d’objets spatiaux », in Gestion et partage des risques dans les projets spatiaux, sous la dir. de L. Ravillon, Paris, Pedone, 2008, p. 64.

procurement, waste reduction activity, energy efficient product procurement, and ozone depleting substances (…) ».

Sur tous ces points, les industriels ont accès à un Guide de bonnes pratiques de construction et de suivi des opérations (donc de l’exploitation), qui n’est pas public.

Certains contrats ont également pour objet même la protection de l’environnement spatial : on peut ainsi mentionner les Space Debris Tracking Contracts310.

CONCLUSION

C’est au stade de la conception des engins spatiaux, de la sécurité par la conception, que la durabilité des activités spatiales est surtout envisagée contractuellement. On vise alors plus l’environnement des activités spatiales au sol. Concernant l’environnement orbital, sa mention fait son apparition, dans les terms and conditions de certains fabricants de satellites, ou dans certaines annexes techniques, qui font référence à l’obligation pour le fabricant de se conformer aux règles élaborées par l’Inter-Agency Debris Coordination Committee. Le respect des bonnes pratiques élaborées par l’IADC est donc stipulé dans les contrats, faute de texte international traitant directement ou indirectement des débris spatiaux et de l’environnement spatial.

L’environnement spatial est hostile et dangereux. L’homme qui veut y développer des activités doit dans le même temps s’en protéger et le protéger.