• Aucun résultat trouvé

LA DEFINITION DE L’ENVIRONNEMENT EN DROIT DE L’UNION EUROPEENNE

B. Des conséquences potentielles pour l’application du principe d’intégration en droit de l’Union européenne

L’article 11 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne énonce que « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l'Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». Un principe dit

256 L. Krämer, ibid., p. 3.

257 L. Krämer, ibid., pp. 3-4.

d’intégration est ainsi clairement énoncé. La Cour de justice a par ailleurs eu l’occasion d’affirmer que la protection de l’environnement est un objectif « transversal et fondamental »259. En application de ce principe, le droit économique de l’Union européenne est appelé, sous diverses formes, à prendre en compte la protection de l’environnement. Dès lors, la notion d’environnement est susceptible d’être sollicitée au stade de l’application des règles du droit économique.

En premier lieu, l’article 67, paragraphe 2, de la directive du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics prévoit la possibilité de tenir compte des critères dits « environnementaux » afin de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse260. La question de savoir si tel ou tel critère constitue un critère ayant un objectif environnemental est ainsi susceptible de se poser. Par exemple, dans une décision du 17 septembre 2002, sous l’empire des anciennes directives relatives aux marchés publics, la Cour de justice a eu l’occasion de juger que des « critères ayant trait au niveau des émissions d'oxyde azotique et au niveau sonore des autobus » sont des critères environnementaux261.

En second lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoient, en application du principe de libre circulation des marchandises, l’interdiction des restrictions quantitatives. Sont ainsi prohibées les mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives (MEERC), lesquelles sont définies par la Cour comme « toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intra-communautaire »262.

Néanmoins, cette interdiction est accompagnée de plusieurs dérogations. Les unes sont prévues à l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne263. Les autres résultent de la jurisprudence de la Cour de justice, laquelle a considéré, dès 1979, que des exigences impératives d’intérêt général pouvaient justifier certaines MEERC264. Or, c’est de façon tout à fait prétorienne que la Cour fait figurer, parmi ces exigences, la protection de l’environnement, notamment depuis la célèbre décision de 1985 Association de défense des brûleurs d'huiles usagées265. Louis Dubouis et Claude Blumann considèrent à cet égard que l’environnement constitue « la plus emblématique des exigences impératives d’intérêt général »266, notamment parce qu’elle était absente du droit primaire.

Il résulte de cette situation que la Cour est amenée, au fil de sa jurisprudence, à examiner si telle ou telle mesure poursuit un objectif de protection de l’environnement. Pour autant, comme en matière de marchés publics, la Cour n’a pas défini ce qu’il fallait entendre par environnement. La démarche est purement casuistique.

259 CJCE, 15 novembre 2005, Commission c. Autriche, C-320/05.

260 Ainsi, « L’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur est déterminée sur la base du prix ou du coût, selon une approche fondée sur le rapport coût/efficacité, telle que le coût du cycle de vie, conformément à l’article 68, et peut tenir compte du meilleur rapport qualité/prix, qui est évalué sur la base de critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux et/ou sociaux liés à l’objet du marché public concerné » (article 67.2 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics). La même disposition est prévue à l’article 82, paragraphe 2, de la directive 2014/25/UE du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.

261 CJCE, 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland Oy Ab, C-513/99.

262 CJCE, 11 juillet 1974, Dassonville, aff. 8/74, rec., p. 837.

263 Article 36 TFUE : « Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ».

264 Affaire des Cassis de Dijon : CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral, aff. 120/78, rec., p. 649.

265 V. CJCE, 7 février 1985, Procureur de la République c. Association de défense des brûleurs d'huiles usagées, aff. 240/83, rec., p. 531 ; CJCE,

14 décembre 2004, Commission c. Allemagne, C-463/01 et Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz, C-309/02 ; CJCE, 15 novembre 2005,

Commission c. Autriche, C-320/03, rec. I-9871 ; CJUE, 15 avril 2010, Lars Sandström, C-433/05.

C’est ainsi que des règles européennes sur les déchets267, l’interdiction pour les poids lourds de circuler sur un tronçon d’autoroute268, un système de consignation et de reprise individuelle d’emballages269, l’interdiction de l’utilisation de véhicules nautiques à moteur, en dehors des couloirs désignés270 ou encore une mesure de limitation des émissions sonores des aéronefs271, ont été considérés comme relevant de la protection de l’environnement.

Par conséquent, contrairement à ce qui a lieu en droit de l’environnement, une définition de la notion d’environnement, et donc aussi son absence, est susceptible d’avoir des conséquences juridiques en droit économique de l’Union européenne. Faute de définition, c’est le juge qui décide, au cas par cas, si tel ou tel élément relève de la notion d’environnement.

En guise de conclusion, cette situation interroge justement la place de l’interprétation du juge relativement à la définition de la notion d’environnement. L’absence, ou au contraire, la présence d’une définition textuelle relève de perspectives différentes. L’absence de définition peut d’abord « provenir d’une volonté délibérée de laisser aux destinataires des textes et autorités qui les mettront en œuvre une marge d’appréciation en fonction des contextes nationaux ou locaux d’application »272. Comme l’explique Charles Eisenmann, en l’absence de définition dans les textes, « c’est le juge qui (…) fixe lui-même le contenu de la règle qu’il va appliquer : c’est lui qui pose et applique les définitions, c’est lui qui confère aux mots leur sens, aux concepts leur définition »273. Au contraire, la présence de définitions dans les textes a une finalité prescriptive274, il s’agit de « déterminer comment les mots doivent être compris et utilisés »275. L’objectif de telles définitions est également de réduire le pouvoir d’interprétation du juge. Ainsi, selon les cas, le pouvoir de décision se déplace du « pouvoir législatif » au « pouvoir judiciaire ». Cela a évidemment d’importantes conséquences démocratiques, notamment en termes de séparation des pouvoirs. Alors que la fonction du juge est exclusivement de trancher le litige qui lui est soumis, celui-ci peut se trouver en position de définir des notions qui peuvent avoir d’importantes conséquences juridiques.

Par conséquent, sur un plan strictement démocratique, il est possible de déplorer que le « législateur » européen n’ait pas pris le soin de définir la notion d’environnement, tout comme l’on peut, dans un autre sens, se réjouir que le juge n’ait pas procédé à une telle définition.

267 CJCE, 7 février 1985, Procureur de la République c. Association de défense des brûleurs d'huiles usagées, aff. 240/83, rec., p. 531.

268 CJCE, 15 novembre 2005, Commission c. Autriche, C-320/03, rec. I-9871 : « En l'espèce, il est constant que le règlement litigieux a été adopté dans le but de garantir la qualité de l'air ambiant dans la zone concernée et est donc justifié par des motifs liés à la protection de l'environnement » (§ 71).

269 CJCE, 14 décembre 2004, Commission c. Allemagne, C-463/01 et Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz, C-309/02.

270 CJUE, 15 avril 2010, Lars Sandström, C-433/05.

271 CJCE, 14 juillet 1998, Aher-Waggon, C‑389/96, Rec. p. I‑4473.

272 V. Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, op. cit., p. 311.

273 C. Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », Archives de philosophie du

droit, Sirey, 1966, p. 27.

274 Selon G. Cornu, « en elle-même, la définition légale est une règle de droit ; elle constitue une norme juridique, un énoncé de droit positif » (G. Cornu, « Les définitions dans la loi », in Mélanges dédiés au doyen Jean Vincent, Dalloz, 1981, n° 21). « L’article de définition établit une proposition de base qui commande nécessairement l’application des autres dispositions relatives à ce qui est défini ». Les définitions terminologiques ont ainsi « une valeur pré-interprétative » (G. Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., Montchrestien, 2005, p. 297).