• Aucun résultat trouvé

Présentation de données plutôt que d’informations

3. Le Google Art Project

3.1. L’exposition virtuelle « émotive »

3.1.1. Présentation de données plutôt que d’informations

Avant tout, il importe de clarifier ce qui constitue une donnée, ce qui la distingue de l’information ou du reste du contenu disponible sur Internet. Une donnée est constituée de ceci :

L’ensemble des indications enregistrées en machine pour permettre l’analyse et/ou la recherche automatique des informations, [l’]idée fondamentale d’une œuvre, [l’]ensemble des circonstances principales, et aussi des sentiments, des passions, des caractères qui servent de base à un poème dramatique ou narratif, à un roman (CNRTL 2012).

La donnée se situe à la base d’un raisonnement, d’un examen ou d’une recherche, contribuant au « résultat » final sans pour autant le constituer. L’information, elle, implique

de donner forme à quelque chose, ou de recevoir quelque chose qui a une forme préétablie, elle consiste en ceci :

l’action d'une ou plusieurs personnes qui font savoir quelque chose, qui renseignent sur quelqu'un, sur quelque chose […] l’action de s'informer, de recueillir des renseignements sur quelqu'un, sur quelque chose […] l’ensemble des activités qui ont pour objet la collecte, le traitement et la diffusion des nouvelles auprès du public (CNRTL 2012).

La donnée est un fait qui n'est pas nécessairement contextualisé : la contextualisation, le rassemblement, la façonnent en une information. En présentant l’image comme donnée, élément isolé, le Google Art Project parvient à éluder la question de la rationalisation de ce qui est présenté au profit d’une réaction instantanée – ce qui s’apparente davantage à l’expérience muséale traditionnelle qui, étant fondée sur la contemplation, s’éloigne de l’aspect rationnel. Cela s’explique en partie par le fait que Google ne possède ni l’autorité ni l’expertise nécessaires pour émettre une explication au sujet d’une œuvre. Le fait de s’en tenir à des données le dispense donc de toute forme de recherche ou de médiation de sa part en lien avec le contenu de son propre site. La présentation de données plutôt que d’informations permet à Google de s’affranchir de toute responsabilité didactique telle qu’elle incombe généralement aux musées. En effet, la définition du Conseil international des musées (ICOM) souligne la mission éducative des institutions muséales :

Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins

d'études, d'éducation et de délectation (ICOM 2007).

Cet affranchissement est particulièrement visible dans la première version du site qui ne présentait que la visite Street View et des images. Avec la réforme du site au mois d’avril 2012, des textes contextualisants sont rendus disponibles au sujet de plusieurs œuvres. Cependant, ils sont peu mis en valeur de sorte que l’isolement de l’œuvre, réminiscence du modèle muséal contemplatif, demeure. À côté du titre de l’image, un bouton « Details » permet l’ouverture d’une fenêtre qui présente l’artiste, la provenance de l’œuvre, la technique utilisée, une description, le titre original : toutes des informations mises en place

67

par le musée qui présente l’œuvre et non pas par le Google Art Project lui-même dont la mission est de diffuser un savoir et non pas de le construire (voir annexe, figure 18).

L’isolement de l’œuvre et parfois l’absence d’information à son sujet incitent l’internaute à se fier à sa propre réaction. Christine Bernier soutient d’ailleurs que dans le cas du Google Art Project « la réponse aux besoins du regard est instantanée, avant même que naisse le désir de scruter les détails » (Bernier 2011 : 88).40 Si le spectateur veut plus d’information, il lui revient d'exécuter une recherche et, à cette occasion, de déterminer lui- même ce qu’il trouve pertinent pour l’œuvre dont il évalue la reproduction. Ce faisant, le

Google Art Project réunit deux approches diamétralement opposées. Il se détache de

l’information pour encourager une contemplation différée – virtuelle – de l’œuvre tout en encourageant un recours à la contextualisation par le nom même de Google et les hyperliens vers les sites muséaux.

C’est une opportunité pour l’institution muséale de (ré)introduire la recherche d’informations chez le spectateur en l’y incitant de différentes manières. De façon générale, les spectateurs attendent du musée un apport d’information contextuelle sur ce qu’il présente (Henry 2000 : 102). Bien que cette information ne soit pas nécessairement transmise sous forme écrite, elle demeure présente à travers le choix et l’agencement des œuvres, le titre de l’exposition ou de la salle, la manière dont le musée la présente – ce que démontre Mieke Bal dans son livre Double Exposures : The Subject of Cultural Analysis.41 Dans le cas du Google Art Project, le spectateur attend une certaine contextualisation qu’il ne trouve pas. Lorsqu’il sélectionne une collection, les œuvres de cette dernière ne présentent pas d’arrangement précis, elles sont alignées les unes à côté des autres sans qu’une narration à leur sujet ne soit proposée. L’absence de contexte crée un suspense. La recherche internet, suggérée par le titre même du site « Google Art Project », s'institue comme l’action qui permet le dénouement, la compréhension de l’œuvre.

40 Cette analyse de Christine Bernier date d’avant les modifications majeures apportées au site en avril 2012,

elle demeure néanmoins pertinente. Bien que plus d’information et de contextualisation soient maintenant disponibles, c’est la vision de l’image isolée qui subsiste, accompagnée d’un encouragement à profiter des possibilités de vision en haute définition (ce qui donne accès au détail dont il est question dans la citation).