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Cette recherche se concentre sur trois films, dont deux font partie du cinéma mexicain contemporain (cine de frontera) et un troisième peut être considéré comme étasunien, un “mainstream hollywoodien” - étant donné l’origine du réalisateur, et le pays où le film a été fait. Les travaux proposés sont : Los que se quedan (Juan C. Rulfo et Carlos Hargerman, 2008), Norteado (Rigoberto Pérezcano, 2009), également la production étasunienne, A better life (Christian Weitz, 2011). Ces films appartiennent à des réalisateurs différents. Ils ont été faits dans des temps et des genres différents. Ils sont toutefois liés par la même problématique : la frontière, comme point de division et point de départ. Malgré le fait que leur angle d’énonciation et leur représentation soient divergents, ils construisent la frontière et l’émigration d’une façon graduelle, évolutive et complémentaire, parfois montrée et présentée à l’image, parfois cachée ou absente du champ visuel. Ma recherche se fonde sur l’hypothèse selon laquelle la trilogie représente la frontière en trois étapes.

Los que se quedan la construit comme étant une représentation imaginaire ou métaphorique (a), une lointaine cible à défier par des migrants potentiels, qui ambitionnent de surpasser la « pauvreté » et le « décalage ». En revanche, Norteado opte pour une représentation visuelle et géographique de la frontière (b) ; ici l’émigrant est davantage face à un obstacle réel et la frontière est un difficile point intermédiaire d’attente et de danger. A better life montre une mixité, voire une construction imaginaire mais aussi visuelle (c); le film présente une version du voyage migratoire fini, l’émigrant a réussi et a traversé illégalement la cible, le point de division et point intermédiaire ; mais la frontière est un obstacle latent, un continuel danger.

Dans l’ensemble, les films présentent trois facettes de la frontière. D’un point de vue physique ou géographique, dans Los que se quedan la frontière est bien lointaine, dans Norteado elle commence à s’approcher, jusqu'à sa traversée ; enfin A better life nous situe au-delà. Le spectateur « construira » la frontière à travers un voyage migratoire, en trois degrés, trois faces et trois films, comme le on verra. La focalisation de Los que se quedan se centre sur les personnages plutôt que sur la frontière comme espace. Norteado se focalise sur deux aspects : la frontière comme espace et ce que ressent le personnage en transit. A better life met l’accent sur ce que les personnages ressentent face à la frontière.

Los que se quedan

Los que se quedan est construit à partir d’une compilation d’histoires orales de familles d’émigrants mexicains qui sont partis vers les États-Unis, à la quête de meilleures possibilités de vie. Le film se rapproche, pour la première fois, de manière intime non seulement de la vie des émigrants, mais de leurs proches qui sont restés au Mexique et qui n’envisagent même pas l’idée de partir.

Dans les récits oraux de témoins, frontière et voyage migratoire sont souvent associés comme des difficiles, mais nécessaires, buts collectifs. Le film montre comment ces familles attendent soit le retour de ceux qui sont partis, soit de s’enfuir afin de les rejoindre. Cependant, ceux qui restent n’oublient pas les émigrants qui leurs manquent. C’est pourquoi le film est une discrète et intime exploration jour après jour de la séparation, de la solitude, ainsi que de l’espoir de ceux qui restent.

Ce récit a une écriture singulière de la frontière, ainsi que de l’émigration.

L’une de ses particularités, et même, son « originalité » est le fait d’aller vers ceux qui n’ont pas bougé du Mexique. Souvent les films ne présentent que les migrants.

Mais, Los que se quedan opte pour les effets secondaires d’un exode massif, à travers des images d’espaces et de lieux vides qui servent de toile de fond aux témoins.

Bien qu’elles soient différentes, les histoires partagent la même linéarité : le départ, le retour, la coïncidence et la séparation familiale. Dans tous les témoignages, il y a des traces de l’absence et la solitude, mais aussi la rencontre et puis la joie de la fête ; il y a un pays qui se vit (le Mexique) et un autre qui s’imagine (les États-Unis) ; et enfin, un bouleversement profond qui unit et sépare ces familles. D’après les réalisateurs, l’un des propos du film est d’aider à la création d’une vision plus vaste de la migration forcée, ainsi que de la façon dont elle modifie la perception d’un peuple. Dans un entretien, Juan Carlos Rulfo et Carlos Hagerman affirment : “Sólo desde la palabra de quienes se separan, esperan, extrañan y recuerdan es posible conocer el alcance del problema de la ausencia ocasionada por la migración. Y es que de ese vacío y tristeza está impregnado el país1”.

1 Entretien fait quelques semaines après la sortie du film, Paulina Monroy, “Los que se quedan, una visión necesaria”, Publiée en 2008, [Consulté le 12.11.2014], Disponible à l’adresse :

http://www.voltairenet.org/article162200.html

Les portraits. Les familles vivent dans des zones rurales de la plus grande émigration vers les États-Unis: Michoacán, Zacatecas, Puebla, Jalisco et Chiapas, dont presque toute la population rêve de traverser la frontière.

La majorité des familles est restée dans l’attente du retour des émigrants.

Toutefois, le film présente trois types de témoins : 1) des hommes âgés qui restent en attendant leurs enfants qui sont partis franchir la frontière, 2) ceux qui attendent et désirent la traverser le plus tôt possible pour rejoindre leurs proches, 3) et ceux qui sont allés « al otro lado », puis qui sont rentrés pour raconter.

À l’exception du dernier groupe de témoins, la frontière est conçue comme une question de strictement imaginaire. Elle serait quasi inexistante si ce n’était par l’absence de ces proches qui sont partis depuis longtemps pour la franchir. Les témoins ont trois images distinctes de la frontière. Les plus âgés, ou les plus jeunes, l’imaginent comme quelque chose de très éloigné ; les deuxièmes comme une imminente et dangereuse proximité, et les derniers un défi réel et surpassé.

Los que se quedan ne montre pas de données statistiques. Rulfo et Hagerman ont préféré recenser les sentiments que les témoins ont de ce grand problème migratoire. D’ailleurs, Rulfo souligne l’importance de laisser parler le cinéma mexicain de « lui-même » :

En México no sabemos cómo representarnos y es importante que la gente se sienta reconocida. La vida pasa rápido y no sabemos expresarlo. Este tipo de películas te motivan a rendirte un homenaje a tí mismo1.

Dans un entretien, Hagerman ajoute que la réalisation du documentaire avait impliqué aussi un long voyage: “De Norte a Sur se reunieron experiencias de familias que nos abrieron la puerta de sus historias y secretos”. Le but était de raconter les histoires de témoins d’une manière intime.

Le film est un portrait de nostalgie, d’attente, d’identité et de mémoire ; les réalisateurs disent que c’est un film de rêves et d’amour. Une exploration sur le quotidien d’une absence produite par la migration. Los que se quedan est un essai sur l’absence dans la vie quotidienne des familles qui racontent ce que rester signifie, on peut aller jusqu’à parler d’une mythification des êtres absents.

1 Ibid.

Structure générale de Los que se quedan

Résumé de la structure du film par ordre chronologique

1

PROLOGUE

1. Crédits de début

2

LES PORTRAITS DES TÉMOINS

2. Les portraits 1 3. Les portraits 2

3

PROBLÉMATIQUE.

DES RÊVES ET DES RUPTURES PARTAGÉS

(Dialectique partir > rester)

4. Partir pour construire 5. Les risques de partir 6. Rester malgré tout 7. Des séparations forcées 8. Revenir pour ses racines

4

DÉROULEMENT

9. L’attente 10. L’espoir

5 CLIMAX

11. Des fêtes, des rencontres et des départs

6

DÉNOUEMENT

12. Rester ou partir

7 ÉPILOGUE

13. Les adieux 14. Les rencontres 15. Les crédits finaux

Norteado

Le film raconte l’histoire fictive d’Andrés (Harold Torres), un homme qui parcourt des paysages montagneux pour se rendre au bord d’une route, au nord du Mexique. Candidat à l’émigration vers les États-Unis, Andrés rencontre un passeur clandestin (“pollero”, en espagnol mexicain) une fois arrivé en ville. Ce dernier le guide dans le désert. Au petit matin, il se réveille seul et doit poursuivre sans la moindre aide ; il est alors arrêté par une patrouille. Après les formalités policières, il échoue dans un foyer à Tijuana. Suite à une autre tentative stérile pour passer la frontière, il devient l’homme à tout faire d’une petite épicerie tenue par Ela (Alicia Laguna), une femme quadragénaire, avec laquelle travaille Cata (Sonia Couoh), une femme plus jeune qui est sur la réserve vis-à-vis d’Andrés. Après, Andrés quitte le foyer pour s’installer au sein même de l’épicerie, tandis qu’Ascensio (Luis Cárdenas), un homme d’une cinquantaine d’années, lui fournit un autre emploi aux abattoirs. Les journées du personnage sont dès lors rythmées par un travail de manutention fatiguant.

Au Mexique, le terme “norteado” s’emploie pour ceux qui errent sans direction définie, mais qui vont à la recherche d’un endroit pour se poser et recommencer à zéro, comme c’est le cas du protagoniste.

Norteado utilise une double forme de genre pour construire la réalité de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Documentaire et fiction sont utilisés pour représenter un mur réel et à la fois symbolique, physique et imaginaire. La partie documentaire de Norteado s’appuie sur les paysages réels, comme la frontière et Tijuana elles-mêmes. Toutefois, avec l’invention du personnage d’Andrés, la fiction de Norteado fait sortir de l’anonymat ces milliers de mexicains et centre-américains, qui chaque jour essayent de faire de même, de reproduire le même voyage migratoire. Dans cette recherche, Norteado peut être la deuxième partie d’un voyage migratoire annoncé, et probablement débuté dans Los que se quedan. Norteado est une sorte de suite du parcours d’un homme anonyme qui attend à côté du mur frontalier, avec l’angoisse que cela représente, mais toujours avec l’espoir de franchir la frontière pour « s’en sortir ». Cet espoir ou rêve a été bien appris et mémorisé, grâce aux récits oraux racontés par ceux qui sont partis et que tout migrant moyen a écouté tout au long de sa vie1.

Structure générale de Norteado

Résumé de la structure du film par ordre chronologique

1

INTRODUCTION

1. Crédits de début

2. Début du voyage

2

PROBLÉMATIQUE.

LA QUÊTE DE LA TRAVERSÉE

3. Vers la traversée 4. Premier essai

5. Tijuana 6. Deuxième essai

3

DÉROULEMENT L’ATTENTE À TIJUANA

7. Rester à Tijuana ? 8. Tijuana Deuxième maison

9. La proposition 10. Troisième essai 11. De retour à la maison

4 CLIMAX

12. Le plan

5

DÉNOUEMENT

13. Le fauteuil

6 ÉPILOGUE

14. Quatrième essai

15. Crédits finaux

1 [Consulté le 12.03.2013], Disponible à l’adresse : http://www.norteado.com.mx/presskit_espanol.pdf

A better life

A better life est l’histoire de Carlos Galindo (Demian Bichir), personnage fictif de cette histoire, un Mexicain de plus de quarante ans, travailleur « migrant » en situation illégale résidant dans la ville de Los Angeles. Tout ce que Carlos cherche est de donner la meilleure qualité de vie possible à son fils, Luis (José Julián). Carlos veut lui offrir la vie qu'il n'a jamais eue.

Comme résultat de sa situation irrégulière, Carlos réalise que tout ce qu’il avait rêvé et voulu - lorsqu’il écoutait des récits oraux similaires à ceux de Los que se quedan, ainsi que tout le danger qu’il a vécu au moment de traverser la frontière, plus ou moins comme est réécrit dans Norteado - est devenu un véritable cauchemar. Malgré le fait d’avoir franchi la frontière entre le Mexique et les États-Unis, Carlos continue sans trouver la réussite largement attendue ; au contraire on le voit plutôt face à l’échec.

Dans A better life, la frontière a été surpassée de manière physique, mais jamais en termes symboliques, culturels, linguistiques, économiques ni même légaux. Carlos, le voyageur migrant moyen, comprend qu’il a fait un voyage aller-retour, malgré ses années d’efforts et de travail aux États-Unis1. On peut dire que la frontière du film a été domestiquée.

Le film est la transcription d’un écrit intitulé The Gardener (1989). C’est une fiction qui fait appel au drame afin de réécrire, non seulement l’écrit du Simon, mais aussi la frontière et le voyage migratoire réel.

1 Information consultée sur le site: http://www.imdb.com. Internet Movie Database, que l'on peut traduire par

« Base de données cinématographiques d'Internet », est une base de données en ligne sur le cinéma mondial.

Ce site est particulièrement pratique et utile pour se procurer des génériques, des filmographies, des dates de sortie, des précisions techniques avec comme point de départ un titre de film ou un nom de personne. Le site restitue un grand nombre d’informations concernant les films, les acteurs, les réalisateurs, les scénaristes et toutes personnes et entreprises intervenant dans l’élaboration d’un film, d’un téléfilm ou d’une série télévisée.

Structure générale de A better life

Résumé de la structure du film par ordre chronologique

1

PROLOGUE 1. Introduction

2

DÉROULEMENT DE L’HISTOIRE 2. Devenir quelqu'un d’autre

3

PROBLÉMATIQUE

3. La proposition 4. La demande

5. La rue 6. Vers le rêve

7. Rêve ou mirage américain ?

4

LE CONFLIT

8. Rêve volé 9. Dur réveil

10. La quête 5

PRÉLUDE DE DÉNOUEMENT

11. L’espoir

12. La poursuite 6

CLIMAX

14. Traverser la « frontière »

7

DÉNOUEMENT

15. Le rêve fini

8 ÉPILOGUE

16. Recommencer 17. Crédits finaux