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Chapitre 3 – Vers une pluralité du public télévisuel

3.3 Mobilisation des amateurs et des créateurs de Community

3.3.1 Présence d’un networked audience

Nous pouvons constater, dans le cas de Community, que la relation entre les amateurs de la sitcom et les personnes impliquées dans sa création est véritablement collaborative et qu'elle rappelle les stratégies mentionnées par Caldwell pour s’adapter au fractionnement, à la participation et à la dispersion du public de masse ainsi qu’à une redéfinition du rôle du « public » dans une industrie médiatique de plus en plus décentralisée. Selon les auteurs Marwick et boyd,

26 u/Derferman, 27 août 2012, https://www.reddit.com/r/community/comments/yw4se/the_missing_digital_estate_planning_tag_pierce/. Figure 3. Affiche officielle de la websérie. © Jonny Eveson. Figure 4. Avatar de la page Tumblr du rassemblement des amateurs de Community. © Justin Crisostomo.

cette actualisation du « public », causée par les nouveaux médias, s’apparente davantage à celle des réseaux de communications, eux aussi décentralisés, où : « […] ‘audience’ describes how a communicative medium mediates a relationship between content producers and receivers (Drotner, 2005: 196), requiring a more interpersonal and flexible model » (Marwick et boyd 2011, 131). En d’autres mots, cette idée du « public » est passée de celle imaginée par les chaînes généralistes, soit une entité relativement large, anonyme et fixe, à celle d’un réseau connecté et composé de plusieurs groupes plus petits, mobiles et impliqués dans les contenus qu’ils consomment; c'est-à-dire qu'ils en produisent tout autant et qu'ils s’expriment ouvertement à leurs sujets par l'entremise de diverses plateformes (131). Par conséquent, des chaînes généralistes comme NBC ne peuvent plus créer le même genre de contenu fictionnel qu’elles avaient l’habitude de produire ou alors, elles ne peuvent plus avoir les mêmes attentes quant à leur succès et à la manière dont cela sera reçu par les téléspectateurs. Effectivement, ces derniers ne sont plus uniquement liés entre eux par l’entremise des contenus qu’ils consommaient en se présentant au même rendez-vous télévisuel; ils sont constamment connectés les uns aux autres, en plus d’avoir maintenant l’opportunité de pouvoir réagir aux produits qu’ils consomment de multiples façons. Par conséquent, les chaînes généralistes ne peuvent plus s’entêter pour que tous les téléspectateurs restent dans les limites imposées par le flux télévisuel, d’où cette nécessité d’adopter un modèle plus « flexible et interpersonnel » (ma traduction, Marwick et boyd 2011, 131).

Par contre, cela ne semble pas avoir été la direction vers laquelle s’est dirigée la chaîne généraliste NBC. Le président du conseil d’administration de NBC Entertainment, Robert Greenblatt, semblait plutôt vouloir revitaliser le genre de la sitcom en retournant à sa forme multicaméra dans l’espoir d’attirer les cotes d’écoute de la belle époque du Must-See TV (Hibberd 2014b). Par conséquent, il annula Community en 2014 après cinq saisons et donna le feu vert à la production de sitcoms multicaméras comme Undateable (NBC, 2014-2016) et One Big Happy (NBC, 2015).

Fort évidemment, les amateurs de la sitcom étaient très déçus, particulièrement alors qu’ils étaient si près d’obtenir cette sixième saison faisant partie de leur mantra #sixseasonsandamovie depuis la deuxième saison. Lorsque Greenblatt s’est fait questionner par rapport à ce sujet lors d’une tournée de presse pour la Television Critics Association, nous pouvons constater que sa

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réponse témoigne également de ce refus pour la chaîne généraliste d’adopter un modèle plus flexible et interpersonnel : « That sixth season thing was created by them — I’m surprised they didn’t say ‘10 seasons and a movie’ […] and [the mantra started] before my time [at NBC]. It didn’t just make sense for us to have another season of it at that level of audience » (Robert Greenblatt cité dans Hibberd 2014b). Les priorités de la chaîne généraliste sont claires et prévisibles : les cotes d’écoute et le profit. De plus, la réponse du président démontre bel et bien qu’il n’a pas compris la signification de la devise associée à la série télévisée ni ce qu’elle symbolise aux yeux de ses amateurs et de ses créateurs. Par conséquent, nous pouvons observer que NBC ne leur accorde concrètement aucune importance; tous leurs efforts et leur travail passionné et non rémunéré n’ont pas de valeur pour le diffuseur puisque cela ne lui apporte aucun avantage économique compte tenu de la rigidité de son modèle d’affaires lorsque vient le temps de prendre des décisions administratives.

Ce modèle d’affaires met également en évidence l’asymétrie au niveau de l’attention dont parle Yves Citton dans The Ecology of Attention, soit une asymétrie entre l’attention qui est fournie par les téléspectateurs et celle collectée par les chaînes de télévision dont les industries des médias de masse profitent puisque cela entretient leur modèle d’affaires favorisant une approche quantitative (cotes d’écoute) (2016, 60-62). En effet, il va sans dire que les amateurs de

Community ont collectivement investi beaucoup plus d’attention envers la série télévisée, surtout

par l’entremise de toutes les technologies mises à leur disposition, que la chaîne généraliste a investi envers eux. En soi, il n’y a rien de mal à ce qu’une compagnie souhaite diffuser de l’information à grande échelle. Cependant, cela impose parallèlement « a unilateral and homogenising programming which necessarily mechanizes those who it treats in an automated way » (61). Autrement dit, en continuant de vouloir s’adresser à un public de la façon dont les chaînes généralistes ont toujours eu l’habitude de le faire, ces dernières refusent surtout de prendre en considération l’individuation des personnes composant ce même public et leur capacité à faire des choix ne concordant pas avec celui qu’ils tentent d’imposer. Par conséquent, l’apparition de nouveaux médias est venue, d’une certaine façon, libérer non seulement les téléspectateurs d’un moule auquel ils n’adhèrent pas tous, comme les amateurs de Community, mais aussi les créateurs, en plus d’encourager le développement d’une innovation en télévision

du point de vue formel. Dans ce cas, est-ce qu’une sitcom comme Community, attirant un public différent de celui préféré par les chaînes généralistes et étant un produit télévisuel n’arrivant pas à répondre aux attentes de ces compagnies, aurait plus de chance de survie sur une plateforme numérique si nous prenons en considération tout le potentiel offert par ce genre d’interface? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans le prochain chapitre où nous aborderons, entre autres, les services de vidéo à la demande en ligne et l’utilisation de big data en ce qui concerne les habitudes de consommations de leurs abonnés.

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Chapitre 4 – Perturbations au sein de la télévision en ligne