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Chapitre 2 – Évolution de la sitcom américaine jusqu’à Community

2.3 La sitcom télévisuelle

2.3.2 Diversification des plaisirs

De plus, il est important de noter que la stratégie employée afin de créer de l’humour demande une participation particulièrement active13 de la part des téléspectateurs pour arriver à saisir toutes les informations contenues dans les aspects visuels et sonores de la sitcom. En fait, cette dernière propose aux téléspectateurs de mettre leur mémoire à l’épreuve. Par exemple, dans le cas de Community, nous observons que plus les téléspectateurs possèdent une grande connaissance de la comédie de situation, de son contexte de production, de l’industrie télévisuelle et de la culture populaire américaine en ce qui a trait au cinéma et à la télévision, plus ils pourront avoir du plaisir en regardant la sitcom puisqu’ils seront en mesure de décoder plus d’informations (voir tableau 2). Plus précisément, le degré de connaissance des téléspectateurs leur permettra d’expérimenter différents plaisirs télévisuels. En voici quelques exemples basés sur l’épisode « Basic Lupine Urology » (épisode 17, saison 3) :

Tableau 2. – Diversité des plaisirs basée sur les connaissances des téléspectateurs Connaissances concernant : Exemples de plaisirs trouvés dans :

La sitcom Community Le rappel de l’épisode où Shirley et Annie prenaient le rôle d’agente de sécurité.

L’objet parodié, soit la série télévisée Law

& Order Le fait que l’actrice jouant le coroner dans l’épisode joue également le rôle d’un coroner dans

Law & Order.

Les codes visuels et auditifs de l’objet

parodié Le générique d’ouverture, les changements de scènes ponctués par une musique dramatique, le montage, etc.

Les clichés associés à l’objet parodié La manière dont Community souligne des phrases ou des formules clichées comme celle du « bon cop/bad cop » en les mettant en évidence, en les rendant inefficaces et en soulignant leurs fonctions.

13 Lorsque je fais référence à la participation des téléspectateurs, je ne souhaite pas penser le terme actif en

opposition à celui de passif selon « un antagonisme hiérarchique » (Casagrande s.d.), comme le suggère Jacques Rancière dans son livre Le spectateur émancipé (2008), je souhaite plutôt y faire référence dans une optique comparative pour observer différentes façons d’exister en tant que téléspectateur.

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Contexte de production de l’objet parodié Le savoir que le nom du créateur de Law & Order soit caché dans le titre de l’épisode.

La culture populaire L’utilisation d’un dialogue populaire venant de l’émission The Wire (HBO, 2002-2008).

Les informations entourant des éléments

de la sitcom Le rappel de la rumeur ayant circulé sur Internet que l’interprète du personnage de Troy (Donald Glover) pourrait devenir le prochain Spider Man (Ditzian 2010).

En conséquence, en plus d’encourager les amateurs de la série à élargir leurs connaissances, la sitcom exige aussi une participation très active de leur part, c’est-à-dire qu’au-delà des dialogues et des réactions amusantes, ce sont à eux de faire rapidement des liens entre ce qui est montré à l’écran et les différents domaines que nous avons mentionnés plus haut pour comprendre le plus de références possibles contenues dans la comédie de situation. Cependant, Olson mentionne qu’afin qu’une parodie soit réussie auprès du plus grand nombre de téléspectateurs, il faut que les références aux autres séries télévisées ou aux genres télévisuels soient facilement reconnaissables (1987, 288), car contrairement aux sitcoms multicaméras et aux sitcoms single-

camera, aucun dispositif n’est mis à la disposition des amateurs des sitcoms télévisuelles pour les

aider à identifier ce qui est drôle, qu’il s’agisse du rire en canne dans le premier cas ou du montage dans le second.

En ce qui concerne Community, nous pouvons constater que la variété du niveau de connaissance et d’implication requis de la part des téléspectateurs fait en sorte qu’il s’agit d’un produit télévisuel pouvant être apprécié à différents niveaux. Par exemple, une personne peut apprécier cette sitcom même si sa connaissance du contexte entourant la série télévisée est limitée et que cela l’empêche de saisir toutes les références qui y sont faites (Eco 1985, 11-12). La différence entre cette personne et une autre possédant plus de connaissances est que la première y trouvera un plaisir relativement futile tandis que l’autre y trouvera un plus grand plaisir puisqu’elle aura utilisé le pouvoir que lui donne son rôle de téléspectateur averti à tout son potentiel (11-12). Tout ceci peut également être appliqué à la sitcom télévisuelle en général puisque cette dernière se décline sur plusieurs niveaux à cause de sa réflexivité et que chacun d’entre eux demande de la part des téléspectateurs un niveau différent de connaissance et d’implication pour bien en comprendre l’humour. Par exemple, l’autre comédie de situation phare de NBC précédant

l’annulation de la programmation comédie du jeudi soir, Parks and Recreation (NBC, 2009-2015), entre également dans la catégorie des sitcoms télévisuelles pour les raisons suivantes : elle déconstruit le média de la télévision par la présence de personnages venant briser le quatrième mur, elle fait allusion à d’autres séries télévisées, elle reprend des éléments de la structure générique d’un autre genre, etc. Cependant, elle demeure moins complexe que Community puisque sa télévisualité découle presque uniquement de la déconstruction qu’elle fait du genre documentaire/mocumentaire. En effet, bien que les personnages brisent le quatrième mur en regardant ou en s’adressant directement à la caméra, ces actions ne sont pas faites ici dans un but très autoréflexif puisqu’elles font partie des codes associés au genre du documentaire/mocumentaire (Bourdon 1997, 69-70). Autrement dit, regarder et s’adresser à la caméra sont des pratiques courantes dans ce genre, ce qui n’est pas le cas dans celui de la sitcom. Alors, même si cette série télévisée possède une certaine portée réflexive, cette dernière est plus limitée que celle d’une sitcom comme Community. En effet, cette dernière utilise ces pratiques pour déconstruire d’autres genres, dans lesquels l’acte de briser le quatrième mur ne fait pas partie des codes leur étant généralement associés. Ainsi, il est moins dérangeant pour un téléspectateur de s’immerger et de mieux comprendre une sitcom comme Parks and Recreation puisque les actions brisant le quatrième mur font partie des codes du genre parodié. Plus précisément, elles sont acceptées comme réalistes par les téléspectateurs puisqu’ils associent ce type de pratiques au genre du documentaire/mocumentaire même si ce dernier est parodié. La parodie, elle, vient de l’utilisation de ces pratiques comme véhicule humoristique par la présence de reaction shots effectués à la caméra ou encore pour s’assurer que les téléspectateurs comprennent toutes les situations se déroulant à l’écran grâce à la présence d’« entrevues »/« confessions » que font les personnages en s’adressant à la caméra.

Alors, nous pouvons constater que comparativement à Parks and Recreation, Community est particulièrement complexe à suivre pour les téléspectateurs : la sitcom créée par Dan Harmon s’attaque à presque tous les genres cinématographiques et télévisuels en déconstruisant les codes et les conventions qui leur sont associés tout en continuant à faire référence à elle-même, son contexte de production et des produits de la culture populaire en plus de rendre hommage à certains réalisateurs, acteurs et personnages fictifs. En somme, elle est de loin une des sitcoms

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les plus télévisuelles que la chaîne NBC a produite. Par conséquent, elle me semble être l’objet répondant le plus à ce que le président du conseil d’administration de NBC Entertainment, Robert Greenblatt, qualifie de comédie trop sophistiquée pour le grand public qu’il cherche à attirer. Nous continuerons donc de nous concentrer sur cette série télévisée pour essayer de comprendre pourquoi elle n’est pas arrivée à remplir les objectifs de la chaîne généraliste et comment elle pourrait être perçue comme un objet médiatique précurseur des changements dans le paysage médiatique que nous connaissons aujourd’hui.