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Les prés et le rapport terres/prés

dynamique historique des usages du sol et leurs occupations

III. Un paysage changeant

2. Les prés et le rapport terres/prés

La place des surfaces toujours en herbe, ou STH, comparée à celle des surfaces agricoles arables constitue l’une des évolutions majeures observables sur le territoire étudié dans les deux à trois derniers siècles.

L’une des meilleures façons de mesurer ces évolutions réside dans le calcul d’un rapport terres/prés, valant 1 si les surfaces de l’une et l’autre catégorie sont égales. Il est possible de prendre pour principe qu’un indice élevé traduit un grand risque d’érosion. Il faut également s’attendre à de fortes conséquences sur la biodiversité et sur les écoulements.

En 2018, le rapport terres/prés sur le total de l’ancienne région Lorraine est de 1,8 (0,8 pour les Vosges, 1,8 pour la Moselle, 2,4 soit l’équivalent de la moyenne française pour la Meurthe- et-Moselle, 2,7 pour la Moselle). Le rapport terres/prés sur le bassin de la Meurthe est à 1,1 d’après Corine Land Cover 2018, tandis qu’il était de 1,2 d’après Corine Land Cover 1990, ce qui exprime une stabilité ou une légère évolution favorable aux prairies, plutôt contre-intuitive dans le contexte des inquiétudes actuelles.

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Figure II-15 : Carte d’occupation du sol d’après Theia, 2018 (document : Boitel et al., 2019). On observe que les prés sont assez clairement concentrés dans les vallées ; mais l’étude des documents historiques montre de fortes

évolutions à cet égard.

A une échelle de temps différente, les choix méthodologiques établis pour le projet tutoré utilisant les photographies aériennes depuis 1949 ne permettent pas d’étudier l’évolution relative des prés et des terres, parce que les classes retenues ont été limitées à 5 postes correspondant au premier niveau de la nomenclature Corine Land Cover. En effet, la distinction entre terres ensemencées (blé en herbe par exemple) et prairies permanentes n’a pas paru pouvoir être faite avec fiabilité par les opérateurs, sur les photographies aériennes les plus anciennes. Une automatisation du processus aurait probablement pu permettre d’améliorer les résultats, sans les fiabiliser totalement.

C’est donc une simple évolution en deux temps, entre le premier tiers du XIXème siècle et l’actuel, qui doit être observée.

A l’époque de la carte d’état-major, le rapport terres/prés s’établissait à 2,9, ce qui exprime une part relative des terres beaucoup plus importante qu’aujourd’hui dans le paysage agricole du XIXème siècle. Il convient néanmoins de relativiser la valeur de ce résultat, car les choix

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de vectorisation faits par l’UMR Silva conduisent probablement à une surestimation, difficilement quantifiable, des surfaces en terres arables.

Une vérification à partir d’un territoire particulièrement bien documenté confirme les données générales. Le tableau d’assemblage du cadastre napoléonien de Rehainviller (1838) au 1/10 000, portant sur les quatre communes de Rehainviller, Mont-sur-Meurthe, Xermaménil et Lamath, fait apparaître 1748 ha de terres, pour 518 ha de prés, soit un rapport terres/prés de 3,4 très favorable aux terres (bien que les territoires en question se situent à la confluence Meurthe-Mortagne, pour une grande partie dans des fonds de vallées très favorables aux prairies). La carte d’état-major apporte des chiffres concordants : 1807 ha de terres, pour 461 ha de prés, soit un rapport de 3,9. Actuellement, d’après une source qu’on peut considérer comme comparable (Corine Land Cover 2018), sur le même espace, 628 ha de prés et le rapport terres/prés ne s’élève plus qu’à 1,9. Theia indique un rapport terres/prés de 0,99, donc une quasi-équivalence des surfaces en prés et en terres labourées. Les données sont donc très différentes, mais abondent dans le sens d’un renforcement de la part des prés dans le territoire agricole (Fig. II.16).

Figure II-16 : Les prés représentés sur la carte d’état-major (v. 1830), en vert (UMR Silva INRA-UL) et d’après THEIA 2017, en bleu. Les prés étaient autrefois très concentrés dans les fonds de vallée, tandis que le couchage

de nombreuses terres en prés au XXe siècle a conduit à un élargissement des surfaces concernées sur les interfluves.

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Au début du XIXème siècle, d’après les documents exploités, les prés occupent des surfaces réduites qui, le plus souvent, correspondent aux lits majeurs et plus généralement aux sols les plus humides de la région étudiée. Il s’agit d’une configuration autrefois tout à fait ordinaire dans l’Est de la France (Juillard, Angrand, 1961 ; Mathis, 2009). Avant 1900, les prés sont des prés de fauche (Guérard, 1841) ; ils ont pour vocation essentielle d’apporter un fourrage hivernal (prés de fauche) et non de permettre le pâturage (même si celui-ci pouvait à l’occasion être pratiqué dans certaines situations). Ces prés étaient souvent irrigués en montagne, et parfois également en plaine à partir du XIXème siècle ; les aménagements hérités de l’ancienne irrigation ont été peu étudiés (Rochel, 2009) et mériteraient clairement une étude géohistorique et une approche patrimoniale soucieuse de ne pas effacer les derniers témoignages encore présents sur le terrain.

Au cours de la période étudiée, et selon une chronologie qui n’a encore jamais été précisée, les prés se sont étendus sur les interfluves en lien avec les évolutions des pratiques d’élevage. Une couronne de prairies s’observe souvent à proximité des villages, car les troupeaux laitiers doivent pâturer à proximité immédiate des salles de traite et des ateliers d’élevage. D’autres prairies sont sur des terres marginales, peu intéressantes pour la culture, et sont destinées à la fauche ou à la pâture de génisses et autres animaux non traits (Jacopin, 2011).

Le diagramme de Sankey ci-dessous exprime, pour le bassin de la Meurthe, les changements d’usage du sol entre la carte d’état-major (autour de 1830) et Corine Land Cover 2018. Il se lit ainsi : 55,9 milliers d’hectares correspondent à des terres restées terres arables sur la période, 29,8 milliers d’hectares de terres sont devenus des forêts, et ainsi de suite. Sur un peu moins de deux siècles, on constate notamment une très forte réduction des terres arables au profit des prés et des forêts.

Figure II-17 : « Diagramme de Sankey » illustrant les permanences et changements d’usages du sol, pour les catégories terres, forêts, et prés, entre la carte d’état-major et Corine Land Cover 2018, pour le bassin de la

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On peut retenir sur la période la certitude d’un fort recul des terres arables, notamment au profit des forêts, mais aussi des prés dont la surface a assez notablement augmenté. Le paysage de 2019 est donc beaucoup plus végétalisé (et moins sensible à l’érosion des sols) que celui de 1830.