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Les préférences de recrutement des employeurs vues par les diplômés

5. Représentations des diplômés sur la mobilité internationale pour études et les préférences des

5.4. Les préférences de recrutement des employeurs vues par les diplômés

La conviction de la part des diplômés que les employeurs préfèrent recruter des diplômés de l’étranger reste néanmoins vivace et fait l’unanimité.

7 diplômés (3 diplômés de l’enseignement national et 4 de l’étranger) attribuent, cependant, ces préférences plutôt au désir de « prestige et d’image » des entreprises qu’au fait que les em- ployeurs penseraient que les compétences acquises lors des études à l’étranger sont meilleures que celles au Maroc. 3 d’entre eux vont jusqu’à parler d’une forme de « snobisme » des em- ployeurs, voire à une « mentalité issue de la colonisation », ce qui rejoint les propos des deux jeunes femmes DRH (employeurs 4 et 5) qui distinguent deux types d’entreprises, celles de la vieille école marquées par le passé colonial et les entreprises modernes.

On voit toujours les diplômés à l’étranger mieux que les diplômés nationaux, c’est une question de mentalité, parce que la colonisation est sortie territorialement, mais elle est toujours ici culturellement, mentalement. Trop de choses, c’est-à-dire on se voit toujours inférieur à l’autre, même l’employeur quand il fait un entretien d’embauche. (Diplômé 9

focus groupe 2A, Licence d’histoire)

Par ailleurs, 3 diplômés pensent que les employeurs préfèreraient employer des diplômés de l’étranger, mais qu’en réalité ils sont nombreux à chercher à « minimiser leurs charges et maximiser

les bénéfices » (diplômée 4 2A ENCG) et recrutent donc des diplômés de l’enseignement national

qui ont de moindres exigences salariales, voire sont prêts à accepter n’importe quel salaire pour être recruté (« pour survivre »). Cela rejoint les points de vue de certains des employeurs inter- viewés qui justement ne souhaitent pas recruter des diplômés de l’étranger parce qu’ils coûte- raient trop cher à l’entreprise.

Les jeunes diplômés de l’étranger vont demander un salaire plus élevé que ceux deman- dés par un jeune diplômé du Maroc. Ce dernier va juste demander un salaire pour sur- vivre seulement. Par contre, celui qui a étudié à l’étranger va demander une échelle plus élevée. (Diplômée 9, 2A, école privée non accréditée)

En dehors de ces quelques réserves, l’ensemble des diplômés sont persuadés que les employeurs considèrent les diplômés de l’étranger comme des « experts » plus compétents que les diplômés du système national et donc que, lorsque leurs finances le leur permettent, ils recrutent de préfé- rence ces derniers au détriment des autres.

Comme les employeurs, les diplômés interrogés considèrent que les diplômés de l’étranger n’ont pas reçu une meilleure formation théorique que les diplômés de l’enseignement national. Au con- traire, certains d’entre eux pensent que les connaissances théoriques dans les enseignements su- périeurs marocains sont plus développées qu’à l’étranger et trop « lourds » au détriment des con- tenus pratiques nécessaires au travail en entreprise. En revanche, ils considèrent que les compé- tences « professionnalisantes » et l’expérience concrète acquises lors d’études à l’étranger sont meilleures, notamment grâce aux stages en entreprise où les étudiants ont de plus grandes res- ponsabilités et acquièrent une véritable connaissance du monde de l’emploi. Comme les em- ployeurs interviewés, tous les diplômés insistent sur les « compétences » et « l’expérience » né- cessaires pour être recrutés plutôt que sur la valeur des diplômes en tant que tels. Pour eux, les employeurs du secteur privé n’ont pas de demande pour des lauréats, mais pour des « experts » uniquement.

Les différences de compétences entre les deux types de diplômés qu’ils énumèrent sont en grande partie les mêmes que celles identifiées par les employeurs, à savoir essentiellement une bonne maîtrise de plusieurs langues et les « soft skills », terme que certains d’entre eux utilisent tel quel et définissent de la même façon que les employeurs : personnalité, savoir-être, techniques de com- munication et de management du personnel et autonomie.

Pour les compétences, il faut avoir une fluidité de communication, un savoir-faire, une certaine personnalité, le sens de l’écoute, la maitrise des langues étrangères pour pou- voir bien gérer dans une société. (...) Il faut avoir une forte personnalité pour convaincre soit le client soit le collaborateur de certaines choses. (Diplômée 4 2A, Master com-

merce international ENCG)

Il est intéressant de souligner que, tandis que les diplômés de l’étranger estiment avec une con- fiance certaine qu’ils maîtrisent ces compétences, en revanche les diplômés de l’enseignement na- tional ont plutôt tendance à s’en sentir dépourvus et à s’auto-dévaloriser quand ils y font référence.

Le problème, c’est qu’il ne suffit pas d’atteindre une Licence avec la mention "assez bien" et puis s’arrêter devant ses blocages psychiques. L’employeur cherche chez le jeune du dynamisme dans la progression d’un poste à un autre. L’employeur ne cherche pas quelqu’un qui va être embauché pour un poste quelconque pour qu’il reste figé dans le même poste, sans aucun essai d’amélioration. (…) On ne nous a pas préparés. (Diplômé 2

2A Licence d’arabe, Université)

D’autre part, leurs propos convergent à nouveau avec ceux des employeurs dans les distinctions qu’ils font entre les différents pays de provenance des diplômes étrangers : ils insistent sur le fait que les employeurs privilégient les diplômes des pays occidentaux (Europe occidentale et Amé- rique du Nord) et font peu de cas des diplômes d’Europe de l’Est, du Maghreb et d’Afrique.

L’occident est tellement idéalisé que ceux qui restent au Maroc ont peur de ne rien faire de leur cursus s’ils ne partent pas. Tout le monde pense que c’est la seule solution pour s’en sortir. Ça apporte l’esprit d’entreprise et de partage et l’expertise, ça permet de la valorisation de soi par les autres et par soi-même, et aussi de choisir ses propres condi- tions, les négocier. (Diplômée 6 2B Master marketing, France – en fait diplôme maro-

cain délocalisé)

De plus, à nouveau comme les employeurs, les diplômés établissent aussi une hiérarchisation entre les diplômes des différents pays occidentaux : les diplômes français leur paraissent désor- mais en perte de reconnaissance et moins compétitifs sur le marché du travail que les diplômes anglo-saxons qui, selon eux, développent les compétences les plus recherchées à l’ère de la mon- dialisation, à savoir l’esprit d’entrepreneuriat, la créativité et les techniques de management les plus modernes.

Au niveau de l’informatique les formations anglophones sont mieux blindées que les francophones et mieux réputées ainsi que la qualité de la formation est mieux demandée ici au Maroc, surtout que le domaine que j’ai suivi n’était pas connu ici il y a quatre ans déjà et les écoles de formation n’étaient pas nombreuses à fournir une formation au Ma- roc. Donc j’ai jugé que la formation anglaise était mieux pour ma carrière profession- nelle. (Diplômé 8 2B, Master informatique, Grande-Bretagne)

D’autre part, les diplômés interviewés rejoignent également les propos des employeurs dans le classement qu’ils établissent entre les différents établissements de l’enseignement national : selon eux, après les diplômés de l’étranger, les préférences des employeurs vont d’abord aux diplômés titulaires de doubles diplômes, puis aux lauréats des grandes écoles publiques à entrée sélective, enfin à ceux des grandes écoles privées accréditées de renom.

Les filières universitaires non sélectives sont fortement dévalorisées, même par leurs lauréats eux-mêmes, avec des arguments proches de ceux des employeurs : à leurs yeux, les études univer- sitaires sont non seulement très difficiles à cause des effectifs surchargés, du manque de moyens et d’enseignants, mais sont aussi présentées comme totalement théoriques et coupées du monde réel, du monde professionnel et des besoins du marché du travail.

Un étudiant marocain n’a pas un niveau de pratique favorable comme à l’étranger, parce qu’ici au Maroc le système éducatif est vraiment dans la chute, le système éducatif marocain vit la chute depuis longtemps, depuis les années 80, c’est-à-dire toujours. Il est trop chargé et au niveau pratique c’est zéro, théoriquement on apprend trop mais en pratique c’est zéro, c’est pour cela qu’on donne toujours avantage aux étudiants qui ont fait leurs études a l’étranger, c’est pour la question de compétences. (Diplômé 5 FG, Li-

cence sciences économiques et sociales, Université)

Ainsi, les représentations des diplômés sont fort semblables à celles des employeurs sur les com- pétences recherchées et l’employabilité des différentes études et filières. Or, il est difficile d’iden- tifier les sources de ces convergences de propos de personnes qui ont a priori peu de contacts entre eux. Il se peut que ces sources soit les médias.