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que le ux mesuré à cette station est représentatif de l'ensemble du bassin Ligure. Outre l'aspect écologique, l'approche probabiliste du SMCE a permis d'identier des ensembles de paramètres idéaux permettant d'expliquer au mieux les observations obtenues par les campagnes en mer, les expériences de laboratoire, ou les deux simultanément (Fig. 3.3). Cette méthode, appliquée à la biologie marine pour la première fois, peut s'avérer perti-nente dans de nombreux domaines scientiques faisant appel à la modélisation.

Les chapitres IV et V, quant à eux, visent à étudier plus précisément les ux de matière entre les proies et les prédateurs. Au cours de ce travail, j'ai optimisé la méthode de culture de P. noctiluca en milieu contrôlé grâce au développement d'un système de cir-culation fermé en eau de mer articielle. La taille des méduses obtenues par ce système de culture est comparable à celles mesurées in situ (taille maximale 11.7 cm), et une sec-onde génération de méduses cultivées exclusivement en laboratoire a pu être obtenue. À partir de ce protocole d'élevage, j'ai étudié le fractionnement isotopique de P. noctiluca, ainsi que de quatres autres espèces de cnidaires, pour déterminer leurs fractionnements isotopiques et ainsi mieux comprendre la position trophique de P. noctiluca. Les résul-tats obtenus ont montré un enrichissement en azote atypique pour l'embranchement des cnidaires par rapport à de nombreux autres organismes marins. Ceci peut s'expliquer par la forme biochimique des déchets azotés produits par les méduses (animaux ammonio-théliques). Les contenus stomacaux et les signatures isotopiques de P. noctiluca prélevées dans la baie de Villefranche-sur-Mer, renforcent également l'hypothèse que ces organismes sont des prédateurs opportunistes, et non sélectifs, se nourrissant sur une grande variété de proies méso-zooplanctoniques.

Je vais maintenant discuter de quatre perspectives de recherche en lien avec les résultats obtenus dans cette thèse.

6.2 Prédire l'évolution de P. noctiluca dans le bassin

Méditer-ranéen

Aujourd'hui, les eets du changement climatique sur les écosystèmes terrestres et marins sont de plus en plus documentés [454]. Le changement climatique semble principalement aecter l'abondance, la distribution spatiale des espèces et par conséquent les interactions proies-prédateurs au sein des réseaux trophiques [20, 32, 33, 140]. Le changement clima-tique aecte diérents niveaux trophiques des écosystèmes marins, du phytoplancton [397] au zooplancton [35] et aux poissons [360], et ce à diérents niveaux, de la physiologie des organismes à l'écosystème dans sa globalité [373]. Pour comprendre l'eet du changement climatique sur une espèce, il est essentiel de connaître sa distribution dans le temps et l'espace. Cependant, cette information est souvent limitée dans le domaine marin, et plus particulièrement pour le plancton, à cause des nombreux biais liés à l'échantillonnage et le

110 CHAPITRE 6: SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES coût élevé des campagnes en mer.

La modélisation de niche écologique permet d'évaluer la distribution spatiale et temporelle d'une espèce via un modèle statistique associant la présence de cette espèce à des vari-ables environnementales qui déterminent la qualité abiotique de son habitat [143]. En eet, la niche écologique d'une espèce se dénit par une enveloppe bioclimatique dans laquelle l'espèce peut survivre et développer une population stable malgré les eets de dispersions et les relations interspéciques [221]. En d'autres termes, les modèles de niches permettent d'estimer la présence potentielle d'une espèce à un endroit donné, en fonction des combinaisons des variables environnementales considérées, et ainsi d'établir des cartes de probabilités de distribution. Plusieurs types de modèle de niche peuvent être utilisés selon le type de données d'occurrences disponibles : présences seules ou présences-absences [143]. Cette approche a longtemps été utilisée en écologie terrestre [409] mais depuis ces dix dernières années elle a démontré des prédictions robustes sur la distribution géographique de plusieurs espèces marines [34,495]. À titre d'exemple, les projections futures réalisées sur une espèce de copépode typique des eaux Nord Atlantique, Calanus nmarchicus, sug-gèrent une progressive réduction de leur distribution spatiale [401]. Néanmoins, ce type de modèle demeure très peu exploité pour décrire et prédire la distribution des méduses. A notre connaissance, seules deux études ont été menées pour analyser la biogéographie et les patrons macro-écologiques de 4 espèces de cnidaires diérentes : Chironex eckeri, Chi-ropsoides buitendijki, ChiChi-ropsoides quadrigatus et Periphylla periphylla [41, 42]. Il serait donc judicieux d'étendre l'approche par modèle niche à l'étude de plusieurs espèces zoo-planctoniques gélatineuses susceptibles d'être favorisées par les changements climatiques, à commencer par P. noctiluca, et d'évaluer l'utilité de cette méthode pour de la prédiction à long terme.

Objectifs :

• modéliser la distribution actuelle de l'espèce P. noctiluca, à l'aide d'un modèle de niche écologique.

• utiliser les scénarii climatiques du "Groupe d'experts Intergovernemental sur l'Évolution du Climat" (GIEC) pour pouvoir prédire les changements potentiels de distribution au cours du XXime siècle, dans un contexte de changement climatique.

Grâce aux travaux réalisés au cours de cette thèse, j'ai pu construire une base de données re-groupant plus de 2700 occurrences de l'espèce P. noctiluca dans le bassin Nord-Ouest de la Méditerranée. Les observations ont été acquises au cours des campagnes en mer (Alchimie, MOOSE, Visufront, WWF) et peuvent être complétées par des bases de données en ligne (OBIS : www.iobis.org, JEDI : http://people.uncw.edu/condonr/JeDI/JeDI.html). Pour calibrer un modèle de niche de P. noctiluca, je propose de récupérer les prédicteurs abio-tiques (température, salinité, bathymétrie et vitesse des courants) disponibles et d'importance

6.2 PRÉDIRE L'ÉVOLUTION DE P. NOCTILUCA DANS LE BASSIN

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écologique pour l'espèce avec une résolution spatiale et temporelle la plus ne possible dans la zone d'échantillonnage. La base de données implémentée contient exclusivement des données de présence. Je propose donc d'utiliser le modèle "Non-Parametric Proba-bilistic Ecological Niche model" (NPPEN; [34]). Ce modèle de niche utilise la distance de Mahalanobis pour mesurer la dissimilarité entre deux occurrences dans l'espace environ-nemental. Il présente l'avantage d'être un test non-paramétrique de permutation qui ne nécessite donc pas de multi-normalité des variables abiotiques prédictives. Toutefois, il sera également intéressant de comparer les résultats obtenus par NPPEN à d'autres modèles de niche car le choix du type de modèle est le facteur qui a le plus d'impact sur la qualité des projections de distribution spatiale [39]. In ne, les modèles pourront être utilisés pour produire, cartographier et prédire les probabilités de présence de P. noctiluca selon diérents scénarii de changement climatique en mer Méditerranée [39].

Tests préliminaires. En collaboration avec Dr. Robin Faillettaz (Laboratoire d'Océanologie et de Géosciences), nous avons réalisé une projection annuelle moyenne de la probabilité de présence de P. noctiluca de 1891 à 2015 à partir de la niche thermique de l'espèce obtenue par les données d'occurrences et le modèle NPPEN (Fig. 6.1). À l'échelle de la mer Méditerranée, les plus fortes probabilités de présence sont situées dans le bassin Ouest et au Nord de l'Adriatique ce qui est en accord avec la distribution connue de l'espèce dans cette région [46,182,244,497] (Fig. 6.1a). Nous avons ensuite calculé les anomalies d'occurence par rapport à l'année moyenne pour chaque année et chaque mois. L'analyse de ces anomalies permet d'observer l'évolution des probabilités d'occurrences sur ces 124 dernières années. D'après les premiers résultats, deux tendances se diérencient : (i) les anomalies de l'hiver/début printemps (janvier à avril; Fig. 6.1b) et (ii) celle de la n du printemps à la n de l'automne (mai à décembre; Fig. 6.1c).

La série temporelle des anomalies des mois de janvier à avril montre un changement de régime avec le passage d'anomalies majoritairement négatives entre 1891 et 1940 à des anomalies principalement positives entre 1940 et 2015. Les variations observées au sein de la tendance générale montrent des pics d'anomalies positives tous les 10 à 15 ans, ce qui serait en accord avec les proliférations observées tous les 12 ans [46,182,497].

La série temporelle des anomalies des mois d'été et d'automne uctue autour de la ligne de référence entre 1891 et 1990 avant de décroître et d'observer des anomalies négatives au cours de ces vingt dernières années. Dans la littérature, les températures propices à l'apparition de blooms de méduses ont été estimées supérieure à 10C en hiver et inférieure à 27C en été [387]. Le changement climatique induit des saisons plus chaudes ce qui pour-rait expliquer une augmentation des anomalies positives l'hiver et celles négatives l'été. Cependant, P. noctiluca arrive à supporter des changements de températures importantes [24].

112 CHAPITRE 6: SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES

Figure 6.1: Représentation (a) des probabilités d'occurrences moyennes estimé par le mod-èle de niche NPPEN sur la période 1981 à 1940 en Méditerranée ainsi que de la série temporelle moyennes des anomalies d'occurrence des mois (b) de janvier à avril et de (c) de mars à décembre

Pour approfondir cette étude préliminaire, il sera primordial de prendre en considération des facteurs autres que la température pour estimer plus précisément la niche écologique de l'espèce, comme la profondeur de la couche de mélange, la vitesse des courants ou la production primaire par exemple. Les données de campagnes et les climatologies perme-ttent ainsi d'estimer l'habitat favorable de l'espèce P. noctiluca (proxy de la niche réal-isée). Cependant, maintenant que nous avons la possibilité de cultiver ecacement l'espèce grâce au système de culture (chapitre IV), il serait intéressant de comparer cet habitat aux conditions optimales de croissance et de reproduction en laboratoire (proxy de la niche fondamentale). Nous pouvons également utiliser les résultats du modèle écophysiologique

6.3 AMÉLIORATION DU MODÈLE ÉCOPHYSIOLOGIQUE 113