• Aucun résultat trouvé

Chapitre II. La modélisation neuronale

II.5. Ajustement aux données

II.5.2. Prédiction de l'activité d'un modèle

La spécification d'un modèle peut se résumer aux 2 équations : 𝑥̇ = 𝑓(𝑥, 𝜃, 𝑢)

ℎ = 𝑔(𝑥, 𝜃)

La première équation décrit la dynamique (non-linéaire) neuronale du modèle par une équation différentielle (multidimensionnelle) qui spécifie l'évolution temporelle de l'état global du système, 𝑥 ≡ 𝑥(𝑡), en fonction de l'ensemble de ses paramètres, 𝜃, et de perturbations (stimulations), 𝑢 ≡ 𝑢(𝑡). La seconde équation correspond à une fonction d'observation : la réponse générale du système, ℎ ≡ ℎ(𝑡), est la prédiction du modèle, directement comparable aux observations expérimentales.

perturbations utilisées dépendent du type d'activité à modéliser. Pour un potentiel évoqué, la stimulation est brève (impulsion) alors que pour une activité de plus longue durée, comme une activité de repos, elle est représentée par un bruit caractérisé.

Une méthode directe pour calculer l'activité du modèle consiste à résoudre explicitement l'équation différentielle 𝑥̇ = 𝑓(𝑥, 𝜃, 𝑢), puis à appliquer la fonction d'observation. Cette méthode est particulièrement adaptée à la modélisation d'activités transitoires de courte durée, comme les potentiels évoqués (quelques centaines de millisecondes). Pour l'étude de régimes permanents de plus longue durée (régime stationnaire ou steady state), comme l'activité de repos, cette technique peut rapidement nécessiter un temps de calcul important, surtout si l'intégration doit être répétée, comme dans une procédure itérative d'optimisation de paramètres (Lemaréchal et al., 2018).

Une alternative consiste alors à considérer le système dans une position d'équilibre et à caractériser la dynamique de cet équilibre par sa réponse à de faibles perturbations, dans le domaine fréquentiel. Pour cela, la dynamique du modèle est linéarisée autour du point d'équilibre 𝑥^ = 0, 𝑓(𝑥^, 𝜃, 𝑢) = 0 :

𝑥̇ = 𝑓(𝑥, 𝜃, 𝑢) = 𝑓(𝑥^, 𝜃, 𝑢) +𝜕𝑓

𝜕𝑥 €𝑥 = 𝑥^. 𝑥 = 𝐴. 𝑥

où 𝐴 est la matrice jacobienne de 𝑓(𝑥, 𝜃, 𝑢) évaluée en 𝑥^. Le système peut alors être caractérisé par sa fonction de transfert 𝐻(𝑠) de l'espace complexe sous la forme :

𝐻(𝑠) =∏(𝑠 − 𝑧.) ∏(𝑠 − 𝑝k)

où les zéros 𝑧8 et les pôles 𝑝g s'expriment en fonction des paramètres neurophysiologiques 𝜃 et des entrées 𝑢(𝑡) du système. La sortie spectrale du système est donnée par :

𝑔(𝑤) = |𝐻(𝑗𝑤)|, avec 𝑗 = −1

Les pôles 𝑝k sont des singularités de la fonction de transfert (elle tend vers l'infini) et sont associés à une superposition de modes dans le domaine temporel. La réponse impulsionnelle de chaque mode est oscillatoire :

𝑝k = 𝛼k+ 𝑗𝜔k ⇒ 𝑒º»+sin (𝜔k𝑡 + 𝜑)

Le point fixe est stable (retour à l'équilibre après une légère perturbation) si la partie réelle des pôles 𝛼k est strictement négative (l'oscillation est atténuée quand 𝑡 → ∞). Dans ces conditions de stabilité, la réponse du système est décrite par la dynamique du point d'équilibre, définie dans le domaine fréquentiel.

Cette approche a été détaillée dans le contexte des modèles (biophysiques) de masse neurale proposés par la boîte à outils SPM. La réponse spectrale d'une colonne corticale constituée de 3 sous-populations et enregistrée en LFP a été évaluée (Moran et al., 2007), et en particulier sa sensibilité (localisation des pôles) aux paramètres du modèle neuronal (efficacité et constantes de temps synaptiques, forces des connexions entre sous-populations, gain de la fonction sigmoïde). Tant que les paramètres neuronaux gardent des valeurs physiologiques réalistes, le système reste à proximité du point fixe (stable) et ne passe pas par une transition de phase (absence de bifurcation). Accompagné d'une fonction de vraisemblance et d'une distribution a priori de ses paramètres, le modèle est ajustable à des observations empiriques et des différences de réponses spectrales observées entre conditions expérimentales peuvent alors s'interpréter directement en termes de paramètres neurophysiologiques (Moran et al., 2008).

Ce formalisme a ensuite été étendu à un modèle global de cerveau entier, formé par l'interaction entre plusieurs colonnes corticales et enregistré en EEG. La fonction de transfert générale se calcule à partir des fonctions de transfert de noyaux élémentaires :

𝜅8`(𝜏, 𝜃) =𝜕𝑢`(𝑡 − 𝜏)𝜕𝑠8(𝑡)

Ces noyaux expriment comment la mesure 𝑠8 enregistrée par le 𝑖è.) capteur EEG, varie en fonction d'une entrée 𝑢` (retardée de 𝜏) dans la 𝑘è.) population du modèle. Cette formulation permet au modèle de générer des prédictions de densité spectrale croisée1, 𝑔8g(𝜔, 𝜃) ∈ ℂ, entre 2 capteurs i et 𝑗. Cette quantité complexe permet alors de dériver le spectre croisé (Moran et al., 2009), la cohérence et le délai de phase associé (Friston et al., 2012) :

Densité spectrale croisée : 𝑔8g(𝜔, 𝜃) ∈ ℂ

Spectre croisé : |𝑔8g(𝜔, 𝜃)| ∈ ℝ

Cohérence : |𝑔8g(𝜔, 𝜃)|

𝑔88(𝜔, 𝜃)𝑔gg(𝜔, 𝜃) ∈ ℝ

Délai de phase : arg (𝑔8g(𝜔, 𝜃)) ∈ [0,2𝜋]

Comme précédemment, les paramètres neuronaux du modèle peuvent être estimés pour ajuster au mieux les prédictions du modèle à des observations expérimentales (Fig. 35). A partir de simulations, Friston et al. (2012) montrent ainsi comment l'utilisation d'une densité spectrale complexe, comparée à celle de son unique module ne prenant pas en compte le délai de phase (Moran et al., 2009), permet en particulier une meilleure estimation des délais de conductions axonaux entre régions.

Fig. 35 Estimation de la densité spectrale croisée. A) Le modèle neuronal est formé à partir des régions bilatérales du globus pallidus (GP) et du noyau sous-thalamique (STN). B) Comparaison entre observations (lignes pointillées) et prédictions

Enfin, il est important de rappeler que ces outils restent avant tout des modèles au sens où la validité des paramètres estimés dépend avant tout de la validité du modèle générateur utilisé et de la définition des mécanismes qu'il implémente. Pour illustrer cet aspect, et synthétiser aussi d'une certaine manière la plupart des concepts présentés jusqu'ici, nous allons décrire, au travers des aspects méthodologiques, l'approche originale développée dans une étude récente (Friston et al., 2017). Un sujet sain est enregistré en IRMf pendant une stimulation visuelle pendant laquelle des points s'éloignent du centre de l'écran. Dans la condition attention, le sujet doit détecter les changements de vitesse de déplacement des points. Dans la condition no attention, le sujet regarde passivement. Pour modéliser les données recueillies pendant ce paradigme, et en particulier une différence entre les conditions attention et no attention, 3 régions ont été sélectionnées : V1 pour l'entrée du stimulus visuel, V5 pour la détection du mouvement et le champ oculaire frontal (frontal eye field, FEF) pour l'effet de l'attention. Chacune de ces 3 régions a été modélisée par une colonne corticale constituée de 4 sous-populations excitatrices et inhibitrices pour former un modèle biophysique global de masse neurale (Fig. 36A). Dans ce modèle, la différence entre les 2 conditions (l'effet de l'attention) est représentée par une modulation (indiquée en rouge sur la figure) de l'inhibition intrinsèque dans les populations pyramidales (superficielles et profondes) de V5. Les paramètres neuronaux du modèle, dont la modulation, sont estimés par ajustement aux observations d'IRMf (Fig. 36B.1). Le modèle estimé est ensuite utilisé avec un modèle direct de type LFP afin de générer les réponses électrophysiologiques associées, pour chaque région, dans le domaine temporel (Fig. 36B.2) et le domaine fréquentiel (Fig. 36B.3). Cette simulation permet de mettre en évidence, au niveau physiologique, les effets de l'attention dans V5 qui se manifestent par une baisse de l'activité alpha (10 Hz) accompagnée d'une augmentation de l'activité gamma (45 Hz).

En retrouvant ces effets de l'attention, déjà connus par ailleurs, cette étude confirme donc, d'une certaine façon, la validité (et le caractère généralisable) du modèle neuronal utilisé.

Fig. 36 Modélisation multimodale d'une tâche visuelle de détection de mouvement. A) Le modèle de masse neurale est constitué de 3 populations (V1, V5 et FEF). Chaque population est modélisée par 4 sous-populations excitatrices (bleu) et une sous-population inhibitrice (rouge). B) Les blocs d'attention sont indiqués par les bandes vertes. 1) Réponses hémodynamiques observées (lignes pointillées) et prédites (lignes pleines) par le modèle dans V1 (bleu), V5 (vert) et FEF (rouge). 2) Dépolarisation membranaire moyenne prédite par le modèle dans V5. 3) Réponses fréquentielles induites prédites par le modèle dans V5. (Friston et al., 2017).