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Comme précédemment souligné, le phénomène d’oreille absolue est un phénomène rare dans la population générale, environ 1 pour 10 000 (Takeuchi &

Hulse, 1993). Chez les musiciens, sa prévalence est estimée comme étant plus

élevée et dépendrait du degré d’expertise musicale: 1/1500 chez les musiciens

amateurs (Profita & Bidder, 1988) et environ 15/100 chez les musiciens

professionnels (Baharloo, Johnston, Service, Gitschier, & Freimer, 1998). Il existe

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un large débat autour du caractère inné ou acquis de l’oreille absolue. Plusieurs

études supposent un lien génétique dans l’acquisition de l’oreille absolue

(Baharloo, Service, Risch, Gitschier, & Freimer, 2000). D’autres études indiquent

un lien chromosomique dans les familles où plus de deux membres ont l’oreille

absolue (Theusch, Basu, & Gitschier, 2009). De plus, le taux de concordance est

plus élevé chez les jumeaux monozygotes que dizygotes (Theusch & Gitschier,

2011). Dans un sondage de plus de 2000 individus, une distribution bimodale de

l’oreille absolue a été observée suggérant que cette capacité puisse être influencée

par un nombre limité de gènes (Athos et al., 2007).

Cependant d’autres auteurs soutiennent que l’oreille absolue peut s’acquérir

durant l’enfance (théorie de l’apprentissage précoce). Ainsi, tout le monde

pourrait développer l’oreille absolue si l’apprentissage pour associer des notes de

musique à un nom se fait pendant une période critique de développement et plus

particulièrement avant l’âge de 5 ans (Miyazaki, 1988 ; Takeuchi & Hulse, 1993).

Certaines études observent que les personnes possédant l’oreille absolue ont eu

un apprentissage musical plus précoce que les personnes ne la possédant pas

(Baharloo, et al., 1998 ; Gregersen, Kowalsky, Kohn, & Marvin, 1999). En accord

avec cette observation, un apprentissage précoce de la musique est souvent

associé à une performance supérieure aux tâches d’identification de notes

(Deutsch, Dooley, Henthorn, & Head, 2009 ; Deutsch, Henthorn, Marvin, & Xu,

2006 ; Miyazaki, 1988).

Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer le phénomène de

l’oreille absolue. Une première hypothèse émise suppose que l’oreille absolue

serait due à une supériorité de discrimination de la hauteur sonore. Néanmoins,

plusieurs recherches ont montré que les capacités de discrimination acoustique

ne sont pas différentes entre les musiciens avec ou sans oreille absolue (Fujisaki

& Kashino, 2002 ; Miyazaki, 2004a). Un mécanisme maintenant largement

accepté est que les personnes avec l’oreille absolue stockeraient en mémoire à

long terme la note et son label dans une sorte de « modèle interne » (e.g.,

Bermudez & Zatorre, 2005). Certains auteurs considèrent que la note stockée en

mémoire à long terme pourrait être associée soit à un code verbal (Burns &

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Campbell, 1994 ; Rakowski, 1993 ; Siegel, 1974 ; Siegel & Siegel, 1977) soit un

code multiple (e.g., auditive, visuel, kinesthésique) (Zatorre & Beckett, 1989). Par

conséquent, les personnes avec l’oreille absolue catégoriseraient l’information

auditive (Levitin & Rogers, 2005). Le fait que les personnes possédant l’oreille

absolue recrutent moins la mémoire de travail pendant des tâches demandant,

par exemple de comparer la hauteur de différentes notes, vont dans le sens de

cette supposition. Cette observation a été faite au niveau comportemental

(Zatorre & Beckett, 1989) ainsi qu’au niveau des structures neuronales

impliquées (Klein, Coles, & Donchin, 1984 ; Wayman, Frisina, Walton, Hantz, &

Crummer, 1992).

Au niveau des aires cérébrales impliquées dans l’oreille absolue, les études

en imagerie corroborent l’idée de mécanismes spécifiques. Une plus grande

activation des régions temporales associées à une expertise auditive et la

catégorisation de sons (Belin, Fecteau, & Bédard, 2004 ; Leech, Holt, Devlin, &

Dick, 2009 ; Liebenthal et al., 2010) est observée chez les personnes possédant

l’oreille absolue. Par exemple, une activité supérieure au niveau du sulcus

temporal supérieur a été observée chez les personnes avec l’oreille absolue lors

d’une tâche de mémorisation de notes (Schulze, Gaab, & Schlaug, 2009). Les

personnes avec l’oreille absolue montrent aussi une plus grande activité du cortex

préfrontal dorso-latéral, régions associées à l’apprentissage conditionnel et

l’identification d’objets (Petrides, 1985). Cette région est activée chez les

musiciens sans oreille absolue dans une tâche d’identification d’intervalles, alors

qu’elle est uniquement activée chez les personnes avec oreille absolue lors

d’identification de notes (Zatorre, Perry, Beckett, Westbury, & Evans, 1998). Une

différence au niveau du planum temporale est aussi observée entre les

possesseurs ou non de l’oreille absolue. Les musiciens avec oreille absolue

montrent une asymétrie gauche du planum temporale plus marquée que les

personnes sans oreille absolue, musiciens et non musiciens (Hirata, Kuriki, &

Pantev, 1999 ; Schlaug, 2001 ; Schlaug, Jancke, Huang, & Steinmetz, 1995 ;

Wilson, Lusher, Wan, Dudgeon, & Reutens, 2009 ; mais voir aussi Keenan,

Thangaraj, Halpern, & Schlaug, 2001).

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2. L’oreille absolue : un sous-type de synesthésie ?

L’oreille absolue étant l’association d’un nom à une note, elle peut être

considérée comme un sous-type de synesthésie (i.e., perception dans une modalité

induite automatiquement par une autre modalité). Il existe en tout plus de 61

formes de synesthésies (Simner, 2010). Dans un tiers des synesthésies, le son est

la perception inductrice d’une autre perception, comme par exemple la couleur

(Hochel & Milán, 2008). L’oreille absolue et la synesthésie sont deux phénomènes

se développant précocement, sous influence génétique et qui requièrent une

association perceptive stable entre deux types de représentations. A part

quelques exceptions, ces deux phénomènes sont la plupart du temps

unidirectionnels. Par exemple, alors que la musique peut induire la perception de

couleur dans la synesthésie ou bien le nom d’une note dans le cas de l’oreille

absolue, l’inverse n’est pas observé dans les deux cas. Cependant, on peut relever

que les associations observées dans la synesthésie sont typiquement personnelles

alors que l’association entre un son et une note est similaire chez toutes les

personnes possédant l’oreille absolue. Néanmoins, des bases communes sont

évidentes dans l’association de graphèmes à une couleur chez les synesthètes et

les non synesthètes (Simner & Ludwig, 2011 ; Simner et al., 2005). L’observation

de l’oreille absolue et la synesthésie chez une même personne a été observée dans

plusieurs cas à travers la littérature (Bernard, 1986 ; Bor, Billington, & Baron

-Cohen, 2007 ; Carroll & Greenberg, 1961 ; Haack & Radocy, 1981 ; Hänggi, Beeli,

Oechslin, & Jäncke, 2008 ; Parker, Cahill, & McGaugh, 2006 ; Vanechkina,

2001). De plus, il semble que ces deux phénomènes reposent sur une connectivité

atypique. En efffet, les résultats d’une étude en Imagerie par Diffuseur de

Tension montrent que les personnes possédant l’oreille absolue comparativement

à des musiciens ne la possédant pas, présentent un phénomène d’hyper

-connectivité entre les aires primaires et associatives (Loui, Li, Hohmann, &

Schlaug, 2010). Dans cette étude, une corrélation est également observée entre la

capacité à identifier correctement des notes et le volume de fibres connectant les

régions supérieures temporales chez les personnes avec l’oreille absolue. De

même, une augmentation de la connectivité structurelle (Rouw & Scholte, 2007)

ainsi qu’une augmentation du volume des matières grises sont observées dans les

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synesthésies graphème-couleur (Weiss & Fink, 2009) et dans les cas de

synesthésies multiples (Hänggi, et al., 2008).

3. L’oreille absolue dans l’autisme

Bien qu’il n’existe pas d’études épidémiologiques sur ce sujet, la prévalence de

l’oreille absolue dans l’autisme est estimée à environ 1/20 (Rimland & Fein,

1988). Le phénomène d’oreille absolue dans l’autisme a été majoritairement

décrit via l’étude de personnes savantes possédant l’oreille absolue. Comme

mentionné précédemment, le syndrome savant et l’autisme sont souvent associés

(Hermelin, 2001). L’étude de personnes autistes savantes musiciennes a permis

de mettre en évidence une acquisition particulière de l’oreille absolue ainsi que

des mécanismes qui semblent distincts de ceux observés dans la population

typique (Heaton, Davis, et al., 2008 ; Mottron, Peretz, et al., 1999 ; Sloboda, et

al., 1985 ; Young & Nettelbeck, 1995). Tout d’abord, plusieurs cas de personnes

autistes développant l’oreille absolue sans apprentissage préalable ont été

rapportés (Brenton, Devries, Barton, Minnich, & Sokol, 2008 ; Young &

Nettelbeck, 1995). De plus, les personnes autistes possédant l’oreille absolue

montrent souvent des capacités auditives supérieures à celles des personnes

contrôles. Ceci est d’autant plus surprenant que cela ne semble pas être le cas

chez les personnes typique possédant l’oreille absolue (Bachem, 1955 ; Miyazaki

& Rakowski, 2002 ; Vangenot, 2000). Par exemple, ces personnes autistes sont

capables de nommer les sons de leur environnement (Brenton, et al., 2008 ;

Heaton, Davis, et al., 2008). Elles ont souvent des performances quasi parfaites

dans les tâches de discrimination de sons (Heaton, Davis, et al., 2008 ; Heaton,

Williams, Cummins, & Happé, 2008 ; Young & Nettelbeck, 1995). Par exemple,

AC (Heaton, Davis, et al., 2008), personne autiste savant possédant l’oreille

absolue et parlant plusieurs langues, est capable d’identifier la fréquence

fondamentale de mots en français et en anglais et ses performances dans cette

tâche dépassent de plus de 6 écart-types celles des contrôles possédant aussi

l’oreille absolue. Ces descriptions semblent donc indiquer que l’oreille absolue

apparait dans l’autisme sans apprentissage musical préalable. De plus, il

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semblerait que les capacités auditives de ces personnes semblent dépasser leur