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CONCLUSION GÉNÉRALE

Chapitre 7 Le rôle de l’Homme apparaît

7.1 Préadaptation de populations à l’invasion ?

7.1.1 Un effet vraisemblable du changement de compartiment dans la

zone d’origine dans le succès d’invasion

Les toutes premières observations de l’insecte en Europe ont été faites dans les milieux urbains (Krüger 2008, Van der Straten & Muus 2010, Casteels et al. 2011, Salisbury et al. 2012,

Brua 2014), où C. perspectalis s’est très vite établi (probablement en l’espace de 2 ans) (Krüger

2008) et s’est propagé par la suite dans les zones avoisinantes (Leuthardt et al. 2010). Cela suggére soit une adaptation très rapide au nouvel environnement, soit l’existence d’une préadaptation des populations introduites. Les données mitochondriales ont montré que la diversité génétique observée au sein des populations de la zone envahie correspondait à celle présente au moins dans les milieux urbains en Chine, aucun échantillon n’ayant pu être obtenu des forêts naturelles de buis en Asie. Il est ainsi probable que ce soit des populations provenant de milieux anthropiques qui aient été introduites depuis la Chine. Le changement de compartiment de l’insecte, passant du milieu forestier au milieu urbain en Asie (Maruyama & Shinkaji 1993, Li 1994, Zhou et al. 2005, Kawazu et al. 2007, Wang 2008, Kim & Park 2013), a ainsi pu favoriser l’adaptation de certaines populations à des milieux perturbés, voire sélectionner certains individus plus résilients, menant à des populations plus aptes à devenir envahissantes. Ce phénomène de préadaptation dans la

zone d’origine est désigné sous le terme de « Anthropogenically induced adaptation to invade

(AIAI) ». Il suggère que la perturbation de l’environnement par les activités humaines pourrait

favoriser l’évolution d’une espèce ou de certaines de ses populations, et faciliter ensuite l’invasion dans d’autres environnements anthropiques (Hufbauer et al. 2012). Le suivi d’espèces s’attaquant à des buis sentinelles plantés dans une zone de pépinières proche de la région de Beijing et dans

une zone semi-forestière près de Fuyang (Zhejiang) a souligné la capacité de C. perspectalis à

coloniser rapidement un nouveau milieu au sein même de sa zone d’origine, puisqu’on a pu observer 100% de défoliation à Pékin et 48% à Fuyang (Kenis et al. 2018). Les différences de défoliations entre les sites pourraient s’expliquer par le type de milieux environnants chaque site (milieu urbain à Pékin et milieu forestier à Fuyang). Il est possible que les individus de milieu urbain, où la plante hôte n’est naturellement pas présente, aient une meilleure capacité à coloniser de nouveaux milieux car ils ont dû s’adapter aux perturbations humaines à l’inverse de ceux présents dans les forêts de buis naturelles proche du site de Fuyang (Fang et al. 2011). Une telle préadaptation liée au changement de compartiment dans la zone d’origine a été mise en

évidence chez la fourmi de feu Wasmannia auropunctata, introduite en Israël, à Hawaï et à Tahiti

(Rey et al. 2012, Foucaud et al. 2013). Des études ont en effet montré que les fourmis présentes dans les milieux anthropiques avaient une meilleure tolérance au froid que celles présentes en milieu forestier, ce qui aurait ensuite favorisé leur invasion en Israël. De même, des individus

d’Agrile du frêne Agrilus planipennis, ont été observés sur différentes espèces américaines de

Fraxinus plantées comme ornement dans les villes chinoises, bien avant son introduction en

préadaptation de certains individus à un nouvel hôte ayant pu favoriser son invasion par la suite. Néanmoins, cette théorie de AIAI est récente et requiert d’étudier en premier lieu les populations issues des zones sources probables, puis de comparer leurs traits biologiques avec ceux de populations envahissantes pour démontrer les effets de la préadaptation dans le processus d’invasion, que ce soit dans la zone d’origine de l’insecte ou dans sa zone d’introduction. Les résultats obtenus au cours de cette thèse ainsi que les données historiques documentant l’invasion, incitent donc à tester cette hypothèse chez la pyrale du buis.

7.1.2 Admixture dans certaines populations urbaines en Chine

Les données génétiques obtenues et la structure génétique observée dans la zone d’origine sous-entendent que les populations collectées dans la partie côtière de la Chine sont génétiquement différentes de celles obtenues de Corée du Sud et de la partie Sud-Ouest de la Chine. Les analyses mitochondriales et microsatellites suggèrent l’existence d’un phénomène

d’admixture entre 2 populations dans cette zone, dont une, a minima n’aurait probablement pas

été échantillonnée dans notre étude. La partie côtière de la Chine est la plus peuplée du pays avec

à la fois des provinces commerciales importantes (e.g. Beijing, Shanghai, Zhejiang) (Figure 17), 3

des 6 provinces productrices de buis (Guangdong, Zhejiang et Jiangsu), mais aussi la présence de

ports où transitent un grand nombre de marchandises (e.g. Shanghai, Hong Kong, Canton province

du Guangdong) (Roques 2010a, Lu et al. 2018).

Figure 17. Produit Intérieur Brut (PIB) en Yuan (CNY) donné pour chaque province chinoise pour les années 1997 et 2015. En 2015, 1 dollar correspondait à 6,61 Yuan.

(source des cartes : 1997, http://shaneleavy.blogspot.com/2010/12/coastlines-climate-and-coin.html; 2015, https://cdn.static-economist.com).

Les activités humaines au sein de la zone côtière ont ainsi pu favoriser le brassage génétique entre différentes populations natives par le biais du commerce de buis au sein même

Chapitre 7 – Le rôle de l’Homme apparaît déterminant dans l’invasion et la propagation fulgurante

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génétiquement composites. Le mélange génétique au sein des populations envahissantes est souvent avancé comme favorisant leur adaptation et l’apparition d’hétérosis, c’est-à-dire l’augmentation des capacités des descendants par rapport à leurs parents (Verhoeven et al. 2010, Rius & Darling 2014). Un tel phénomène a déjà été observé chez d’autres insectes où la

combinaison de 2 populations natives a donné lieu par la suite à une population envahissante (e.g.

Lombaert et al. 2014, van Boheemen et al. 2017). On peut ainsi imaginer que si ce phénomène s’est produit au sein des populations natives de pyrales du buis, cela a pu permettre à l’insecte non seulement de coloniser plus facilement certains milieux urbains, mais aussi de favoriser le

développement de certaines capacités (e.g. dispersion, reproduction), le rendant plus apte à

l’invasion (Figure 18).

Figure 18. Schéma montrant les préadaptations d’une espèce dans sa zone native en fonction des activités humaines. 1) L’espèce colonise par elle-même le milieu anthropique résultant d’une adaptation locale de certains individus (théorie AIAI). 2) Certains individus géographiquement éloignés sont introduits volontairement ou involontairement dans le milieu anthropique et remis en contact, se traduisant par de l’admixture au sein des populations anthropiques. La couleur verte représente le milieu anthropique, les flèches grises représentent la colonisation de ce milieu par l’espèce, et les flèches noires correspondent au transport et à l’introduction d’individus par l’Homme.

L’association possible d’une préadaptation au milieu anthropique chinois et la présence

d’admixture au sein des populations natives nord côtière a pu favoriser l’invasion de la pyrale du

buis en Europe (Figure 18). L’étude de la structuration génétique des populations natives du milieu

forestier comparée à celle des populations présentes en milieu urbain permettrait dans un premier temps de mieux estimer le changement de compartiment et ses conséquences sur l’insecte. Dans un deuxième temps, la comparaison des traits biologiques entre populations forestières natives, populations « anthropisées » de milieux urbains asiatiques et populations envahissantes permettrait de tester si ces populations présentent des caractéristiques adaptatives différentes.