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Pouvoir se reconnaître

Dans le document Culture et élargissement (Page 127-130)

Une fois la volonté de se connaître acquise, il faudra pouvoir se reconnaître selon ses spécificités propres, par le biais de relations mûres et conscientes entre Est et Ouest, relations qui n’aboutissent pas seulement à un processus d’adhésion techniquement efficace, mais aussi à un processus d’intégration culturellement opérateur.

Certes, les candidats interviennent tous comme acteurs d’un même projet, mais non pas comme acteurs anonymes qui se distingueraient les uns des autres grâce aux différences entre leur PIB. Sans vouloir rentrer dans une fausse polémique, par-dessus le marché révolue, qui verrait l’économique, l’institutionnel, le culturel agir sur des plans nettement séparés, nous croyons que chaque niveau doit occuper sa juste place surtout dans cette délicate phase de transition. Bien sûr, au préalable nous prenons en compte le possible phénomène du spillover, et plus encore, nous estimons que chaque niveau non seulement peut influencer l’autre, mais qu’il contient déjà in nuce des éléments de

126 Danilo KIS, “Variations sur le thème d’Europe centrale”, Danilo, KIS (Ed.) Homo Poeticus, Fayard, Paris, 1990, p.88.

l’autre. Toutefois, cette androgynie des indicateurs de la transition ne suffit pas à justifier un déficit dans la prise en compte de l’élément culturel qui trop souvent semble n’avoir qu’un rôle ornemental, comme celui des bibelots sur une cheminée, plutôt qu’un rôle substantiel, comme celui du feu dans la cheminée, c’est-à-dire l’élément qui lui donne du sens. Ainsi, loin de prôner l’élimination des paramètres établis pour mesurer le degré d’avancement des pays candidats, nous attirons l’attention sur un équilibre équit able entre les différents domaines et sur une mise en action plus efficace des instruments culturels qui deviendraient alors des accélérateurs du processus127.

Or l’action culturelle intervient sur un substrat complexe, ravagé par le totalitarisme soviétique qui avait, dans ce sens, avant tout opéré une homogénéisation forcée : “Russians are not only Russsian, nor Poles Polish, Germans German, nor the lot of them simply human.

They are resident of societies which all underwent between 40 and 70 odd years (very odd years) of communist rule. This was something special that they had in common, and that other societies did not have”128.

Si cette tendance à l’uniformisation postule la naissance de l’homo sovieticus, il faut néanmoins se demander sur quels types de situations le joug soviétique allait peser. Il serait faux de gommer toutes les liaisons entre les pays de l’Est ; Joseph Szili remarquait, en effet, que parmi les pays qualifiés d’orientaux, il existe depuis toujours un réseau de rapports si denses qu’ils constituent une sorte « d’unités régionales » pour ce qui concerne leur structure culturelle et leur développement historique129. Unis sans être uniformisés, les pays de

127 Il serait trop long ici de répondre à la question concernant qu’est ce qu’on peut faire d’un point de vue pratique pour contribuer à l’élargissement culturel. Les expériences sont multiples. Pour ce qui est, par exemple, du développement culturel par le biais académique nous renvoyons au livre de Rose-Marie LAGRAVE, Voyage aux pays d’une utopie déchue – plaidoyer pour l’Europe centrale-, PUF, Coll.

Intervention philosophique, Paris, 1998.

128 Piotr, SZTOMPKA “The Cultural Core of Post-Communist Transformation”, p. 207

129 Joseph SZISLI, “Recent Trends of Marxist Critic ism in the Countries of Eastern Europe”, S.G. NICHOLS R.B. VOWELS

l’Europe centrale et orientale, malgré toutes les ingérences externes, ont pu garder quelque chose de leur identité car, comme l’écrivait Tolstoï en ouverture de son célèbre roman Anna Karenina “Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa façon”. Cependant, la source du malheur est toujours la même, c’est-à-dire l’imposition soviétique, qui fait bientôt émerger une envie suffoquée d’Europe : “Pour les pays d’Europe centrale, cela voulait dire rompre systématiquement leurs liens historiques avec la culture occidentale et s’embarquer dans une russification culturelle.

L’art, la littérature– tout devait avoir un but politique”130.

Comment après avoir vécu dans ce climat de refoulement et de renonciation pouvoir se reconnaître comme une identité culturelle ? Est-ce que cette Europe existe131 et comment se définit-elle ? Composés par la superposition de la réminiscence de la bloc culture, d’une renaissante national culture et de l’influence croissante de la western globalized culture les pays de l’Europe centrale et orientale ne peuvent se reconnaître aujourd’hui que s’ils assument leur nature composite, à laquelle, soit dit en passant, contribuent aussi et de manière irréfutable les minorités132, et la stratification culturelle qui leur est propre. Se reconnaître est donc fondamental, mais, pour que leur identité croisse et se renforce, ces pays nécessitent aussi d’une __________________

Comparatists at Work. Studies in comparative Literature Toronto London, Blaisdell Publishing Company, 1968, p.70 cité par Carla VALENTINO.

Idee d’Europa nella cultura letteraria del Novecento, Edizioni Dimensione Europea/ ED. – ROMA, 1990

130 Jacques RUPNIK, L’Autre Europe– Crise et fin du communisme, Editions Odile Jacob, 1993 (nouvelle édition), p. 271

131 Parmi d’autres spécialistes, Thimothy GARTON ASH, alors que la transition se dessinait à peine, se posait cette question dans l’article “Does central Europe Existe ?” George SCHÖPFLIN et Nancy WOODS (Eds), In Search of central Europe, Cambridge, Polity Press.

132 Conscients de l’ampleur de la problématique concernant les minorités en Europe centrale et orientale, nous avons choisi de ne pas l’aborder dans ce contexte. Rappelons simplement que le « patchwork » ethnique qui caractérise cette région a des répercussions très importantes non seulement au niveau juridique, le respect de minorités étant un des indicateurs du progrès démocratique, mais aussi au niveau culturel.

reconnaissance extérieure. Ce sera seulement la reconnaissance venant de l’extérieur, capable donc de renvoyer le reflet de leur image, qui permettra d’aboutir à une intégration réussie.

Dans le document Culture et élargissement (Page 127-130)