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Position et représentation des professionnels face au dépistage

C. Comparaison des résultats aux données de la littérature

3. Position et représentation des professionnels face au dépistage

De nombreuses études [1], [6], [11], [35] valorisent le rôle clé des professionnels de santé, spécifiquement des sages-femmes et des gynécologiques-obstétriciens, dans le dépistage des violences en périnatalité par la fréquence des consultations prénatales et par le désir des femmes de mener à bien leur grossesse et de protéger l’enfant à venir. Dans l’étude de Baird et al [35], les sages-femmes interrogées valorisent leur rôle à dépister et à offrir dans un premier temps aux femmes victimes, l’occasion de parler et d’être écoutées puis de les orienter vers d’autres professionnels pour les prendre en charge. Selon une étude de la

rôle important à jouer dans le cadre du dépistage des violences et 97 % estiment qu’il est de leur responsabilité de le faire. Dans notre étude, les professionnels de Caen et de Saint-Lô s’accordent pour admettre qu’ils ont bien un rôle primordial dans le DS des violences puisque 88,9 % (n=40) des praticiens de Caen avouent se sentir impliqués dans cette lutte de façon modérée à importante. Concernant Saint-Lô, quatre professionnels sur les six interrogés se disaient impliqués dans cette grande cause nationale avant la mise en place du DS et l’ensemble de ces praticiens ont réussi à développer ce DS par la suite. Voici leur vision des choses aujourd’hui :

« Mais d’un autre côté ça peut être là où elle se dit bon bah j’en ai marre ! Là je protège mes enfants donc ça peut être la période décisionnelle !! En plus c’est le seul moment où elle vient régulièrement et elle a raison au

moins pour se faire aider, se faire suivre, même si elle va pas dévoiler à la première consultation. » (C) « On a un contact quand même privilégié avec les femmes donc je me disais c'est peut-être notre rôle, c'est

peut-être un moment où elles peuvent avoir euh cette perche qu'on leur tend euh et qu'un autre moment n'existe peut-être pas donc voilà ça peut être le moment opportun. […] La sage-femme est au cœur de tout ça

donc on est bien au premier plan. » (E)

Selon notre étude auprès des sages-femmes et des obstétriciens de Saint-Lô, l’implication et la sensibilisation des professionnels dans cette lutte semblent constituer des points de départ primordiaux pour permettre la mise en place du DS. Par ailleurs, la motivation des praticiens du CHU de Caen a été constatée par la demande de formation sur ce thème pour 43 d’entre eux. Les formations sont-elles la réponse à cette intégration du DS ?

b. Quelle place pour la formation ?

Selon le Pr Henrion [17], les professionnels de santé semblent manquer de

connaissances sur le mécanisme des violences pendant la grossesse, sur le cadre législatif ou encore sur l’orientation des femmes victimes. Ils rédigent mal le certificat médical et ne donnent pas de renseignements utiles. De plus, une étude parue dans la Presse Médicale, en 2004, affirme que les professionnels ne connaissent la violence qu’à travers des traces physiques, au détriment des conséquences psychiques et physiques dissimulées. Cet article a

aussi mis en évidence leur méconnaissance de la finalité des outils de prise en charge. [36] En

effet, selon notre étude, 31,1 % des professionnels de Caen avouent manquer de connaissances et 68,9 % (n=31) n’ont jamais reçu de formation sur ce thème, des résultats similaires à ceux de l’étude réalisée en 2014, par la MIPROF, puisque 70 % des sages-femmes n’avaient jamais reçu de formation [29].

Néanmoins, la majorité des sages-femmes et gynécologues-obstétriciens de Caen ont des notions des conséquences obstétricales des violences passées ou actuelles, pendant la grossesse. Leurs idées (vaginisme, mauvais suivi de grossesse, MAP, RCIU, RPM, décollement placentaire...) concordent avec les données du Pr Silverman et du Pr Henrion [6], [17], [21]. Ils ont également des connaissances sur le nombre de femmes mourant sous les coups de leur conjoint (64,4 % ont bien répondu) et 55,5 % répondent correctement à la question sur la possibilité de lever le secret professionnel lorsqu’ils font face à une femme enceinte victime de VC. Cependant, on observe tout de même un manque de connaissances puisque les professionnels de Caen sous-estiment largement le taux de femmes victimes de violences dans la population générale, seuls 26,7 % (n=12) ont une vision réaliste.

Les praticiens de Caen et de Saint-Lô pensent à juste titre que les violences passées ont un impact sur la grossesse actuelle et 73,3 % des praticiens de Caen pensent que la grossesse est un facteur aggravant ou déclenchant les violences au sein du couple.

Nous constatons que peu de professionnels ont, durant leurs études ou au cours de leur vie professionnelle, bénéficié d’un apport théorique et pratique sur les violences. Cependant, même sans formation préalable, les professionnels semblent être sensibilisés au sujet. La problématique des violences faites aux femmes étant un véritable problème de santé publique, elle est aujourd’hui rendue visible par les campagnes de sensibilisation. Ce qui explique pourquoi les sages-femmes et les gynécologues-obstétriciens ont des notions relatives à ce sujet, au même titre que dans la population générale. Les professionnels ont des connaissances uniquement empiriques et ce manque de connaissances théoriques les conduit à ne pas pouvoir appréhender adéquatement les victimes de violences et le DS.

A Saint-Lô, le DS a été encouragé par plusieurs professionnels d’obstétrique après s’être rendus à une formation de sensibilisation. Ils ont ensuite pu bénéficier d’une ou plusieurs formations lors de la mise en place du DS ou quelques semaines après. Cependant, avant la mise en place du DS, quatre professionnels sur six se disaient sensibilisés aux violences faites aux femmes alors que ces derniers n’avaient pas reçu de formation auparavant. Et pourtant, même sensibilisés, ils manquaient de connaissances sur la prise en charge réelle et sur le mécanisme des violences, comme actuellement à Caen pour 73,9 % des professionnels ayant déjà été confrontés à des victimes (n=23).

Les besoins de formations concernent quasiment tous les professionnels de Caen puisque 95,6 % en font la demande. Parallèlement, les sages-femmes ayant participé à l’étude

de la MIPROF [29] sont 84 % à souhaiter des formations sur les violences faites aux femmes.

L’étude de Baird et al, en 2013, [35] montre de nombreux bénéfices post-formation. Nous relevons notamment l’amélioration des connaissances théoriques, la perception plus juste de la prévalence de femmes victimes, des conséquences de la violence et la compréhension des cycles de la violence. Ce savoir supplémentaire permet à certaines peurs de s’effacer et renforce la confiance que les sages-femmes ont en elles-mêmes, vis-à-vis non seulement du dépistage, mais également de leur attitude face à la prise en charge. En effet, à Saint-Lô, la formation reçue et la sensibilisation des professionnels, les ont beaucoup aidés à s’impliquer davantage et à bien percevoir leur rôle. Après la mise en place du DS, quatre professionnels sur les six interrogés trouvaient que leur sensibilisation était importante grâce aux formations reçues par la MIPROF, par le Dr. Muriel Salmona ou encore par le médecin légiste de l’UMJ de Saint-Lô, le Dr. Remoué. Les personnes ayant antérieurement bénéficié d’une formation sur les violences ont donc une meilleure connaissance de la thématique incitant la pratique du DS :

« Parce qu'aujourd'hui on commence à être suffisamment sensibilisé, on en parle de plus en plus ! » (C) « Donc avant le dépistage systématique et les formations je ne posais pas la question directement mais seulement quand j'étais attiré par un contexte, une allure ou un ressenti non verbal. Euh et évidemment une

sous-estimation euh je suis passé à côté forcément de plein plein de situations ! » (D)

« Je pense que c'est plus au cours de mes formations euh récentes que j'ai su [soupire] mais oui j'ai cette notion hein que les formations m’ont aidé à appréhender les violences, les mécanismes, la prise en charge et l’intérêt

surtout ! » (E).

Le même résultat a été observé dans le mémoire de Mme Delespine [33], la

sensibilisation des professionnels sur les violences (par une formation) les incitait à une pratique de dépistage plus fréquente.

D’ailleurs, actuellement, cinq praticiens de Saint-Lô ne souhaitent pas recevoir de formations supplémentaires alors que deux ans auparavant tous les professionnels interrogés ne se sentaient pas capables de faire un DS sans formation préalable :

« Aujourd’hui je pense que la formation ne manque pas, que l'information ne manque pas. Parce que là je pense honnêtement qu'il n'y a rien à améliorer il faut juste y aller et pratiquer !! » (C).

Un professionnel de Saint-Lô souhaite uniquement savoir mettre en pratique la demande de signalement et la rédaction d’un certificat médical de déclaration de sévices.

L’étude réalisée dans la Manche et le Calvados [34] auprès de 21 médecins généralistes

confirme cette nécessité d’apprentissage d’un savoir-faire et d’un savoir-être : savoir comprendre la violence et analyser ses propres limites pour permettre une prise en charge optimale. La formation est alors un réel outil pour se sensibiliser et acquérir de nouvelles connaissances. Ceci valide alors notre troisième hypothèse : « les professionnels de santé manquent de connaissances sur ce sujet et ne sont pas assez sensibilisés, ce qui est un frein à l’intégration du DS ». Les professionnels de Caen affirment que le manque de connaissances est un réel obstacle à la mise en place du DS. En effet, même si certaines représentations de ces professionnels sont correctes, elles ne semblent pas leur suffirent pour appréhender les victimes enceintes.

Parmi les professionnels de Caen, seulement 62,2 % estiment qu’une femme ayant subi des violences au cours de sa vie présentent des troubles psychotraumatiques alors que cela

concerne près de 100 % des femmes victimes. [7], [13] La définition des troubles

psychotraumatiques n’est peut-être pas très claire pour 37,8 % des professionnels. De plus, seulement 16 professionnels pensent que les violences subies sur une femme enceinte sont un risque de rupture utérine ; seulement 18 % pensent que les violences passées peuvent avoir pour conséquence un accouchement sous le secret et 79,1 % pensent que ces violences peuvent avoir pour conséquence une déclaration tardive de la grossesse alors que ce dénouement correspond régulièrement à un signe de violence au cours de la grossesse actuelle. D’ailleurs, les professionnels de Caen sont peu nombreux à avoir répondu qu’il n’y avait pas de signes évidents pour repérer les femmes enceintes victimes (n=6) ou ayant été victimes de violences (n=9) ce qui témoigne de leurs méconnaissances quant au fait qu’il n’y ait pas de profils types de femmes victimes. Ces notions approximatives mises en évidence et la demande importante des professionnels d’une formation supplémentaire sur ce thème confirme le manque de connaissances des praticiens de Caen.

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