• Aucun résultat trouvé

Poséidon Phutalmios : quelle fertilité ?

Cette épiclèse poséidonienne Phutalmios151 se forme sur phuô152, verbe employé pour signifier toute source de vie et dont le sens, selon A. Burger, n'a jamais cessé de signifier croître même quand il est utilisé chez les Tragiques au

149F. Schachermeyr, Poseidon, pp. 13 sqq. voit dans Poséidon (surtout l'Hippios, ce dieu du cheval), une divinité fortement reliée avec le monde infernal. Voir également sur ce dossier M. Detienne, "Le Mors éveillé", pp. 181 sq. On ne saurait en tout cas le généraliser comme une divinité attachée vraiment au monde infernal.

150Voir les occurrences dans le H.G. Liddell & R. Scott et supra notes 128-129 pour différents exemples.

151Qui est également portée par Zeus, Dionysos et Apollon (W.H. Roscher, Lexicon, s.v. futavlmio" 3, 4 et 5).

152P. Chantraine, s.v. fuvomai : son sens actif est "faire pousser, faire croître, faire naître, produire" ; futovn-ce qui pousse s'emploie à propos des végétaux et "au fig. dit des humains : rejeton, créature" ; *fu-tal-*instrument de croissance. Il recense que Futavlio" est l'épithète de plusieurs divinités, avec "dérivation en -mio", qui fait pousser, grandir, pour Poséidon et Zeus".

Autour du Phutalmios

sens de mettre au monde, naître, en soulignant alors l'engendrement153. En Attique, nous avons seulement trace d'un prêtre de Poséidon Phutalmios154,

mais on sait combien cette personnalité fertilisante du dieu est populaire dans toute la Grèce, sur l'île de Ténos155, à Trézène156 ainsi qu'à Lindos157 ou même à

Erythrée158. Et si Athènes ne nous donne pas réellement d'indications sur le

déroulement de son culte ou sur la place calendaire de ses rituels, il faut néanmoins essayer de circonscrire dans nos sources la personnalité de ce Poséidon Fertilisant, car on le voit présider à la naissance de l'eau, s'imiscer dans les fêtes agraires et aider à la pousse des plantes.

A quelle fertilité va pouvoir présider Poséidon, comment s'inscrit-il en polarité avec les autres divinités attachées aux fruits de la terre ? C'est ce que nous nous proposons de regarder.

153Pour les Tragiques, voir pour exemple Soph., O.C., 151 : le chœur s'adressant à l'aveugle Œdipe : "es-tu tel de naissance ?" (aj'ra kai; hj'sqa futavlmio") ; les différents exemples sont rassemblés par l'auteur in Les Mots de la famille de fuvw en grec ancien, pp. 15-17, ibid., 55 et ibid., 62-65 avec les différentes formes verbales.

154Dont le nom est inscrit sur un siège du théâtre de Dionysos in IG II2 5051 : iJerevw" Poseidw'no" Futalmivou.

155A Ios, IG XII5 13 : dédicace sur marbre avec la seule mention de l'épithète. Le dieu étant fortement honoré dans cette localisation, le rapprochement pourrait être fait, mais il est plus qu'incertain. Selon R. Etienne, Ténos I, p. 182, le Phutalmios serait plus à rapprocher de Dionysos puisqu'il "semble bien que cette épithète concerne essentiellement Dionysos", en s'appuyant sur RE, s.v. Phutalmios. C'est pour cela qu'il doute "de l'attribution" à Poséidon. Nous avons déjà vu combien cette appellation pouvait être poséidonienne, et pas seulement dionysiaque. L'épithète pourrait alors, à la lumière de nos autres informations, concerner le dieu de Ténos.

156Paus., II.32.8 : son sanctuaire se trouve en dehors des murs (ejvsti de; ejvxw teivcou" kai; Poseidw'no" iJero;n Futalmivou). Pour sa prêtrise, voir l'inscription IG IV 797,5 : iJ]ereva Futal[mivou Po[seidw'no" ajret[h'" eJv]neken ajfhvrw/sen .

157IG XII1 905 = LSCG 140, 2-3 : Poteida'ni Futalmivwi uJ'" tevleo", extrait d'un calendrier cultuel du IIIè siècle av. J.-C. au mois Theudaisios (le 6), qui était dédié à Poséidon (voir A.E. Samuel, Greek and Roman Chronology, pp. 107-110).

Autour du Phutalmios

Avant tout, l'eau

Ancrons-nous tout d'abord dans le domaine de l'eau qui, dispensatrice de fertilité, incarne aussi souvent dans le discours des Anciens l'origine de la vie. Cela va nous permettre de discerner les implications de Poséidon dans la terre attique quand il devient le Phutalmios. En ce début de parcours, nous choisissons de relire un extrait de Cornutus car, selon cet auteur, tout principe fécondant est en effet relié à l'eau159. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on

invoque Poséidon comme le Fertilisant (Futavlion), car c'est lui qui préside (paraitiva) au principe humide (ijkma;") qui fait croître les fruits de la terre. Ce principe humide160 est appelé par M. Detienne "humeur de vie" dans son

analyse de l'exubérance dionysiaque161 : ikmas incarne la sève, le suc, ce bouillonement vital qui permet la croissance des végétaux et qui apparaît aussi dans le Corpus Hippocratique comme le symbole de la vie162.

Un passage de Plutarque est comme un écho à cette information : il mentionne que Poséidon et Dionysos sont honorés de pair car ils partagent le "principe humide et fécond"163, alors solidaires dans l'humidité qu'ils

159De Nat. Deor., 22 : prw'ton me;n ouj'n futavlion aujto;n ejpwnovmasan ejpeidh; tou' fuvesqai ta; ejk gh'" genovmena hJ ejn aujth'/ dhlonovti ijkma;" paraitiva ejstivn.

160Voir Hsch., s.v. ijkma;"/ uJgrasiva, uJgrovth", uJgra; stagwvn (goutte).

161L'Ecriture d'Orphée, p. 70 : ce mot appartient au vocabulaire dionysiaque avec dunamis et incarne bien selon l'auteur la "poussée exubérante" du dieu.

162Pour exemple parmi tant d'autres : Hpc., Aër., VIII.3 (ijkmav" désigne l'humeur) et id., Peri Pous., VII.2 (la maladie des os qui se déssèchent et perdent de l'humidité : ijkmav").

163Quaest. Conv., V.3.1 (675 E-F) : "les deux dieux sont, en effet, considérés comme les maîtres du principe humide et fécond, et tous les Grecs pour ainsi dire sacrifient à Poséidon Phutalmios et à Dionysos Dendritès" (ajmfovteroi ga;r oiJ qeoi; th'" uJgra'" kai; gonivmou kuvrioi dokou'sin ajrch'" eij'nai: kai; Poseidw'ni ge Futali'w/ Dionuvsw/ de; Dentrivth/ pante;" wJ" ejvpo" eijpei'n JvEllhne" quvousin). Les attributions portent sur l'uJgrov"-ce qui est mouillé, humide et govnimo"-ce qui est capable d'engendrer, fécond, génératif, de govno"/givgnomai). Dionysos est le dieu de l'humide dans nos sources, facette fort diffusée du dieu et étudié par W.F. Otto, Dionysos, pp. 161-179 et surtout M. Detienne, L'Ecriture d'Orphée, pp. 61-70 ; pour les sources, voir par exemple, Plut., I. et O., 34 (365 A) qui montre bien les interactions entre humidité, semence masculine et procréation ; voir aussi ibid., 34 (364 D) (pavsh" uJgra'" fuvsew") ainsi que Var., Cité, 7.21. On trouve déjà Poséidon associé à la fécondité, à l'engendrement aussi avec le verbe gignomai, dans ses appellations Genesios (Paus., II.38.4) ou Genethlios (Paus., III.15.10). Poséidon est bien souvent associé à Dionysos qu'il rejoint on l'a déjà remarqué dans le surgissement,

Autour du Phutalmios

dispensent à la terre, mais aussi dans la fécondité et la procréation. Un fragment de ce même auteur tisse à son tour un lien de plus entre notre dieu et l'humidité164. Poséidon y est réputé pour être fortement associé au taureau : l'impétuosité de l'animal rappelle son pouvoir d'Ebranleur du sol, mais cette association indique aussi combien Poséidon est perçu comme celui qui met en mouvement la substance humide (uJgrav"). Si Poséidon demeure le dieu du mouvement, il est ici associé au surgissement, puisque c'est lui qui fait jaillir l'eau hors du sol. Encore une compétence "verticale" pour notre dieu.

L'eau, on le sait, est dans tous les discours propice à la vie, s'opposant logiquement à l'état de sécheresse qui interdit toute génération selon Aristote165. Principe nourricier par excellence, l'eau est donc souvent dans la

symbolique grecque à l'origine de toute chose166 ; si son aspect fécondant est le

plus développé, nombreuses sont aussi les théories sur sa propension iatrique, cathartique ou même souillante167.

l'ébranlement mais aussi le jaculatoire (noté par M. Detienne, ibid.). Ils sont d'ailleurs honorés de pair lors de la fête qui préside les vendanges, les Protrugaia (voir infra note 262).

164106 : "il est possible que le taureau soit associé avec lui parce qu'il est celui qui met en mouvement la substance humide" (kai; mhv pote to;n tau'ron wJ" th'" uJgra;" oujsiva" kinhtikw'/). On retrouve l'élément humide (uJgra;").

165G.A., II.1 (733 a 11) : "l'humide est propice à la vie tandis que le sec est tout à fait éloigné de l'animé" (zwtikovn (...) to; uJgrovn. porrwtavtw de; tou' ejmyuvcou to; xhrovn).

166Notamment à travers la figure d'Okéanos. Dans l'Iliade (XIV. 201), il est "père des dieux" (qew'n gevnesin) et ibid., 246 : "père de tous les êtres" (oJv" per gevnesi" pavntessi tevtuktai) ; Orph., Poèmes magiques et cosmologiques, fr. 57 K. fait lui aussi sortir de l'eau la première génération des dieux : "Okéanos qui est à l'origine de tous les dieux". Selon lui, "l'eau a été le premier principe de toute chose (...)" ; Arstt., Metaph., I.983 B : "Thalès (...) dit que le principe humide est l'Eau (..) il fut conduit à cette croyance en observant que toutes choses se nourrissent de l'humide (...) que les semences de toutes choses ont une nature humide et que l'Eau est à l'origine de la nature des choses humides (...). Effectivement, ils (les anciens cosmologiques) donnent l'Océan et Téthys comme auteurs dans la génération du monde (...)" ; voir aussi Plut., I. et O., 35 (365 A) : "ils pensent qu'Homère, tout comme Thalès, s'inspire de l'enseignement des Egyptiens quand il fait de l'eau le principe originel de toute chose." Sur cet aspect, regarder l'étude de J. Rudhardt, Le Thème de l'eau primordiale.

167Voir les études in R. Ginouvès (ed.), L'Eau, la santé et la maladie dans le monde grec et particulièrement H. Von Staden, "Un Autre dieu sobre", pp. 77-79 pour qui, ibid., p. 77 l'eau est "à la fois source de purification et de pollution, apportant vie et dangers amers, fertilité et stérilité, nourriture et poison" ; voir ibid., p. 78 pour l'eau comme substance guérissante ; J.-L.

Autour du Phutalmios

Il nous faut bien sûr, dans cette étude poséidonienne, prendre du recul avec l'imaginaire grec qui se déploie avec activisme autour du domaine de l'eau. Nous retiendrons surtout la place cardinale de l'élément liquide dans le processus végétal. Si l'on suit Xénophon, en effet, l'eau est bien perçue comme un don dispensé par les dieux qui permet que la nourriture croisse et sorte de terre168.

On vient de croiser Poséidon Prosbatèrios, et nous avons vu que l'on pouvait privilégier comme sens pour cette épiclèse Celui qui est concerné par l'approche de l'eau, Celui qui fait sourdre l'eau de la terre. Ces étroites relations entre Poséidon et l'eau douce, nous les retrouvons souvent169, puisqu'on le rencontre associé aux marais, aux lacs170, à un tourbillon171 et bien entendu aux

sources et aux nymphes. Cornutus nous indique d'ailleurs que Poséidon est

Durand, "Du rituel comme instrumental", pp. 173-176 aborde l'eau du sacrifice ; R. Parker, Miasma, pp. 226-230 et 371 regarde l'eau dans les cas d'homicide et M. Detienne, "Le Doigt d'Oreste", p. 33 l'évoque pour sa dimension purificatrice.

168Mem., 6 : "ils nous fournissent aussi l'eau (uJvdwr hJmi'n parevcein) qui nous est si précieuse (ouJvtw pollou' ajvxion), qui aide la terre et les saisons à faire pousser et croître tout ce qui nous est utile (...) comme il nous en faut beaucoup, ils nous en fournissent en grande abondance" (wJvste sumfuvein te kai; sunauvzein th'/ gh'/ kai; tai'" wJvrai" pavnta ta crhvsisma hJmi'n, (...) kai; ejpeidh; pleivstou deovmeqa touvtou, ajfqonevstaton, aujto; parevcein hJmi'n).

169Sur les rapprochements avec le monde indo-européen dans une relecture de la racine -da* de Poséidon, voir C.S. Littleton, "Poseidon as a Reflex of The Indo-European "Source of Waters" God". Rappelons-nous encore que les séismes provoqués par le dieu sont bien souvent expliqués par les Anciens comme un déferlement d'eaux souterraines. On se souvient aussi que les eaux de l'Ida lui obéissent (Il., XII.17 sq.). Il est pour le poète Pindare l'habitant du lit de l'Alphée (Ol., VI.58, invoqué par ailleurs comme provgonon) ; il se métamorphose en fleuve Enipeus pour séduire la nymphe Tyro (Od., XI.241 sq.). Sur l'affinité de Poséidon Hippios, une de ses épithètes les plus diffusées, avec les eaux courantes, voir L.R. Farnell, Cults, IV, pp. 5-7 ; F. Schachermeyr, Poseidon, p. 22 ; E. Will, Korinthiaka, p. 206 sqq. ainsi que R. Ginouvès, Balaneutiké, p. 342 pour le culte au Ténare et M. Detienne, "Le Mors éveillé", p. 181 sq.

170Hsch., s.v. jEpilhvmnio". oJ Poseidw'n ; Pausanias (III.21.5) nous informe sur la localisation d'un lac à Aigiai qui "porte le nom de Poséidon" et qui, sur ses bords, abrite un temple et une statue du dieu (ejntau'qa ejvsti me;n livmnh kaloumevnh Poseidw'no", ejvsti de; ejpi; th'/ livmnh/ nao;" kai; ajvgalma tou' qeou'). E. Will, Korinthiaka, p. 196 en fait un Poséidon Limnaîos, mais nous n'avons pas réllement trace d'épithète dans cette localisation. Encore un point commun avec Dionysos dont on sait qu'il avait un sanctuaire ejn Livmnai" (de la ville Limnai, la marécageuse) tout comme à Sparte (Str., VIII.5.1), qu'il s'appelle Limnai'o" (Ath., XI,465 ) et Limnagenhv" .

Autour du Phutalmios Krènouchos-Celui qui préside aux sources et Numphagetès172-Celui qui conduit les nymphes. On connaît ses multiples unions avec ces figures féminines173,

elles-mêmes souvent reliées à l'eau174 et dont les lieux de cultes sont fréquemment associés à des sources ou à des fleuves175. Elles sont à leur tour

dispensatrices de fertilité, reliées également à la fécondité et au mariage. Là encore, le lien se resserre entre Poséidon et l'eau douce, entre fertilité et fécondité.

Mais ce sont ses accointances avec les sources qui nous retiendrons plus particulièrement176. Une proximité que l'on perçoit pleinement dans son

épithète Krènouchos177 : il est ainsi honoré parce qu'il tient/détient le pouvoir sur les sources selon Cornutus. Eschyle178 corroborre cette information en nous

transmettant que c'est le Gaièochos qui sait faire jaillir l'eau. Nous connaissons nombre de récits qui montrent que les Grecs pensent que l'eau est prisonnière

172Corn., De Nat. Deor., 22 : levgetai de; para; tisi kai; Numfagevth" kai; Krhnou'co".

173Pour Tarente (Paus., X.10.8) ; pour Chios, fils de Poséidon avec une nymphe (Paus., VII.7.4.8) ; Asplédon, fils de la nymphe Midéia et de Poséidon en Béotie (Paus., IX.38.9) ; Parnassos, fils de Poséidon et de la nymphe Cléodora (Paus., X.6.1). Voir aussi A. Schachter, Cults of Boiotia 2, pp. 183-188. Pour les fleuves fils de Poséidon, voir Ps.-Plut., De Fluv., 16.

174Paus., VIII.4.2 ; Il., VI.20-28, XX.381-388 ; Od., XII.102 sq.

175Certains exemples de ces localisations usuelles et la bibliographie sont rassemblés dans les notes 7 à 10 de E. Cheminel, "La Jeune fille et le héros autochtone". Pour les relations et la paternité entre les Nymphes et les fleuves, voir ibid., p. 18. Elles sont également reliées à l'eau stagnante des marais, ainsi qu'à l'eau courante ou jaillissante (regarder encore A. Schachter, Cults of Boiotia 2, pp. 183-188).

176Les sources sont bien souvent localisées dans la proximité de ses sanctuaires. Voir les "sources" Hippokrène à Argos, Trézène et sur le mont Hélicon, dont l'une d'elle donne naissance au jaillisant Pégase, raconté selon différentes versions qui mettent en scène les deux localisations thébaine et péloponnésienne : Hés., Théog., 6 ; Str., VIII.6.21 et IX.2.25 ; Paus., II.31.9 et IX.31.3 ; Ov., Met., V.256-266, Fast., III.456, V.7-8 ; Properce, El., III.3.2. Selon la tradition arcadienne, Poséidon serait de plus né des errances de Rhéa, fuyant l'infanticide Cronos, près de la source Arné (Paus., VIII.10.1) qui dans une autre tradition était la nourrice de Poséidon (E.T., s.v. JvArnh. nuvmfh, trofo;" Poseidw'no" et Tzét., Comm. Lyc., Alex., v. 644 : jvArnh, povli" Boiwtiva" ajpo; jvArnh" th'" Poseidw'no" trofou'). Sur les diverses traditions voir les analyses de M. Jost, Sanctuaires et cultes d'Arcadie, pp. 281-282.

177Voir supra note 172. Littéralement Krhnou'co" signifie Qui tient/détient (ejvcw) la source (krhvnh), c'est à dire Celui qui a le pouvoir sur les sources.

178Esch., Sept., 309 sq. : "l'eau de Dirkè, la plus nourricière des sources que font jaillir et Poséidon Gaièochos et les enfants de Téthys" (uJvdwr te Dirkai'on eujtrafevstaton pwmavtwn oJvswn

Autour du Phutalmios

dans le sol. Dans le Péloponnèse où Poséidon est particulièrement honoré, on raconte ainsi que l'eau chemine sous la terre et ressort sous forme de source pour irriguer les champs : le passage de Pausanias sur le tourbillon de Dinè exprime bien cela, car l'eau part dans une crevasse (ce fameux cavsma poséidonien) pour réapparaître plus loin, cette fois dans la mer179. C'est bien

Poséidon qui a le pouvoir de la faire jaillir à la surface, lui qui, en tant que Gaièochos, préside à l'élément terre. Il va ainsi jalonner plusieurs endroits du paysage grec, le trident à la main, créant de manière plurielle des ouvertures dans le sol par lesquelles l'eau peut sourdre des profondeurs.

C'est assurément au sein du Péloponnèse que ce pouvoir sur l'eau se laisse le plus facilement approcher.

Détour par Amymoné

Si nous nous échappons de notre ancrage attique pour nous immiscer dans le pays de Pélops, c'est parce que les informations recueillies pourront nous servir de miroir pour Athènes. Car les épisodes mythologiques autour d'Amymoné, loin d'être exclusivement circonscrits dans le paysage argien, sont diffusés et repris dans la prose et le théâtre attique et affichés sur la panse des vases athéniens180.

iJvhsin Poseida;n oJ gaiavoco" Thquvo" te pai'de"). iJvhmi-mouvoir en avant, lancer.

179Sur la tradition péloponnésienne qui diffuse que l'eau court sous la terre, voir l'étude de R. Baladié, Le Péloponnèse de Strabon, pp. 45-116. Pour le tourbillon de Diné, on se rappelle que, selon Pausanias (VIII.7.1-2) : "rien n'empêcherait cette plaine d'être un lac, si l'eau ne disparaissait pas à Dinè dans une crevasse de la terre (ej" cavsma gh'"). Après avoir disparu là, elle ressurgit à Dinè (...) une eau douce qui jaillit de la mer (uJvdwr gluku;; ejk qalavssh" ajnercovmenon) (...) les Argiens jetaient dans le Dinè, en offrande à Poséidon, des chevaux parés de leurs mors. Que de l'eau douce remonte dans la mer à cet endroit de l'Argolide, c'est clair (...)" (gluku; de; uJvdwr ejn qalavssh/ dh'lovn ejstin).

180Pour la mise en image de cet épisode sur la céramique attique, voir E. de Reeder (ed.), Pandora, pp. 352-363.

Autour du Phutalmios

C'est effectivement cet épisode qui nous fait le mieux percevoir les pouvoirs fertilisant et jaillissant du dieu que nous avons pu déceler chez Cornutus. Car il est pleinement en Argolide le dispensateur de l'eau fraîche quand, pour la fille de Danaos, il irrigue à nouveau le pays en faisant sourdre la source de Lerne181.

Encore une fois, le dieu peut aussi s'alterner en Assoiffeur : furieux du jugement des Fleuves qui l'écartent de la protection poliade, on raconte qu'il les oblige à se retirer pour asphyxier la terre182 et assoiffer le pays qui lui a préféré

Héra. C'est seulement après la quête de la fille de Danaos que le dieu consent à rétablir l'eau en créant une fontaine jaillissante là où il n'y avait que pierre. S'il peut faire jaillir, il sait aussi garder prisonnière l'eau douce dans les profondeurs de la terre, là où il siège en maître.

181Paus., II.15.5 ; Apd., Bib., II.1.4 : "le pays manquait d'eau depuis que Poséidon en avait tari même les sources, par ressentiment contre Inachos qui avait témoigné que le pays appartenait à Héra. Danaos envoya ses filles chercher de l'eau. Au cours de sa quête, l'une d'elles, Amymoné, lance un trait en direction d'un cerf et atteind un satyre endormi : il se redresse et il est pris du désir de s'unir avec elle. Mais Poséidon apparaît : le satyre s'enfuit et Amymoné se donne à Poséidon. Le dieu révéla l'emplacement des sources de Lerne" (ajnuvdrou de; th'" cwvra" uJparcouvsh", ejpeidh; kai; ta;" phga;" ejxhvrane Poseidw'n mhnivwn jInavcw/ (...) jAmumwvnh de; touvtw/ suneunavzetai kai; aujth'/ Poseidw'n ta;" ejn Levrnh/ phga;" ejmhvnusen). Il faut aussi regarder Nonn., Dio., VIII.241-245 : "Lerne nourricière d'un serpent, où un endroit porte encore le nom du Trident qu'à Lerne reçut Amymoné, son épouse", et Eur., Phœn., 187-190 : "Lerne, où le trident de Poséidon fit jaillir les eaux d'Amymoné" (Lernaiva/ te dwvsein triaivna/, Poseidanivoi" jAmumwnivoi" uJvdasi). Voir aussi Hyg., Fab., 169 : "Neptune, dit-on, frappa la terre de son trident et il en jaillit de l'eau : cette fontaine a pour nom Lerne, et le fleuve Amymonium" et ibid., sur une version plus "accidentelle" : "comme le dieu avait lancé son trident contre le satyre, l'arme se ficha dans la pierre (...). Neptune l'étreignit. Aussi, à titre de récompense, lui ordonna t-il de retirer le trident de la roche. Quand elle l'eut retiré, trois filets d'eau apparurent, et la fontaine fut appelée Amymonius du nom d'Amymoné." Voir encore Luc., Dial. Mar., 8 (302-304). Sur le trident comme marque de Poséidon dans le pays, voir Esch., Suppl., 218, Danaos : "je vois là un trident, attribut d'un dieu" (oJrw' trivainan, thvnde shmei'on qeou'). Trident qui caractérise à lui seul le dieu, mais aussi son action, puisque c'est de la faille imprimée par son attribut que le