• Aucun résultat trouvé

4. La figure du chevalier dans Geneviève de Cornouailles

4.6 Portrait global du chevalier

diminuent l’intérêt que l’on a pris au Damoisel374 ». Quant à la critique de L’Année littéraire, elle est pour le moins très peu flatteuse :

Le Damoisel sans nom a un père à venger, il a à combattre en même temps le père de l’objet qu’il adore ; & lorsque ces deux sentimens doivent l’occuper tout entier & déchirer son ame, il s’amuse avec une certaine Dame du Vexin, un peu moins décente encore que Grasilinde, badine & folâtre, se forme avec elle aux manières & aux graces françoises, étudie nos mœurs & nos modes ; & s’enthousiasme de bagatelles & de frivolités ; c’est, pour ainsi dire, par hasard qu’il se souvient à la fin, qu’il doit combattre Palmerin375.

Une fois ce hiatus passé, le chevalier se remet en chemin et le poids de sa triste réalité lui revient à l’esprit. Finalement, c’est lorsqu’il hésite entre venger l’honneur de son père et sauvegarder sa relation avec Geneviève, que le héros dévie une dernière fois de son devoir de fils. Aux yeux de tous, la décision honorable est évidente : « Ecbert lui commandoit la vengeance ; toute la Cour le tourmentoit par des instances cruelles. Il ne rencontroit pas un seul visage compatissant ; pas une voix qui descendît doucement dans son cœur, qui lui parlât un langage moins héroïque & moins farouche376. » Même son mentor lui reproche d’être malheureux et indigne377. À la fin, tout lui est pardonné, puisqu’il rougit de son hésitation et fait le choix ultime de remplir ses devoirs, même si Griel s’est proposé pour prendre sa place au duel. Finalement, les seuls reproches que l’on peut faire au chevalier sont de ne pas savoir instinctivement parler aux dames et de prendre un peu plus de temps que nécessaire pour venger son père. La figure du chevalier dans Geneviève de Cornouailles est-elle donc parfaite? Non… mais presque!

malheureux pour acquérir du renom » et qui prend « le parti de suspendre son armure »378. La preuve que le Damoisel possède les qualités d’un véritable chevalier est qu’il est traité comme tel (et même nommé ainsi) avant même son adoubement. Comme on l’a vu, le Damoisel possède la majorité des qualités associées au chevalier dans l’imaginaire collectif. Il s’agit donc de la figure typique du genre chevaleresque dans son idéal le plus élevé. « L’idée que les vieux héros de romans étaient des parangons de courage et des maîtres exemplaires de l’art du combat chevaleresque était si généralement répandue, qu’ils étaient mentionnés dans tous les cas où on voulait évoquer l’image d’un homme vaillant379. » Si le personnage est tout de même complexifié dans sa dimension psychologique, il est toujours constant sur le plan moral. L’originalité du roman tient donc davantage aux obstacles et aux tourments vécus par le héros qu’à son tempérament. Cette figure figée par le temps est parvenue à Mayer comme un idéal lointain dans un monde précieux, incompatible avec les valeurs courtoises380. Le chevalier dans Geneviève de Cornouailles est donc construit à partir de l’innutrition générique de l’auteur, de même que par sa distance avec le temps du récit.

Or, le Damoisel n’est pas seulement dépeint par Mayer comme un chevalier moyen. Au contraire, l’auteur met son personnage sur un piédestal et montre qu’il est encore plus preux que le plus preux des chevaliers. Notamment, le Damoisel est le seul chevalier dont le nom est digne de paraitre dans le registre des véritables Grands. Il est encore jeune et « il surpassoit déjà en renom tous les Chevaliers381 », même ceux dont l’histoire a déjà prouvé la grandeur :

Il effaçoit par l’éclat de sa suite, tous les Chevaliers Bretons qu’il rapprochoit de lui par son affabilité & par son respect pour les vieux Braves, & pour tous ceux qui s’étoient illustrés. Quant aux autres, il se proposoit de leur servir un jour de modèle382.

La quasi-perfection du personnage principal est donc mise de l’avant par Mayer qui propose aux lecteurs un idéal masculin. Le Damoisel peut être regardé comme un modèle de chevalier, mais aussi comme un exemple des valeurs prônées par son auteur. En effet, Mayer élimine l’un des plus grands reproches faits par la critique aux romans de chevalerie, c’est-à-dire de mettre en

378 Ibid., p. 33.

379 BLOM, Helwi. « Vieux romans » et « Grand Siècle », op. cit., p. 210.

380 EDELMAN, Nathan. Attitudes of Seventeenth-Century France toward the Middle Ages, op. cit., p. 123.

381 MAYER, Charles-Joseph (de). Geneviève de Cornouailles, op. cit., p. 106.

382 Ibid., p. 115.

scène un personnage dont la personnalité ou les actions sont vicieuses. Le contenu des textes du Moyen Âge, que l’on assimile à une dépravation des mœurs, est donc considéré comme dangereux pour les lecteurs. Ainsi, le roman de Mayer prévaut sur les romans médiévaux du Moyen Âge en matière d’édification. L’auteur donne donc à une société qu’il considère comme corrompue, un archétype d’homme bon et sans vice. Au-delà d’un idéal de caractère, Mayer propose au travers son personnage principal un idéal de société par la position qu’occupe le chevalier dans le système monarchique et par les relations qu’il entretient avec les autres instances du roman. C’est pourquoi le chevalier, qu’on a jusqu’à maintenant examiné pour sa dimension individuelle, sera étudié dans le chapitre suivant en tant que sujet du roi, en tant que chrétien, en tant que fils et finalement en tant qu’amant.