Dans toute cette partie, on fixe un entier n
≥2 et un anneau A int` egre, et on se place dans l’anneau de polynˆ omes A[X
1, X
2, . . . , X
n].
10.2.1 Action canonique du groupe sym´ etrique sur l’anneau des polynˆ omes.
Notations. Pour tout polynˆ ome P
∈A[X
1, X
2, . . . , X
n] et toute permutation σ
∈S
n, on note P
σle polynˆ ome de A[X
1, X
2, . . . , X
n] obtenu en permutant les ind´ etermin´ ees X
1, X
2, . . . , X
nsuivant σ, c’est-` a-dire :
P
σ(X
1, X
2, . . . , X
n) = P (X
σ(1), X
σ(2), . . . , X
σ(n)).
Exemple.Pour n= 3 etσ= (1,3,2), si P(X, Y, Z) =X2+Y Z−3XY, alorsPσ(X, Y, Z) = Z2+XY −3ZX.
Remarque.Quel que soitn≥1,Pest constant (c’est-`a-dire de degr´e nul), alorsP =Pσpour touteσ∈Sn.
Proposition.
(i) Le groupe S
nop` ere sur A[X
1, X
2, . . . , X
n] par l’action :
S
n×A[X
1, X
2, . . . , X
n]
→A[X
1, X
2, . . . , X
n] (σ, P )
7→P
σ.
(ii) Quelle que soit σ
∈S
n, l’application : P
7→P
σest un automorphisme de l’anneau A[X
1, X
2, . . . , X
n].
Preuve.Simple v´erification, sans aucune difficult´e.
10.2.2 Sous anneau des polynˆ omes sym´ etriques
D´ efinition. Un polynˆ ome P
∈A[X
1, X
2, . . . , X
n] est dit
sym´etriquesi P
σ= P pour toute σ
∈S
n. En d’autres termes, l’ensemble des polynˆ omes sym´ etriques n’est autre que l’ensemble des points fixes pour l’action du groupe S
nsur l’ensemble A[X
1, X
2, . . . , X
n].
Proposition. L’ensemble des polynˆ omes sym´ etriques dans A[X
1, X
2, . . . , X
n] est un
sous-anneau de A[X
1, X
2, . . . , X
n].
Preuve.Simple v´erification, utilisant le point (ii) de la proposition pr´ec´edente.
I
Exemples avec n = 2. Les polynˆ omes suivants sont des polynˆ omes sym´ etriques dans A[X, Y ] : (1) S
1= X + Y, S
2= X
2+ Y
2, S
3= X
3+ Y
3, . . .
(2) W
1= X + Y, W
2= X
2+ XY + Y
2, W
3= X
3+ X
2Y + XY
2+ Y
3, . . . (3) D = (X
−Y )
2.
(4) Σ
1= X + Y, Σ
2= XY .
I
Exemples avec n = 3. Les polynˆ omes suivants sont des polynˆ omes sym´ etriques dans A[X, Y, Z] :
(1) S
1= X + Y + Z, S
2= X
2+ Y
2+ Z
2, S
3= X
3+ Y
3+ Z
3, . . . (2) W
1= X + Y + Z, W
2= X
2+ XY + XZ + Y
2+ Y Z + Z
2,
W
3= X
3+ Y
3+ Z
3+ X
2Y + XY
2+ X
2Z + XZ
2+ Y
2Z + Y Z
2+ XY Z, . . . (3) D = (X
−Y )
2(X
−Z )
2(Y
−Z)
2.
(4) Σ
1= X + Y + Z, Σ
2= XY + XZ + Y Z , Σ
3= XY Z . Ces exemples sont des cas particuliers des exemples classiques suivants.
I
Exemples avec n quelconque. Les polynˆ omes suivants sont des polynˆ omes sym´ etriques dans A[X
1, X
2, . . . , X
n] :
(1) les sommes de Newton : S
k= X
1k+ X
2k+
· · ·+ X
nkpour tout k
∈N∗; (2) les polynˆ omes de Wronski : W
k=
Xi1+i2+···+in=k
X
1i1X
2i2. . . X
ninpour tout k
∈N∗;
(3) le discriminant des ind´ etermin´ ees : D =
Y1≤i<j≤n
(X
i−X
j)
2; (4) les polynˆ omes sym´ etriques ´ el´ ementaires :
Σ
1= X
1+ X
2+
· · ·+ X
n,
Σ
2= X
1X
2+ X
1X
3+
· · ·+ X
1X
n+ X
2X
3+
· · ·+ X
2X
n+
· · ·+ X
n−1X
n,
· · ·
Σ
k=
X1≤i1<i2<···<ik≤n
X
i1X
i2. . . X
ikpour tout 1
≤k
≤n, (somme de
nktermes),
· · ·
Σ
n= X
1X
2. . . X
n.
Remarque. Dans A[X
1, X
2, . . . , X
n][Z], le polynˆ ome P (Z) = (Z
−X
1)(Z
−X
2) . . . (Z
−X
n) v´ erifie :
P (Z) = Z
n−Σ
1Z
n−1+ Σ
2Z
n−2− · · ·+ (−1)
n−1Σ
n−1Z + (−1)
nΣ
n.
10.2.3 Th´ eor` eme de structure de l’anneau des polynˆ omes sym´ etriques
On reprend toutes les notations et hypoth` eses du paragraphe pr´ ec´ edent. En particulier, on note Σ
1, Σ
2, . . . , Σ
nles polynˆ omes sym´ etriques ´ el´ ementaires.
• Premier exemple introductif.
Consid´ erons dans
Z[X, Y, Z] le polynˆome sym´ etrique :
P (X, Y, Z) = X
2Y + XY
2+ Y
2Z + Y Z
2+ Z
2X + ZX
2. On calcule :
Σ
1Σ
2= (X + Y + Z )(XY + Y Z + ZX)
= X
2Y + XY Z + X
2Z + XY
2+ Y
2Z + XY Z + XY Z + Y Z
2+ Z
2X
= P (X, Y, Z ) + 3XY Z = P (X, Y, Z ) + 3Σ
3. On conclut que : P (X, Y, Z) = Σ
1Σ
2−3Σ
3,
ou encore : P (X, Y, Z ) = F(Σ
1, Σ
2, Σ
3), avec F = XY
−3Z
∈Z[X, Y, Z].
• Second exemple introductif.
Consid´ erons dans
Z[X, Y, Z] le polynˆome sym´ etrique :
P (X, Y, Z) = (2X
−Y
−Z )(2Y
−Z
−X)(2Z
−X
−Y ).
On calcule :
P (X, Y, Z) = (3X
−Σ
1)(3Y
−Σ
1)(3Z
−Σ
1)
= (9XY
−3XΣ
1−3Y Σ
1+ Σ
21)(3Z
−Σ
1).
= 27XY Z
−9XY Σ
1−9XZ Σ
1+ 3XΣ
21−9Y ZΣ
1+ 3Y Σ
21+ 3Z Σ
21−Σ
31= 27XY Z
−9(XY + XZ + Y Z)Σ
1+ 3(X + Y + Z)Σ
21−Σ
31. On conclut que : P (X, Y, Z) = 27Σ
3−9Σ
2Σ
1+ 2Σ
31,
ou encore : P (X, Y, Z ) = F(Σ
1, Σ
2, Σ
3), avec F = 27Z
−9XY + 2X
3 ∈Z[X, Y, Z ].
Th´ eor` eme. On suppose que A est int` egre. Soit n
≥2 un entier. Pour tout polynˆ ome sym´ etrique P
∈A[X
1, X
2, . . . , X
n], il existe un unique polynˆ ome F
∈A[X
1, X
2, . . . , X
n] tel que :
P (X
1, X
2, . . . , X
n) = F (Σ
1, Σ
2, . . . , Σ
n),
o` u Σ
1, Σ
2, . . . , Σ
nsont les polynˆ omes sym´ etriques ´ el´ ementaires en les X
i, 1
≤i
≤n.
La preuve de ce th´eor`eme est relativement longue et technique. Elle pourra ˆetre d´etaill´ee en cours si le temps le permet. On ne la reprend pas dans ces notes, et renvoyons aux divers ouvrages de r´ef´erence. On d´eveloppe en revanche ci-dessous quelques applications des polynˆomes sym´etriques `a des questions concr`etes d’alg`ebre.
10.2.4 Formules de Newton
On reprend toutes les notations et hypoth` eses des paragraphes pr´ ec´ edents. En particulier, on note Σ
1, Σ
2, . . . , Σ
nles polynˆ omes sym´ etriques ´ el´ ementaires, et S
1, S
2, . . . les sommes de Newton.
Th´ eor` eme. On suppose que A est int` egre. Soit n
≥2 un entier. On a les relations suivantes dans l’anneau A[X
1, X
2, . . . , X
n] :
(i) S
k−Σ
1S
k−1+ Σ
2S
k−2− · · ·+ (−1)
k−1Σ
k−1S
1+ (−1)
kkΣ
k= 0, pour tout 1
≤k
≤n,
(ii) S
`−Σ
1S
`−1+ Σ
2S
`−2+
· · ·+ (−1)
nΣ
nS
`−n= 0, pour tout ` > n.
Preuve. Consid´erons le polynˆome P(Z) = (Z −X1)(Z−X2). . .(Z −Xn) dans l’anneau A[X1, X2, . . . , Xn][Z]. Comme on l’a vu `a la fin de 10.2.2, on a :
P(Z) =Zn−Σ1Zn−1+ Σ2Zn−2− · · ·+ (−1)n−1Σn−1Z+ (−1)nΣn.
• Par d´efinition deP, on aP(Xi) = 0 pour tout 1≤i≤n, et donc :
Xin−Σ1Xin−1+ Σ2Xin−2− · · ·+ (−1)n−1Σn−1Xi+ (−1)nΣn= 0.
On fait la somme membre `a membre de cesn´egalit´es pour 1≤i≤n; il vient : Sn−Σ1Sn−1+ Σ2Sn−2− · · ·+ (−1)n−1Σn−1S1+ (−1)nnΣn = 0, ce qui est l’assertion (i) pourk=n.
• Pour ` > n, on consid`ere dans A[X1, X2, . . . , Xn][Z] le polynˆome Z`−nP(Z). Pour tout 1≤i≤n, il v´erifieXi`−nP(Xi) = 0, donc :
Xi`−n Xin−Σ1Xin−1+ Σ2Xin−2− · · ·+ (−1)n−1Σn−1Xi+ (−1)nΣn
= 0, ou encore :
Xi`−Σ1Xi`−1+ Σ2Xi`−2− · · ·+ (−1)n−1Σn−1Xi`−n+1+ (−1)nΣnXi`−n= 0.
On fait la somme membre `a membre de cesn´egalit´es pour 1≤i≤n; on obtient exactement l’assertion (ii).
• Pourk= 1, la formule (i) est triviale, puisqueS1= Σ1.
•Il reste `a prouver (i) pour 1< k < n. On raisonne pour cela par r´ecurrence sur le nombren d’ind´etermin´ees. C’est clair pourn= 3, car alorsk= 2 et l’on a bien :S2−Σ1S1+ 2Σ2= 0.
On suppose maintenant la relation (i) vraie dansA[X1, X2, . . . , Xn−1], et on fixe 1< k < n.
On consid`ere le polynˆomeSk−Σ1Sk−1+ Σ2Sk−2− · · ·+ (−1)k−1Σk−1S1+ (−1)kkΣk dans A[X1, X2, . . . , Xn]. Notons-leQ(X1, X2, . . . , Xn−1, Xn). Il est homog`ene de degr´ek.
Introduisons dansA[X1, X2, . . . , Xn−1] le polynˆomeQ0(X1, . . . , Xn−1) =Q(X1, . . . , Xn−1,0).
Il est clair que, pour tout 1 ≤i ≤n−1, on a : Σi(X1, . . . , Xn−1,0) = Σi(X1, . . . , Xn−1), et de mˆeme Si(X1, . . . , Xn−1,0) =Si(X1, . . . , Xn−1). L’hypoth`ese de r´ecurrence se traduit donc par : Q0(X1, . . . , Xn−1) = 0 dansA[X1, X2, . . . , Xn−1].
En d’autres termes, Q(X1, . . . , Xn−1,0) = 0 dans A[X1, X2, . . . , Xn−1, Xn]. On en d´eduit que Q est divisible par Xn dans A[X1, X2, . . . , Xn−1, Xn]. Comme Q est sym´etrique, cela implique queQest aussi divisible parXi pour tout 1≤i≤n−1. FinalementQest divisible par le produit X1X2. . . Xn. Comme Qest homog`ene de degr´ek < n, ce n’est possible que siQ= 0, ce qui prouve le r´esultat voulu, et ach`eve la preuve.
I
Application 1 (expression des sommes de Newton en fonction des polynˆ
omes sym´etriques´
el´ementaires). On suppose que
A est int` egre. Soit n
≥2 un entier. On a les relations suivantes dans l’anneau A[X
1, X
2, . . . , X
n] :
S
1= Σ
1, S
2= S
1Σ
1−2Σ
2= Σ
21−2Σ
2, S
3= S
2Σ
1−S
1Σ
2+ 3Σ
3= Σ
31−3Σ
1Σ
2+ 3Σ
3, et ainsi, de proche en proche, l’expression de tous les S
icomme des polynˆ omes en les Σ
j.
IApplication 2 (expression des polynˆ
omes sym´etriques ´el´ementaires en fonction des sommes de Newton ; cas d’un corps de caract´eristique z´ero). Soitn
≥2 un entier. Soit K un corps de caract´ eristique z´ ero. On a dans l’anneau K[X
1, X
2, . . . , X
n] les relations suivantes :
Σ
1= S
1, Σ
2=
12S
12−12S
2, Σ
3=
16S
13− 12S
1S
2+
13S
3,
· · ·et, de proche en proche, l’expression de tous les Σ
jcomme des polynˆ omes en les S
i.
Corollaire (une autre forme du th´ eor` eme fondamental ; cas d’un corps de caract´ eristique z´ ero). Soit n
≥2 un entier. On suppose que A est anneau int` egre et de caract´ eristique nulle.
Soit K son corps de fractions. Pour tout polynˆ ome sym´ etrique P
∈A[X
1, X
2, . . . , X
n], il existe un unique polynˆ ome G
∈K[X
1, X
2, . . . , X
n] tel que :
P (X
1, X
2, . . . , X
n) = G(S
1, S
2, . . . , S
n),
o` u S
1, S
2, . . . , S
nsont les n premi` eres sommes de Newton en les X
i, 1
≤i
≤n.
Preuve.Il suffit de combiner la remarque ci-dessus avec le th´eor`eme fondamental 10.2.3.
10.2.5 Relations entre coefficients et z´ eros d’un polynˆ ome en une ind´ etermin´ ee.
D´ efinition. Un corps K est dit
alg´ebriquement clossi tout polynˆ ome de K[X] de degr´ e non-nul admet (au moins) un z´ ero dans K.
Remarque. Si K est alg´ebriquement clos ; tout polynˆome de degr´e n ≥ 1 dans K[X] se d´ecompose en un produit denfacteur de degr´e un, et a doncnz´eros dansK (compt{e avec leur ordre de multiplicite).
Exemples et contre-exemples. Le corpsCest alg´ebriquement clos (th´eor`eme de d’Alembert-Gauss). Les corps R et Q ne sont pas alg´ebriquement clos. Un corps fini F n’est jamais alg´ebriquement clos (car le polynˆome P(X) = Q
a∈F(X −a) + 1 n’a pas de z´eros dans F puisqu’il prend la valuer 1 en tout point de F).
Proposition . Si K est un corps alg´ ebriquement clos, alors pour tout polynˆ ome P (X) =
Pni=0
a
iX
ide degr´ e n
≥1, les n z´ eros α
1, α
2, . . . , α
nde P v´ erifient : Σ
k(α
1, α
2, . . . , α
n) = (−1)
ka
n−ka
n, pour tout 1
≤k
≤n.
Preuve. Soit P = Pn
i=0aiXi un polynˆome de K[X], de degr´e n ≥ 1. Comme K est alg´ebriquement clos,P admetnz´erosα1, α2, . . . , αn dansK, et se factorise en :
P(X) =Pn
i=0aiXi=anQn
j=1(X−αj), avecan6= 0.
Pour tout 1 ≤ k ≤ n, notons σk = Σk(α1, α2, . . . , αn) le k-i`eme polynˆome sym´etrique
´
el´ementaire ´evalu´e en lesαi. On a alors d’apr`es la derni`ere remarque de 10.2.2 : Qn
j=1(X−αi) =Xn−σ1Xn−1+σ2Xn−2− · · ·+ (−1)n−1σn−1X+ (−1)nσn. On en d´eduit par identification que : an−1 = −anσ1, an−2 = anσ2, . . ., jusqu’`a a1 = (−1)n−1anσn−1, a0= (−1)nanσn.
Corollaire. Soit K un corps. Soient α
1, α
2, . . . , α
ndes ´ el´ ements quelconques de K. Pour tout 1
≤i
≤n, posons σ
i= Σ
i(α
1, α
2, . . . , α
n). Alors α
1, α
2, . . . , α
nsont les z´ eros du polynˆ ome :
X
n−σ
1X
n−1+ σ
2X
n−2− · · ·+ (−1)
nσ
n.
Exemple 1. Pour P(X) = aX2+bX+c ∈ C[X], avec a 6= 0, on retrouve le r´esultat bien connu :
σ1=α1+α2=−b
a et σ2=α1α2= c a.
Exemple 2.Pour P(X) =X3+pX+q∈C[X], on retrouve le r´esultat bien connu : σ1=α1+α2+α3= 0, σ2=α1α2+α1α3+α2α3=p et σ3=α1α2α3=−q.