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Politiques linguistiques, traduction et interprétariat

2. État de la question et cadre théorique

2.3. Champs d’études de la LADJ

2.3.2. Politiques linguistiques, traduction et interprétariat

S’il est faux de dire que l’aménagement linguistique est un des champs d’études de la LADJ, il faut, par contre, souligner que les politiques relatives aux langues utilisées en contexte judiciaire en font partie. Ces politiques auront, par exemple une incidence sur la décision des autorités d’avoir recours à un traducteur ou interprète. Au Canada, deux langues sont officielles, ce qui signifie que toute affaire relevant du Parlement doit être traitée de façon bilingue et que toute personne dans un contexte fédéral a le droit d’utiliser l’anglais comme le français et d’obtenir une réponse dans la langue de son choix. Quant aux mesures législatives relevant de l’ordre provincial :

La Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi de 1870 sur le Manitoba ont donné aux habitants du Québec et du Manitoba, respectivement, le droit d’employer le français et l’anglais dans les débats et travaux des législatures et dans les tribunaux de ces provinces, et elles exigent que les lois provinciales soient adoptées et publiées dans les deux langues. La Charte protège ces droits et obligations. (Canada, 2005 : 15)

La traduction implique ici, non seulement la traduction de textes de loi ou autres documents à caractère légal, mais également la traduction et l’interprétariat lors des procès, des interrogatoires policiers ou des entretiens avec des avocats pour les témoins ou accusés de langue maternelle autre que la Lingua Franca. Qu’on réfère ici à des individus des Premières Nations, à des immigrants ou à des non-citoyens devant être interrogés ou appelés à comparaître, ils ont, selon l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, droit à l’assistance d’un interprète, toutefois ce droit n’est pas absolu, ni automatique, il s’avère plutôt circonstanciel :

En même temps, le principe de la compréhension linguistique ne devrait toutefois pas être élevé au point où ceux qui parlent ou comprennent difficilement la langue des procédures reçoivent ou paraissent recevoir des avantages injustes par rapport à ceux qui parlent couramment la langue du prétoire. Le cadre analytique qui doit être appliqué pour déterminer s’il y a effectivement eu violation de l’art. 14 est le suivant. Premièrement, il doit être clair que l’accusé avait

effectivement besoin de l’assistance d’un interprète -- c.-à.d. qu’il ne comprenait pas ou ne parlait pas la langue du prétoire. Bien que ce soit évidemment à la partie qui prétend avoir subi une violation des droits que lui garantit l’art. 14, qu’il incombe, en dernière analyse, d’établir le niveau requis de besoin, il importe de comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’avoir invoqué ou fait valoir invoqué ou fait valoir le droit à l’assistance d’un interprète pour en jouir. Dans le cadre du contrôle qu'ils exercent sur leur propre procédure, les tribunaux ont la responsabilité indépendante d’assurer que ceux qui ne connaissent pas bien la langue du prétoire comprennent et soient compris.13

Des études ont porté sur l’intérêt d’avoir recours à un interprète ou traducteur, mais également sur la façon dont celui-ci doit jouer son rôle, tant dans l’impartialité et la concision que dans la gestuelle et la présence, dans le cas de l’interprète.

Je le rappelle, le langage juridique est à lui seul un métalangage caractérisé par :

[a] complex cognitive structure manifested in both complex discourse structure and extreme syntactic complexity, complex phrasal structure combined with grammatical metaphor, and formality in the lexicon. (Gibbons, 2003 : 243-244).

Ces caractéristiques compliquent substantiellement la tâche de traduction, sans compter les difficultés inhérentes au processus de traduction lui-même et aux différences structurelles existant entre la langue source et la langue cible. C’est pourquoi le traducteur et, plus encore, l’interprète sont des acteurs importants dans les contextes, liés à la justice, où plus d’une langue est utilisée. Il semble malheureusement que leur présence dans ces contextes ne soit pas nécessairement privilégiée. À ce sujet, Hales et Gibbons (1999 : 207) mentionnent que : « Although interpreters are essentials in bilingual cases, they are not particularly liked by anyone in the courtroom. They are often seen as a necessary evil that is tolerated rather than welcome. » Afin de comprendre le fondement de cette remarque, plusieurs facteurs sont à prendre en cause.

Alors que le traducteur a la possibilité d’étudier complètement le document avant d’entreprendre sa tâche de traduction, l’interprète n’a pas cette chance et doit composer en instantané avec les difficultés qu’il rencontre. Son premier rôle est d’agir en tant que vecteur neutre et pont interculturel, transposant ainsi, non seulement, l’information, mais également tout un ensemble de normes sociales et culturelles de la façon la plus objective qui soit. Ce qui n’est pas une mince affaire, puisque traduire un segment dans toute sa subtilité, surtout en simultané, tient pratiquement de l’impossible. L’interprète sera également perçu comme une source ou un expert de la culture cible étant données ses connaissances culturelles et linguistiques, mais à celles-ci doivent

s’ajouter des connaissances relatives à la justice et à son fonctionnement, puisque sa tâche sera aussi d’expliquer les procédures et présomptions au témoin ou à l’accusé. Cette fonction n’est certes pas facile à assumer, car l’interprète a parfois tendance à jouer au protecteur avec l’accusé ou le témoin et à devenir plus subjectif, ce qui n’est en aucun cas souhaitable. De la même façon, il deviendra l’aiguilleur, le contrôleur discursif, celui qui détermine les tours de parole, ce qui pourrait nuire aux tactiques de coercition ou de déstabilisation mises en œuvre par la personne qui interroge. L’interprète est destiné à être pris entre l’arbre et l’écorce : il facilite et complexifie le travail de l’avocat, de l’enquêteur, etc. Il permet aux deux parties de se comprendre, mais met un frein aux tactiques d’intimidation ou de persuasion auxquelles les acteurs ont souvent recours dans le système judiciaire.

Par exemple, la disparition ou l’ajout de marqueurs discursifs dans l’interprétariat lors d’un interrogatoire ou d’un contre-interrogatoire peuvent changer l’implication et altérer la force illocutoire d’un énoncé, ayant une répercussion sur la réaction qu’il entraîne (Hale, 1999). De la même façon, l’absence d’un interprète ou le non- respect des normes d’interprétariat lors d’un interrogatoire par la police peuvent porter atteinte à l’intégrité d’un témoin ou d’un accusé, celui-ci n’étant pas toujours en mesure de comprendre ses droits (Berk-Seligson, 1999). Qu’elle soit orale ou écrite, instantanée ou différée, qu’elle opère sur des textes de lois ou autres types de documents; la traduction occupe, en contexte judiciaire, une place importante. Bien que sa pratique et son étude prennent racine il y a des siècles, il ne faut pas minimiser les efforts quant à leur utilisation et leur amélioration, puisque la plus petite ambiguïté apportée par une traduction peut mener à une condamnation injustifiée.