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Chapitre 3. Le chef militaire et politique

3. De politique à religieux

Cette foi au Christ, au centre de la critique arabe et grecque, semble d’ailleurs le point d’orgue de toute l’histoire de cette dynastie Tayyée du 6e siècle, plus particulièrement de celle de Moundar dont la vie est dépeinte, dans les sources syriaques, comme celle d’un soldat de Dieu. C’est également cette foi inébranlable qui semble avoir divisé tout le camp des Tayyés, ceux-ci allant vers diverses tendances et sectes, après la disparition de leur roi.

407 La possibilité d’une seconde source, distincte de la Chronique de Jean d’Amida, a souvent été évoquée. Nous ne pouvons pas exclure que ce récit provienne d’une des histoires perdues de cette même chronique. 408 Ce dernier n’aurait pas voulu « embrasser Chalcédoine », c’est-à-dire accepter ce concile et adhérer à l’église dite orthodoxe. Chronique de Michel le Syrien, Livre X, Chapitre 19. Chabot, Tome 2, p. 350.

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Il est bon de rappeler que du 3e au 6e siècle, les déserts d’Arabie furent les lieux propices

aux exils d’hérétiques célèbres, notamment des disciples de Julien d’Halicarnasse409. Les

chroniqueurs grecs rappellent d’ailleurs cette information derrière des phrases énigmatiques. Le christianisme ayant vraisemblablement pénétré les différentes régions d’Arabie avant le règne de la reine Mo’awia, cette phrase de Sozomène nous a particulièrement interpellé : « il fit en sorte que beaucoup devinrent chrétiens, alors qu’il y en avait trouvé peu qui partageait notre foi410 ». Mis dans la bouche d’un Nicéen, ces propos au sujet du moine Moïse, l’évêque des Tayyés et farouche opposant à l’arianisme411, laissent à penser, non pas que les Tayyés étaient encore païens, mais que peu d’entre eux partageaient jusqu’alors la foi de Nicée. Manichéens, partisans de Nestorius, Ariens, ils purent en effet avoir bien d’autres déclinaisons religieuses, le christianisme n’étant pas, à cette époque, aussi monolithique que l’on puisse le croire.

Événement fondateur, la nomination de l’évêque Moïse démontre l’adhésion d’une large part des tribus occidentales des Tayyés à la foi orthodoxe et au patriarcat d’Alexandrie. Il nous semble que la spécificité religieuse de ces tribus est importante pour comprendre qui fut leur chef à la fin du 6e siècle, du moins à l’ouest de l’Euphrate, puisque

les Tayyés alliés des Perses auront beaucoup plus de difficultés à se fédérer religieusement412. Et s’ils adopteront la doctrine de Sévère, ils le feront longtemps avant

l’apparition de Jacques Baradée, puisque toutes les sources démontrent qu’ils sont, avec Théodora, les principaux artisans de sa nomination. Ce christianisme sans royaume, comme le nomme si bien François Nau, reposera d’ailleurs essentiellement sur l’action des

409 Les informations sont confuses, mais certains auteurs mentionnent cette mission phantasiaste partout en Arabie, notamment à Nagran (Najran). Debié, « Les controverses miaphysites en Arabie et le Coran », Les

controverses religieuses en syriaque, p. 145-146. Selon Anastase le Sinaïte, Julien dépendait en fait de

Gaïanus et non l’inverse. Plus intéressant encore, Gaïanus provenait de Nagran selon lui. Libératus de Carthage, Abrégé de l’histoire des Nestoriens et des Eutychiens, SC 607, p. 316-317, note 2.

410 Sozomène, Histoire ecclésiastique, Livre VI, Chapitre 38.

411 Nous avons vu la controverse entourant l’imposition des mains au nouvel évêque. Il ne voulut pas que le patriarche arien d’Alexandrie le fasse. Ce petit détail semble important afin de comprendre l’histoire des Tayyés.

412 Ce n’est pas le sujet de ce mémoire, mais le christianisme des rois de Hira est un sujet fort complexe. Les sources grecques tendent à démontrer les baptêmes de Moundar bar Na’aman et de son petit-fils Na’aman, mais cela demeure très difficile à prouver, surtout dans le premier cas. Nous y reviendrons au chapitre 6.

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rois des Tayyés romains du 6e siècle pour sa survie. Ils en deviendront, chez les

chroniqueurs syriaques, les héros, et c’est en partie ce qui causera leur perte.

Moundar, le roi de l’exil, est l’une des plus importantes figures de l’Orient chrétien du 6e siècle. Les récits le concernant semblent expliquer bien des divisions ultérieures, et nous font voir que, comme Zénobie, Amr bar Adi et son fils Imrou’l Qays413, Mo’awia’ ainsi que son propre père Hareth, Moundar porte le sort de l’Orient sur ses épaules. Il sera également au cœur des intrigues concernant le maintien de la division des Tayyés, entre deux camps, celui des chrétiens proromains et celui des païens pro-perses. Et malgré ces appellations trompeuses, Moundar sera pour toujours le roi des Tayyés et de l’Arabie chrétienne, son rival celui des Tayyés perses de Hira et de la Mésène. Mais pour les hellénisés, même son prestige et sa dextérité au combat ne comptaient pas face à un désavantage majeur au niveau de la crédibilité, puisque pour eux, Moundar bar Hareth était un barbare et un Ismaélite. Pour cette raison, il est l’héritier d’une longue tradition littéraire et polémique hostile aux Tayyés qui est totalement absente des textes syriaques. C’est particulièrement vrai chez Jean d’Amida, l’évêque honorifique d’Éphèse, dont le récit sera le socle de notre analyse sur le caractère religieux du roi des Tayyés.

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