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Le poids des contradictions de l'État

1. Les principaux constats des audités et les questions qu'ils soulèvent

1.3 Le poids des contradictions de l'État

1.3.1 Les engagements du Grenelle et le « terrain » : un hiatus

« L'État a d’abord à clarifier ses positions et briefer dûment ses représentants là où ses positions sont trop visiblement contradictoires ».

« Il y a une réelle impatience à appliquer le Grenelle 1 et 2, mais on ne voit pas comment tout cela s’articule au niveau local ».

Le sentiment de « gap » identifié entre l’administration centrale et les services déconcentrés de l'État (cf. supra) a certainement été accru avec la gestion du Grenelle de l’environnement.

Les agents ont longtemps attendu la « territorialisation du Grenelle », c’est-à-dire la traduction concrète des mesures sur les territoires. En l’absence de ce cadrage, les agents ont eu l’impression que leur action quotidienne était en contradiction avec les engagements pris au niveau national. Ce hiatus, perceptible par bon nombre d’entre eux, a accentué le manque de légitimité dont ils souffraient déjà. La récente circulaire sur la territorialisation du Grenelle devrait apporter d’importants éléments de réponse (26 mars 2009).

Mais ce sont surtout les contradictions entre les décisions annoncées dans le projet de loi Grenelle 1 et les actions réalisées sur les territoires qui ont été le plus mal vécues. Ainsi, lors du réaménagement d’une caserne, la réglementation thermique RT 2005 pourtant obligatoire n’a même pas été appliquée, pour des raisons financières et de planning. Au delà de cet exemple regrettable, on constate l'absence de directive pour inciter les services à promouvoir les bâtiments basse consommation.

Les agents sont sensibles aux incohérences des administrations de l'État encore loin d'être exemplaires en matière d'écoresponsabilité ; ils en dénoncent régulièrement les effets négatifs, tant du point de vue de l’image que sur le fond.

1.3.2 Revoir les «postures » (missions et rôles) et les identités professionnelles

1.3.2.1La fin de l'ingénierie concurrentielle et la difficile mutation de l'identité de l'ingénieur

La fin de l'ingénierie concurrentielle, annoncée de façon assez soudaine, a été perçue comme un désaveu des décennies de travaux réalisés au profit des collectivités territoriales. Associée aux problèmes de moyens liés aux réorganisations, cette réforme a été ressentie par un grand nombre d'agents comme marquant la fin des missions techniques de l'État dans lesquelles ils pouvaient s'investir.

La culture de l’ingénieur, du « savoir », du technicien, du maître d’œuvre d’une réalisation concrète, ne trouve plus sa place dans cette évolution. Des questions sont posées sur les rôles et la place d’une administration « technique de proximité » qui fasse médiation entre l’expert et le maître d’ouvrage (l’élu).

Cette évolution a conduit certains agents (en général « les excellents techniciens des catégories A et B ») à quitter la fonction publique d'État et poursuivre ailleurs leur carrière, ce qui rend également « orphelins » les services qui œuvraient avec eux : la justification sociale de leurs missions précédentes est remise en cause et ils se demandent quels seront leurs nouveaux horizons. Les autres, ceux qui restent, s’accrochent à l’ATESAT, et à l’idée que

« la suppression de l’ingénierie publique est contradictoire avec le développement durable ».

L’attitude contrastée des collectivités territoriales n'aide pas à accepter cette évolution : si les collectivités moyennes et grosses n'attendent plus l'État, certains élus ruraux continuent à demander à ses services une assistance technique, du fait de leurs moyens financiers limités.

S’il leur faut faire le deuil de la conduite des projets, les services sont prêts à considérer qu’ils conservent une expertise de proximité, une capacité à analyser les projets qui seront présentés, à exercer les missions de « porter-à-connaissance », sans mesurer encore ce que le « cadrage préalable » peut représenter en terme d'expertise en amont, et de contrôle de la qualité en aval.

Un deuil des fonctions, postures et métiers d'opérateur est à faire, au profit d'une appropriation de visions inter-territoriales et systémiques et d'approches spécifiques (évaluation, concertation...). La mise en œuvre experte et efficace des directives européennes et engagements nationaux doit dorénavant s'y substituer.

1.3.2.2 Vers de nouveaux métiers ?

L’audit a permis de rencontrer des agents qui se demandent si l'ingénierie publique ne devrait pas évoluer vers une forme d'« ingénierie plus sociétale », c'est-à-dire une assistance méthodologique permettant une gestion des projets conforme au développement durable.

Le piège de ce raisonnement, qui repose sur l'idée d'une substitution « métier pour métier », réside dans le fait qu'il néglige la dimension systémique. Il ne suffit pas de mettre en œuvre, projet par projet, des outils connotés « développement durable » (grille RST 02…) pour prendre en compte l'ensemble des enjeux dans une approche globale et de long terme.

Les services sentent qu’il leur faut développer des compétences :

d’agencement, au sens d’ensemblier, avec une réflexion systémique sur les fonctionnalités

et de médiation, non pas au sens de la relation institutionnelle avec les collectivités territoriales, qui est de la compétence du préfet, mais au sens de la prise en compte de solidarités inter-territoriales.

Mais il n’est pas acquis que cette réflexion intègre tous les éléments d'une démarche de développement durable : « pensée globale », échelle de territoire pertinente, évaluation à tous les stades et à tous les niveaux. La récente circulaire du MEEDDAM sur la territorialisation rappelle pourtant certaines de ces exigences.

1.3.3 Le préfet au croisement des contradictions face au développement durable

L’audit a permis de relever que les services ressentent comme des contradictions fortes les arbitrages qui vont à l’encontre du développement durable. Il est cité l'exemple de sous-préfectures qui financent sur la DGE des projets en zone inondable.

Lors des arbitrages, l'approche sur le long terme du développement local et la question de l’emploi à court terme sont fréquemment mises en opposition.

La culture de l’urgence, de la gestion des crises, les missions de sécurité, de gestion des mouvements sociaux, l'appui apporté aux projets des collectivités l’emportent généralement sur toute vision à long terme.

Interlocuteur des élus locaux et facilitateur, le préfet en est, par certains aspects, leur interprète car il traite surtout des projets ponctuels, le plus souvent en phase finale d'étude, avec l'obligation de répondre rapidement sans disposer d'une analyse globale.

De même, il lui est difficile de défendre des intérêts sans les avoir fait partager par les élus locaux ; « les réticences sont fortes dès lors qu’il s’agit de débattre d’orientations stratégiques avec les collectivités locales » - (parole d’auditeur : « les préfets ne sont pas motivés pour tenir un discours qui contrarie les élus locaux »).

Les services préfectoraux, certes, n’ont pas été les derniers à mettre en œuvre des démarches internes d’écoresponsabilité. Si les services audités font unanimement remonter que les préfets s'expriment rarement sur les objectifs du développement durable, dans le meilleur des cas ils ne s’opposent pas aux initiatives des services.

Les constats qui précèdent font donc apparaître des enjeux de motivation, de formation et de coordination interministérielle.

17. Pour assurer la nécessaire cohérence de l'État, il faut développer une volonté interministérielle de portage du développement durable entre le MEEDDM et les autres ministères tant au niveau central qu'au niveau déconcentré.