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3. Plasticité dans le système nerveux central

3.4 Plasticité chez l’adulte

3.4 Plasticité chez l’adulte

La plasticité dans le cortex, n’est cependant pas seulement restreinte aux périodes critiques et donc à une période développementale. Le cerveau adulte présente aussi de la plasticité même si celle-ci est différente de celle rencontrée lors des périodes critiques. Dans le système visuel de la souris adulte, différentes études ont démontré l’existence de formes de plasticité. Les mécanismes d’ajustement d’orientation notamment sont connus pour ne pas dépendre d’une expérience visuelle au préalable (Wiesel and Hubel, 1963) bien qu’une expérience à la période juvénile puisse modifier la préférence d’orientation de certains neurones (Stryker et al., 1978). Chez le chat adulte, des expériences réalisées avant et après adaptation de changement d’orientation de stimuli visuel montrent que les neurones du V1 effectuent un décalage dans leur préférence d’orientation démontrant l’existence, chez l’adulte, d’une plasticité à la suite d’une adaptation (Dragoi et al., 2000).

La plasticité de dominance oculaire, décrite précédemment existe aussi sous une certaine forme chez l’adulte. Il a, en effet, été montré que la privation monoculaire réalisée chez la souris adulte (P60-P90) entraînait un décalage de dominance oculaire. Néanmoins le temps de privation nécessaire pour induire ce décalage doit être augmenté par rapport aux mêmes expériences réalisées chez la souris juvénile, passant de 3 à 5 jours de privation sensorielle (Sawtell et al., 2003). Une privation de 3 jours n’étant pas suffisante pour entraîner de la plasticité chez l’adulte (Gordon and Stryker, 1996; Sawtell et al., 2003). Ces résultats ont également été démontrés chez le rat (Hofer Sonja B et al., 2006). De plus, l’amplitude du décalage, mesuré sous la forme de score de dominance oculaire, en réponse à une MD est plus petite chez l’adulte que celle observée chez la souris durant la période critique (Pham et al., 2004; Sato and Stryker, 2008). Il est aussi important de noter que le cerveau adulte est plus sensible à ces expériences induisant de la plasticité s’il y a déjà été confronté auparavant (Hofer et al., 2006, 2009). Enfin, une privation sensorielle visuelle (telle que la mise dans le noir de l’animal) précédée d’une suture d’un œil réactive le décalage rapide dominance oculaire comme observée chez la souris jeune (He, 2006).

En addition à ces différences de synchronisation et d’effet, les mécanismes de plasticité en réponse à une MD ne sont pas similaires chez la souris adulte en comparaison à la souris juvénile. La réponse physiologique à la suture d’un œil chez la souris jeune s’effectue en deux étapes, avec tout d’abord une perte rapide des réponses neuronales dépendante de l’œil suturé suivie d’une augmentation de la force de réponse en faveur de l’œil ouvert (Bear, 2004; Sato and Stryker, 2008). Chez l’adulte, la dominance oculaire subit une réorganisation qui est réversible et qui se reflète par une augmentation de la réponse de l’œil ouvert, la perte rapide des réponses neuronales dépendante de l’œil suturé n’est quant à elle pas observée (Sawtell et al., 2003; Pham et al., 2004; Sato and Stryker, 2008).

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Au niveau structural, chez l’adulte, il a été reporté que la MD n’induit pas de changement du nombre de protrusions dendritiques dans les couches II/III (Mataga et al., 2004) et entraîne une très légère diminution de la mobilité des épines dendritiques dans la couche V (Oray et al., 2004) contrairement aux effets structuraux observés durant la période critique (Zuo et al., 2005).

Bien que cette plasticité adulte existe, elle reste limitée et restreinte. En effet, la maturation du réseau cortical, va entraîner l’apparition de « freins moléculaires » qui vont freiner la plasticité corticale (Bavelier et al., 2010). Ces molécules peuvent agir structurellement, comme la matrice extracellulaire ou la myéline mais aussi fonctionnellement comme certains facteurs de transcriptions tel que le BDNF ou récepteurs. Elles vont soit empêcher de façon physique l’interaction entre les neurones ou agir en régulant les mécanismes de neurotransmission. De nombreuses études ont montré que manipuler ces molécules permet d’agir sur le développement temporel des périodes critiques soit en les décalant soit en entraînant une réouverture de période de plasticité chez l’adulte (Nabel and Morishita, 2013; Takesian and Hensch, 2013) (Fig 19).

Tout d’abord, comme dit dans la partie précédente (cf 3.3 Lien entre période critique et inhibition) interférer avec le système GABAergique entraine une augmentation de la plasticité chez l’adulte. Une augmentation de la plasticité de dominance oculaire est induite après infusion de picrotoxine (PTX, antagoniste des récepteurs GABAA) ou d’inhibiteur de la synthèse du GABA (Harauzov et al., 2010). La combinaison des transmissions cholinergiques et noradrénergique est aussi nécessaire pour la plasticité de dominance oculaire après MD (Bear and Singer, 1986). Le Knock-out (KO) de la protéine endogène Lynx 1, qui entraîne la réduction de la transmission cholinergique chez l’adulte, permet une potentialisation de la plasticité de dominance oculaire chez l’adulte, et cette augmentation est abolit par l’utilisation d’antagoniste des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAChR) (Morishita et al., 2010). L’utilisation de l’antidépresseur fluoxetine (inhibiteur de la recapture de la sérotonine et noradrénaline) augmente aussi la plasticité de dominance oculaire chez le rat (Vetencourt et

Figure 19- Période critique du cortex visuel. Plusieurs molécules endogènes, les "freins

moléculaires" (en rouge) vont aider à la fermeture de la période critique. Une manipulation de ces molécules agit sur le développement de la période critique. (Adapté de Nabel et Morishita, 2013).

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al., 2008). La réduction de la neuromodulation entraîne donc chez l’adulte une augmentation de la plasticité de dominance oculaire après MD. Enfin, des modifications de facteurs structuraux prévenant le remodelage des circuits vont agir sur la fermeture de la période critique. La maturation de la myéline par exemple, va contribuer à diminuer la plasticité chez l’adulte. En effet la myélinisation du SNC augmente dans les différentes couches de V1 de façon concomitante à la fermeture des périodes critiques de plasticité (McGee et al., 2005). Des souris adultes KO du récepteur Nogo (NgR) vont voir leur myélinisation altérée et avoir une plasticité liée à la dominance oculaire intensifiée (Atwal et al., 2008; McGee et al., 2005; Syken et al., 2006). Un autre frein moléculaire structural est particulièrement intéressant pour la compréhension de la plasticité du V1. Les matrices extracellulaires et plus précisément le réseau périneuronal (Perineuronal Net ou PNN) ont montré un lien avec la fermeture de la période critique. Dégrader le PNN chez l’adulte, rouvre la période critique (Pizzorusso et al., 2002). Néanmoins les mécanismes moléculaires de ces observations sont encore peu détaillés. Mieux comprendre le rôle du PNN et comment il intervient dans les mécanismes de plasticité dépendante de l’expérience semblent être inévitable pour mieux comprendre les circuits corticaux.

En résumé, des périodes post-natales de plasticité dépendantes de l’expérience ont été décrites dans différentes parties du cortex. Ces périodes sont communément appelées périodes critiques.

Dans le cortex visuel, des expériences de privation monoculaire (MD) ont permis d’étudier la plasticité avant, pendant etaprès ces périodes critiques. Des MD de courtes périodes réalisées pendant la période critique chez le rongeur résulte d’un décalage de la dominance oculaire qui n’est pas retrouvé de la même façon l’adulte. La plasticité de dominance oculaire existe chez l’adulte mais différente de celle trouvée pendant la période critique et nécessite une MD plus longue en résultant un décalage de la réponse neuronale moins important.

Enfin, un point intéressant est le lien entre l’inhibition GABAergique et la plasticité. Altérer l’inhibition corticale permet de rouvrir des périodes de forte plasticité chez l’adulte.

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