• Aucun résultat trouvé

3. Plasticité dans le système nerveux central

3.2 Le système visuel et la dominance oculaire

3.2.1 Le système visuel

Le système visuel consiste en une série de cellules et synapses qui portent l’information visuelle de l’environnement au cerveau pour l’intégrer.

Les signaux sensoriels reçus au niveau des photorécepteurs de la rétine, qui convertissent l’énergie lumineuse en un signal neuronal, vont ensuite passer par les cellules bipolaires. Ils sont transférés aux cellules ganglionnaires qui vont permettre leur intégration au niveau de la partie dorsale du Corps Genouillé Latéral (CGL) du thalamus. Il est intéressant de noter la structure inversée de la rétine (Fig 15), la lumière devant traverser la rétine avant de pouvoir atteindre les photorécepteurs, sensibles à la lumière. Les neurones du CGL vont ensuite faire synapse au niveau de la couche IV du cortex visuel primaire (V1).

Figure 15- Structure inversée de la rétine : La lumière va traverser les différentes couches cellulaires

constituant la rétine afin d'être captée par les photorécepteurs. (Adapté de Principles of neural science, fifth edition, Kandel).

29

Les cellules ganglionnaires de la rétine, reçoivent des entrées de nombreux photorécepteurs (cônes et bâtonnets), généralement regroupées de façon précise en « patch » que l’on appelle champs récepteurs des cellules ganglionnaires. En effet, les cellules ganglionnaires peuvent être classées en deux groupes : les cellules à centre ON et les cellules à centre OFF (Fig 16) : les cellules à centre ON déchargent quand leur champ récepteur est illuminé, tandis que les cellules à centre OFF sont inhibées par l’illumination de leur champ récepteur mais activées quand sa périphérie est illuminée (Kuffler, 1953). Ces champs récepteurs se recouvrent, et couvrent la surface entière de la rétine. Plusieurs cellules à centre ON et à centre OFF convergent vers la même cellule du CGL, les cellules du CGL à leur tour convergent vers la même cellule dans V1. Cette organisation est appelée organisation rétinotopique. On retrouve donc, à la fois dans le CGL et le V1, des cellules à champs récepteurs façonnées par des entrées excitatrices et inhibitrices. Le haut degré de convergence du système visuel permet aux cellules corticales de s’ajuster à la spécificité d’un stimulus : les cellules dites « simples » détectent les bords d’angles spécifiques alors que les cellules dites « complexes » détectent les bords avec une notion de direction et mouvement (Hubel and Wiesel, 1959).

Chaque hémisphère du V1 va recevoir des informations provenant du champ visuel controlatéral. La plupart des cellules de la rétine projettent vers la partie dorsale controlatérale du CGL après avoir croisé la ligne médiale à travers la ligne médiale du chiasma optique.

Figure 16- Champ récepteur de deux cellules ganglionnaires. Les champs sont des aires circulaires

entourés d’un anneau périphérique aux propriétés différentes. La cellule à centre ON (à gauche). La cellule à centre OFF (à droite). Quand le point de lumière est focalisé dans la région centrale (champ récepteur) la décharge de la cellule augmente. Quand le point lumineux est focalisé sur la périphérie, la décharge est réduite. Quand l’illumination est diffuse, la décharge est régulière.

30

3.2.2 La dominance oculaire

Les travaux d’Hubel et Wiesel, qui leur ont valu le prix Nobel en 1981, ont démontré dans le cortex visuel que l’expérience peut moduler les connexions neuronales. Le système visuel permet en effet un contrôle expérimental des conditions permettant d’étudier les relations entre l’expérience et le circuit neuronal. Ce n’est pas le cas d’autres systèmes, tels que le système somatosensoriel où il est difficile d’exclure un contact entre l’animal et les stimulations somesthésiques de son environnement extérieur.

De plus, la conformation des voies visuelles et notamment l’existence de colonnes de dominance oculaire dans la couche IV, due à l’arrivée des afférences du thalamus, facilite les études réalisées dans ce système. La dominance oculaire est un phénomène résultant du fait que les neurones situés au sein d’une même colonne vont répondre exclusivement à une stimulation venant soit de l’œil gauche soit de l’œil droit. Au contraire, les neurones situés dans les couches supérieures (couches II et III) ou inférieures (couches V et V) à la couche IV intègrent les informations provenant des deux yeux.

Afin de mesurer la distribution de la dominance oculaire, des enregistrements unitaires du cortex visuel primaire sont généralement réalisés (Dräger, 1975) et permettent de calculer le score de dominance oculaire (OD score) (Fig 17, A). Plus récemment, des méthodes d’imagerie optique des signaux intrinsèques de l’activité corticale permettent de mesurer les réponses visuelles aux stimulations des deux yeux en donnant une estimation quantitative des réponses corticales (Cang et al., 2005). Les neurones corticaux du V1, y sont classés en 7 groupes de dominance oculaire suivant leur degré de réponse à un stimulus de l’œil ipsilatéral ou contralétéral. Les cellules classées dans le groupe 1, ne sont activées que par une stimulation de l’œil contralatéral tandis que les cellules classées dans le groupe 7 ne sont activées que par une stimulation de l’œil ipsilatéral. Le groupe 4, regroupe quant à lui, les neurones dits binoculaires (qui répondent de la même façon aux stimulations de l’un ou de l’autre œil).

C’est grâce à l’existence de cette distribution de dominance oculaire, que Hubel et Wiesel ont mis au point un modèle montrant l’importance de la période critique sur l’établissement de la distribution de la dominance oculaire dans le V1. La suture d’une courte durée (en général 3 jours chez la souris) d’une paupière, et donc l’occlusion d’un œil chez l’animal jeune, que l’on caractérise de privation monoculaire (Monocular Deprivation ou MD en anglais) provoque un décalage de la dominance oculaire et l’animal jeune va développer une amblyopie (différence d’acuité visuelle entre les deux yeux qui n’est pas due à une lésion ou un traumatisme) qui n’est pas retrouvé chez l’animal adulte. Des études réalisées chez le chat ont démontré que cette suture d’un œil, pendant la période critique de plasticité va induire

31

une réorganisation de la réponse des neurones corticaux en faveur de l’œil resté ouvert. Les cellules normalement activées par l’œil maintenant suturé vont répondre aux entrées sensorielles venant de l’œil non suturé (Wiesel and Hubel, 1963) (Fig 17 B et C). Depuis ce modèle de privation monoculaire est devenu un système classique pour étudier les périodes critiques de plasticité (Daw et al., 1992; Hensch and Fagiolini, 2000; Hensch, 2005). La privation binoculaire (suture des deux paupières) réalisée chez la souris pendant la période critique ne diminue quant à elle pas les réponses corticales (Gordon and Stryker, 1996). Cette plasticité dépend donc bien de la compétition entre les deux yeux. Ce mécanisme est observé chez l’animal jeune, toujours durant la période critique et est limité chez l’adulte (Hubel and Wiesel, 1970; Olson and Freeman, 1980).

L’effet de la MD est supporté par des remodelages au niveau des circuits corticaux (Trachtenberg and Stryker, 2001). Des changements structuraux rapides ont par exemple été observés au niveau des épines dendritiques (Oray et al., 2004).

Figure 17- Score de dominance oculaire et effet de la privation monoculaire chez le chat. (A)

Distribution de la dominance oculaire chez un chat adulte normal. (B) Après la suture brève d’une paupière, chez le chaton, on observe un décalage de la dominance oculaire en faveur de l’œil non suturé (ipsilatéral). (C) Après suture longue d’une paupière, chez le chat adulte, on observe une