• Aucun résultat trouvé

Plasticité de la somatotopie et douleur neuropathique

Chapitre 3 : Plasticité et somatotopie somesthésique

II. Plasticité de la somatotopie et douleur neuropathique

L’existence de sensations anormales subjectivement ressenties comme provenant d’un membre amputé est connue depuis très longtemps (Ambroise Paré-1551). Cependant, Ramachandran et collaborateurs (1992) ont été à notre connaissance les premiers à étudier de façon formelle et à rapporter, après stimulation de la face chez un patient avec un bras amputé, l’apparition de sensations de toucher léger à la fois au niveau de la face (sensation référée) et au niveau des doigts manquants (sensation fantôme). Cette observation suggère que la stimulation de la face engendre à la fois l’activation de l’aire corticale de la face et la réactivation de la zone de la main, d’où cette sensation double et mal localisée (Ramachandran et al. 1992 ; Halligan et al. 1993 ; Ramachandran 1993).

Depuis cette étude, les travaux rapportant des sensations douloureuses localisées dans le membre fantôme chez des patients amputés (« douleurs fantômes ») se sont multipliés (Elbert al. 1994, 1997 ; Yang et al. 1994 ; Flor et al. 1995,1998 ; Montoya et al. 1998 ; Grüsser et al. 2001 ; Karl et al. 2001). Les douleurs fantômes font partie d’une catégorie de douleurs qualifiées de neuropathiques dans laquelle sont également retrouvées des douleurs développées après lésion nerveuse périphérique et/ou centrale (e.g. Peyron et al. 1998 ; Klit et al. 2009 ; Wrigley et al. 2009).

Dès les premières études réalisées chez des patients avec douleur fantôme, une réorganisation du cortex S1 controlatéral à l’amputation a été rapportée (Elbert et al. 1994 ; Yang et al. 1994). En effet, en accord avec les observations chez les singes désafférentés du membre supérieur, l’aire dédiée à la représentation de la face s‘étend de façon importante dans la représentation de la main.

64

Flor et collaborateurs (1995) rapportent des observations similaires, en étudiant à l’aide de la MEG les changements de représentation somatotopique de la main et de la face après amputation du membre supérieur. L’originalité de cette étude vient de la mise en évidence, et ce pour la première fois, d’une corrélation entre l’étendue de la plasticité et l’intensité de la douleur fantôme. Ces auteurs observaient que plus l’envahissement de la face dans l’aire de la main était étendu, plus l’intensité des douleurs fantômes était importante (Figure 3-5). Depuis cette étude, un certain nombre de travaux rapportent une corrélation forte entre étendue de la plasticité dans S1 et intensité de la douleur neuropathique chez des amputés (Flor et al. 1998 ; Montoya et al. 1998 ; Grüsser et al. 2001 ; Karl et al. 2001). Bien que la grande majorité de ces études soient en provenance de la même équipe, une étude récente réalisée par Wrigley et collaborateurs (2009) a mise en évidence de façon indépendante, chez des patients avec lésion de la moelle épinière entre les segments T1 et T10, un lien significatif entre l’étendue de la réorganisation dans S1 controlatéral à la lésion et l’intensité de la douleur neuropathique développée.

Le lien entre l’étendue de la réorganisation somatotopique et l’intensité de la douleur neuropathique est également retrouvé dans des études ayant pour objectif d’améliorer la douleur neuropathique. En utilisant des anesthésiques locaux (Birbaumer et al. 1997, 2001), des prothèses myoélectriques (Lotze et al. 1999), des opioïdes (Huse et al. 2001), l’entraînement discriminatif

A B

Figure 3-5 : Réorganisation somatotopique dans S1 chez des patients amputés et mise en évidence de la corrélation entre l’étendue de la plasticité corticale avec l’intensité de la douleur fantôme.

A : représentation somatotopique des doigts (carrés) et des lèvres (cercles) au niveau des hémisphères ipsilatéral

(gauche) et controlatéral (droite) chez un sujet amputé avec (symboles noirs) et sans (symboles blancs) douleur fantôme. Chez le patient amputé avec douleur fantôme, l’asymétrie hémisphérique de la représentation des lèvres est clairement prononcée. B : Quantification de la réorganisation corticale (en cm) rapportée à l’intensité de la douleur fantôme pour chaque sujet de l’étude. D’après Flor et al. 1995

65

tactile de deux points (Flor et al. 2001 ; Moseley et al. 2007) ou l’acupuncture (Napadow et al. 2007), ces différentes études ont démontré que l’efficacité antalgique de ces méthodes était accompagnée par une réorganisation de S1 qui tend à rétablir une somatotopie normale. Enfin certaines études évaluant la plasticité dans S1 chez des sujets avec douleur aigue induite par un agent pharmacologique (Buchner et al. 2000 ; Sörös et al. 2001) et chez des patients souffrant de douleur chronique sans désafférentation du système somatosensoriel (Flor et al. 1997 ; Tinazzi et al. 2000 ; Tecchio et al. 2002 ; Vartiainen et al. 2009) montrent que la douleur elle-même augmente la réactivité corticale et sous-corticale après stimulation somesthésique du site douloureux (Tinazzi et al. 2000) pouvant aboutir à une réorganisation somatotopique dans S1 (Flor et al. 1997 ; Buchner et al. 2000 ; Sörös et al. 2001 ; Vartiainen et al. 2009).

L’action des outils thérapeutiques sur la diminution de la douleur pourrait alors être directe, à savoir agir directement sur l’intensité des douleurs, et pourrait être accompagnée par une plasticité cérébrale, ou bien indirecte, à savoir entrainer une plasticité qui induirait la réduction des douleurs. Il est également possible que ces deux phénomènes différents, analgésie et plasticité, soient complètement indépendants. A l’heure actuelle, il est encore impossible de statuer sur cette question et des recherches seront nécessaires pour l’éluder. Pour cela, il est nécessaire de garder en mémoire que des méthodes agissant à la fois sur l’intensité des douleurs et entrainant une plasticité existent.

Une des techniques thérapeutiques allégeant les douleurs est employée depuis les années 1990, à savoir la stimulation corticale du cortex moteur. Cette technique a été introduite par Tsubokawa et collaborateurs (1991) et montre un effet antalgique chez des patients avec douleurs chroniques pharmaco-résistantes. Cette technique étant invasive, une autre méthode de stimulation corticale à été développée (Barker & Jalinous 1985), à savoir la technique de stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS). Employée dans le traitement de la douleur neuropathique depuis une dizaine d’années (Lefaucheur et al. 2001), cette méthode promet d’apporter des éléments de réponse quant aux mécanismes d’action de l’analgésie induite par la stimulation du cortex moteur.

66