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Planification en milieu industriel : études de cas

Introduction au chapitre 2

4 Planification en milieu industriel : études de cas

Pour confronter les études académiques au contexte industriel actuel, un ensemble d’études de cas on été menées dans le cadre de l’EPML PIChaLog4. Les études de cas ont été menées au travers d’entrevues avec des décideurs responsables logistiques. Au préalable, un récapitulatif des différents points à aborder avait été préparé pour pouvoir, au besoin, réorienter et alimenter les discussions. Ce récapitulatif est présenté en annexe 1. Ces entrevues étaient basées sur une discussion informelle durant laquelle le(s) responsable(s) présentait(ent) le fonctionnement de leur entreprise du point de vue de sa logistique amont et aval.

Les entrevues ont été conduites dans 10 entreprises (3 grandes entreprises et 7 PMEs) appartenant pour la plupart à des chaînes logistiques croisées (i.e. réalisation de différents produits finis pour des clients distincts).

Après avoir défini le contexte de ces études de cas, une synthèse des points les plus marquants de ces entrevues sont détaillés ci-dessous.

4.1 Contexte de l’étude de cas

Une limite à notre étude de cas est qu’elle a été principalement menée dans le sud-ouest de la France, où un grand nombre d’entreprises travaillent dans l’industrie aéronautique. La dizaine d’entreprises étudiées est ainsi principalement issue du milieu aéronautique. Ce nombre est, à notre sens, un échantillon suffisant pour dégager un ensemble d’observations et d’éléments clés généraux pour les processus de planification. Eisenhardt (1989) montre qu’un nombre d’études de cas compris entre 4 et 10 peut être suffisant pour dégager quelques concepts génériques.

Les principales différences que l’on peut dégager entre l’industrie aéronautique et d’autres industries comme l’industrie du semi-conducteur, de l’agro-alimentaire ou de l’automobile résident dans les caractéristiques des produits. En effet, les produits manufacturés sont

4 EPML PIChaLog : Équipe Projet Multi-Laboratoire « Pilotage Intégré de la Chaîne Logistique » visant le développement de méthodes, modèles et outils d’aide à la décision et à la négociation intégrant la nature distribuée de centres de décision associés à des entités coopératives et concurrentielles. Laboratoires concernés : le CERTOP, laboratoire du CNRS rattaché à l’université Toulouse 2 Le Mirail ; le LAAS, laboratoire du CNRS ; le LAPS, laboratoire du CNRS ; le LGP, laboratoire de l'ENI de Tarbes.

complexes et possèdent une forte valeur ajoutée. De plus, les temps de cycles sont généralement longs. La demande en produits finis ne concerne que de petites quantités et est assez stable dans le temps. Dans ce contexte, la plus grande partie de l’incertitude sur la demande subie par une entreprise de la chaîne logistique est liée aux aléas de production des différents maillons, amonts comme aval, et pas directement à la demande client finale. L’effet Bullwhip constitue un exemple caractéristique des perturbations pouvant survenir dans ce secteur industriel. Un autre aspect remarquable des chaînes logistiques du secteur aéronautique est que la valeur ajoutée est principalement obtenue dans les maillons avals qui réalisent les assemblages des produits finis. Ainsi, les entreprises positionnées sur les maillons amonts sont plutôt des PMEs, hormis pour la matière première contrôlée par l’industrie sidérurgique.

Comme le montre la figure 9, les structures de chaînes rencontrées s’apparentent à des structures convergentes ou le flux de matière se concentre vers un assembleur au rang 0, qui livre le produit fini au client.

1 0

2

3 2 1 0

3

Figure 9. Structure type des chaînes considérées

Dans ces chaînes logistiques, l’assembleur, qui assure aussi la plus grande partie de la conception des produits finis, est souvent une grande entreprise. Le rang 1 est aussi composé de grandes entreprises chargées de réaliser, en collaboration avec le rang 0, les différents sous-ensembles (moteurs, trains d’atterrissage, systèmes de conditionnement d’air etc.) qui composeront le produit fini.

Au rang 2, des entreprises, souvent PME, réalisent des pièces en sous-traitance principalement pour le rang 1 mais parfois aussi pour le rang 0. Les pièces réalisées nécessitent des savoir-faire que l’on retrouve dans ces entreprises spécialisées (tôlerie fine, usinages de précision etc.). Dans leurs processus de fabrication, ces entreprises peuvent sous-traiter une partie de leur fabrication au rang 3, notamment en ce qui concerne les opérations de traitement de surface ou traitement thermique. Le rang 3 est donc composé d’entreprises spécialisées mais aussi de fournisseurs de matière première.

Cette structure simplifiée est rendue plus complexe par le fait que des entreprises peuvent être positionnées à plusieurs rangs. Par exemple, des entreprises de rangs 0 et 1 peuvent aussi avoir recours à des sous-traitants spécialisés positionnés sur la figure 9 au rang 3. Ainsi, ces entreprises spécialisées constituent des ressources partagées par des entreprises de différents niveaux, ce qui peut être une source de conflits

4.2 Observations

4.2.1 Influence de la taille de l’entreprise

Un premier point important est qu’il y a une certaine corrélation entre la taille de l’entreprise et sa maturité au niveau des technologies de l’information et des techniques de gestion de production qu’elle utilise.

Les plus petites entreprises (10 à 30 personnes) ont souvent été créées en se positionnant sur un marché de niche qu’elles ont pu conserver grâce à leur savoir-faire spécialisé. Ces entreprises, appartenant plus particulièrement aux rangs 2 ou 3, ont pour premier objectif de conserver leur avance technologique et de fournir des produits de qualité. Elles ne sont que peu sensibles aux contraintes liées à la gestion de production que souhaiteraient leur imposer leurs donneurs d’ordres. Les problèmes de management, comme un contrôle strict des en-cours, un suivi et une réaction immédiate en cas de dérive de l’état de production courant par rapport aux plans de production, ne sont pas perçus comme prioritaires. De ce fait, les investissements sont souvent réalisés au niveau de l’outil de production au détriment d’outils de management. Une seule des PMEs visitées (la plus grande, avec plus de 100 employés) pouvait être considérée comme travaillant avec les processus de gestion de production usuels. Parmi ces processus, on peut citer la création d’un plan de production à moyen terme étayé par une étude de faisabilité sommaire, l’utilisation du MRP (Material Requirement Planning), la réalisation d’un plan de charge détaillé et un suivi strict des ordres de fabrication.

Dans la plupart des PMEs utilisant des outils de gestion de production du marché (3 sur 7), ceux-ci étaient principalement utilisés pour rassembler les commandes clients, sur la base du planning de livraison, ou pour gérer des données techniques (nomenclatures et gammes de fabrication). Pour diverses raisons, les ordres de fabrication étaient toujours extraits des outils de gestion de production pour être mis en forme grâce à des développements spécifiques sous Excel® ou Access®. Ainsi, les capacités des outils de gestion de production n’étaient que partiellement utilisées, notamment en ce qui concerne la vérification des ratios charge/capacité et les modules de suivi de production. La gestion de production à court terme faisait appel essentiellement à l’expérience du personnel pour définir des actions correctrices mais laissant peu de place à l’anticipation. Dans certains cas, toute la gestion de production était réalisée en utilisant des développements spécifiques, souvent sous Excel®, ce qui se traduisait par les mêmes problèmes de manque de visibilité.

Au regard de ce retard relatif des PME vis-à-vis des grandes entreprises, se pose la question de savoir dans quelle mesure les grandes entreprises pourraient intervenir dans la gestion des PMEs. En effet, par effet de taille, ces grandes entreprises sembleraient capables de mettre à profit leur savoir-faire pour imposer des modes de fonctionnement optimisés. La sous-section suivante décrit le point

4.2.2 Relations centralisées vs. point-à-point

Dans le cadre de l’industrie aéronautique, une optimisation globale de la chaîne nécessiterait un contrôle total de la part de l’assembleur final, proche du client final.

D’après les grandes entreprises étudiées, cette idée de gestion globale va à l’encontre des relations classiques client/fournisseur. Dans ce type de relations, le fournisseur est responsable de la gestion des activités amont de la chaîne logistique.

En effet, la responsabilité des fournisseurs pour leurs propres fournisseurs ou sous-traitants ne permet pas d’ingérence des clients finaux dans leurs relations. Ces mêmes clients ne peuvent donc pas, a priori, influencer la gestion de leurs fournisseurs et par extension, des fournisseurs de rang 2. De plus, une autre explication, plus pragmatique, a été soulignée par certains responsables logistiques : une telle coordination serait trop complexe pour être gérée de manière efficace. Il n’y a donc pas d’intérêt à ce qu’un assembleur final ou une grande entreprise de rang 1 intervienne dans la gestion quotidienne de ses fournisseurs. La gestion de la chaîne logistique est donc essentiellement composée d’un ensemble de relations point-à-point, dans lesquelles chaque partenaire prend en compte la demande de ses clients directs et répercute cette demande vers ses fournisseurs directs. Pour accélérer le flux d’information et améliorer la coordination de ces entités, les entreprises essaient de développer des modes de partage et d’échanges de données par l’intermédiaire de systèmes d’informations basés sur Internet. Pour cela, on utilise souvent un progiciel de gestion intégré (Enterprise Resource

Planning, ERP) qui assure le support des différentes activités de l’entreprise. Un des

inconvénients majeurs de ces systèmes est qu’ils n’offrent que peu de possibilités pour gérer l’incertitude sur la demande. Ainsi, elle est intégrée principalement au travers de marges introduites au niveau des stocks ou des délais de fabrication et d’approvisionnement. Ces solutions pour pallier l’incertitude nuisent à la flexibilité de la chaîne comme à la minimisation des coûts.

Il existe néanmoins une exception pour laquelle une grande entreprise peut intervenir en lieu et place de ses fournisseurs. Cette exception concerne les approvisionnements en métaux, en lien avec la crise actuelle du marché. Dans ce cas, l’assembleur final peut apporter son appui à ses sous-traitants de rangs 2 ou 3 pour faciliter leurs approvisionnements en matière première. Ces grandes entreprises peuvent utiliser leur poids dans les négociations sur les délais, et avoir une influence sur les fournisseurs qui n’est pas à la portée d’une PME.

Quand on regarde les disparités liées à la taille des entreprises et le caractère point-à-point du fonctionnement de la chaîne logistique, on peut remarquer qu’un problème majeur se pose au niveau des rangs 2 et 3 du fait d’une gestion des flux assez lâche. Les difficultés des entreprises positionnées sur ces rangs à maîtriser leurs flux internes accroissent leurs difficultés à garder un contrôle sur leurs propres sous-traitants, qu'ils parviennent difficilement à alimenter en prévisions fiables. La sous-section suivante détaille et caractérise le flux d’information dans la chaîne.

4.2.3 Informations échangées

Les grandes entreprises situées en fin de chaîne travaillent principalement sur la base de programmes représentant les quantités d’un type de produits finis (i.e. gamme d’avion…) à réaliser. Ces programmes ont des quantités fluctuantes en fonction de l’évolution du marché (après une période difficile il y a 5 ans, le marché est par exemple actuellement à la hausse).

Sur la base de ces programmes, les entreprises peuvent construire des plans d’approvisionnement pour chaque fournisseur et sous-traitant, en incluant des marges pour faire face aux aléas. Le résultat est un planning prévisionnel de livraison pouvant aller jusqu'à

2 à 3 ans, contenant les quantités à livrer par mois ou, dans certains cas, par jours. Ces plannings sont réactualisés tous les mois pour tenir compte des variations mineures de chaque programme.

En général, un plan généré par les grandes entreprises en fin de chaîne est décomposé selon plusieurs horizons temporels :

un horizon ferme, habituellement de 15 jours à 1 mois, durant lequel les commandes transmises aux sous-traitants ou fournisseurs restent inchangées sauf dans le cas de problèmes majeurs,

un horizon flexible, (généralement de quelques mois), durant lequel les commandes peuvent être modifiées à l’intérieur de limites préétablies (par exemple avec une variation tolérée de 50%),

un horizon libre, transmis uniquement à titre d’information.

Chacun de ces horizons est délimité par contrat entre le donneur d’ordre et ses fournisseurs.

Il est intéressant de remarquer que les grandes entreprises ont souvent une bonne compréhension des contraintes des PMEs. Dans le secteur aéronautique, trouver et qualifier un nouveau sous-traitant ou fournisseur prend un temps relativement long (i.e. environ une année) et est assez coûteux. Le partenariat est donc un mode relation privilégié. Concrètement, cela peut se traduire par une prise de risque de la part d’une grande entreprise qui va accepter un certain niveau de stock dans le but de limiter les variations des commandes passées à court terme à ses fournisseurs, plus fragiles. L’horizon ferme pour un fournisseur peut donc être plus long que celui de son entreprise cliente. Dans le même esprit, lors d’augmentations ou de diminutions important des quantités à livrer prévues, l’entreprise peut chercher à lisser cette variation pour ne pas déstabiliser son sous-traitant. Dans d’autres cas, l’entreprise cliente garantit par contrat que la quantité globale demandée à son fournisseur dans l’horizon flexible sera acceptée. Ce cas s’applique pour un horizon ne dépassant pas trois mois et ce même dans le cas où le donneur d'ordre n’a plus de besoin pour les composants demandés. Néanmoins ce partenariat peut être remis en question par l’entreprise cliente qui peut changer de fournisseur à tout moment au profit d’un autre moins cher ou plus fiable. Cette dualité de la relation client/fournisseur se traduit par des cas de figures différents avec par exemple : (1) une des grandes entreprises étudiée appliquant un programme d’externalisation vers des pays à bas coûts dans le sud-ouest asiatique et (2) une autre qui préfère s’orienter vers de la sous-traitance locale. Ces orientations ne sont pas indépendantes car les externalisations ont souvent abouti à des problèmes de qualité des produits qui ont nécessité des actions de reprises urgentes. Ces actions, réalisées par des sous-traitants locaux, ont eu souvent une influence déstabilisatrice sur leur production.

Ces quelques exemples montrent que les informations échangées au sein d’une chaîne logistique vont au-delà de simples plans de productions se répercutant de proche en proche de l’aval vers l’amont. La taille des entreprises et leur capacité à assurer un traitement de l’information efficient (gestion des prévisions et des contingences, suivi de production…) rendent nécessaires des ajustements de capacités et des adaptations de la charge. Cela se traduit par la présence de stocks intermédiaires et donc, un fonctionnement sous optimal de la chaîne.

4.3 Bilan des études de cas

Le problème majeur soulevé par les grandes entreprises est qu’en dépit de leurs efforts pour faciliter le travail des fournisseurs ou sous-traitants plus petits, leur visibilité à moyen terme reste pauvre. Cela s’explique par une mauvaise utilisation et intégration des prévisions qui leur sont transmises. De plus, les difficultés de suivi de leurs activités quotidiennes ne leur permettent pas toujours d’identifier les problèmes à l’avance. Cette exploitation incomplète des données transmises aux rangs 1 ou 2 provoque un manque de visibilité empêchant souvent la prise de bonnes décisions pour gérer au mieux les aléas. La conséquence directe de ce

manque de visibilité est la nécessité de réagir rapidement à des problèmes inattendus, ce qui entraîne à la fois une déstabilisation de leur production et de celle de leurs propres sous-traitants (l'effet Bullwhip en est un exemple). De plus, ce manque de visibilité et cette incapacité de réaction se répercutent ensuite sur les éléments avals de la chaîne logistique qui doivent entreprendre des actions en urgence pour respecter les dates de livraisons des produits finis.

Le milieu aéronautique constitue un cas d’étude particulier car, si la demande-client finale est assez stable (malgré des augmentations et diminutions régulières), des problèmes peuvent survenir en raison du manque de coordination entre les partenaires. Pour assurer une meilleure coordination, une approche centralisée semble difficilement envisageable, non seulement en raison d’un manque d’outils de type APS mais surtout en raison de l’indépendance juridique des entreprises et de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs propres fournisseurs.

Dans le contexte actuel d’augmentation de la charge, le contrôle et la réduction des temps de cycle est un enjeu essentiel. Pour améliorer l’efficacité globale de la chaîne, une attention particulière peut être portée sur les maillons possédant le moins de moyens organisationnels, souvent les plus petites entreprises.

Au regard des études de cas, les contrats définis entre les partenaires de la chaîne semblent suffisants pour apporter une réponse cohérente aux besoins de planification dans une situation nominale. Néanmoins, et principalement au niveau des sous-traitants, un apport semblerait important pour (1) détecter à l’avance les problèmes et (2) trouver des solutions compatibles avec le temps disponible pour résoudre le problème.

Sur la base de ces affirmations, un état de l’art sur la planification des chaînes logistiques et des problèmes de coordination qu’elle soulève est proposé dans la partie suivante.

5 Travaux de recherche sur la planification des chaînes