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L’objectif général de cette thèse est donc d’étudier le lien entre facteurs abiotiques et les nids de termites et de fourmis, issues de familles et de biotopes différents mais construisant des structures présentant des analogies.

L’étude d’un tel phénomène biologique engendre deux types de questions caractérisant les enjeux de l’éthologie7 et plus généralement de la biologie moderne. Nikolaas Tinbergen (1963) a théorisé ce cadre de pensé, en distinguant les questions renvoyant aux fonctions ultimes (le pourquoi ?) d’un comportement, des questions faisant références aux causes proximales (le comment ?). Dans le premier cas, il s’agit de comprendre l’apparition et l’évolution d’un comportement ou de tout autre aspect du phénotype observé chez une espèce8, dans le cadre de la théorie de la sélection naturelle (Darwin, 1859). Dans le second cas, l’enjeu est de

7. L’éthologie est l’étude scientifique du comportement des espèces, reposant sur des méthodes d’observa- tion et de quantification des comportements dans le cadre de la démarche expérimentale.

8. Selon Dawkins (1989), le comportement peut-être considéré comme une extension du phénotype (phé- notype étendu).

comprendre les mécanismes proximaux déclenchant et modulant l’expression d’un phénotype. Dans cette thèse, nous considérerons les deux aspects, nous focalisant principalement sur les mécanismes au niveau proximal, mais en replaçant notre travail dans un contexte évolutif.

Dans ce cadre, nous avons étudié les aspects fonctionnels des nids des termites P. araujoi et C. cumulans en étudiant dans une approche mécanistique leurs propriétés de régulation des facteurs abiotiques (chapitre 2). Nous avons ensuite étudié l’effet de ces facteurs sur la survie de ces termites (chapitre 3) en essayant de lier nos résultats aux traits d’histoire de vie des espèces étudiées. D’autre part, nous avons exploré les mécanismes par lesquels les facteurs abiotiques pourraient moduler le processus de morphogenèse9 des constructions chez la fourmi

Lasius niger (chapitre 5). Nous avons également initié l’étude du préférendum thermique de

cette fourmi (chapitre 4).

Nous espérons ainsi apporter de nouveaux éléments constituant la base nécessaire à l’éla- boration d’un modèle quantitatif des mécanismes de construction des nids des insectes sociaux (Fig. 1), tout en considérant les aspects écologiques et évolutifs ayant modulés les traits d’his- toire de vie des insectes constructeurs.

9. Ensemble des processus impliqués lors de la création d’un motif organisé et qui déterminent sa forme et sa structure.

Chapitre 2

Etude comparative des dynamiques

spatio-temporelles des variations de

température et d’humidité dans les nids

des termites C. cumulans et P.araujoi

Rémi Gouttefarde, Richard Bon, Vincent Fourcassié, Patrick Arrufat,

Ives Haifig, Christophe Baehr, Christian Jost

2.1 Introduction

La thermorégulation des nids est un processus qui peut se faire de façon active ou passive (Jones & Oldroyd, 2006). La thermorégulation active s’effectue via une action directe des insectes. Par exemple via le comportement de fanning des bourdons, qui consiste à battre des ailes pour ventiler et donc refroidir la ruche (Weidenmüller et al., 2002). Chez le termite

Tumulitermes pastinator, il se pourrait que les ouvriers créent un puit énergétique rafraichissant

en rapportant de l’eau au nid (Bristow et al., 1987). La thermorégulation passive, elle, survient lorsque la température est régulée via les propriétés de la structure elle-même, qu’il s’agisse de l’architecture ou de la nature des matériaux utilisés (section 1.3.2). S’il est probable que l’architecture des nids soit liée à leur capacité à réguler les facteurs abiotiques, les capacités thermorégulatrices des termitières sont probablement moins spectaculaires que ce qui a été admis couramment pendant plusieurs décennies (section 1.3). En effet, même si le climat interne des nids est souvent plus stable que celui de l’environnement extérieur, ce dernier est

toutefois corrélé aux fluctuations environmentales (Turner & Soar, 2008; Field & Duncan, 2013). Les fluctuations de température sont surtout importantes à la surface des monts et les températures sont en général plus stables dans le cœur du nid comme rapporté chez les termites du genre Trinervitermes sp. (Josens, 1971; Field & Duncan, 2013).

À ce jour, il existe un nombre limité d’études consacrées à la mesure des températures et de l’humidité dans les nids de termites (Lüscher, 1961; Greaves, 1964; Josens, 1971; Malaka, 1977; Turner, 1994; Korb & Linsenmair, 2000; Korb, 2003; Field & Duncan, 2013; King et al., 2015). Dans ces études, les auteurs se contentent en général de décrire les séries temporelles des températures relevées dans les nids. Certains auteurs tentent d’établir des comparaisons entre divers points de mesures relevés à différentes périodes, en comparant par exemple les co- efficients de variation (écart-type/moyenne) des températures (Field & Duncan, 2013). Cette approche reste cependant limitée pour comparer les dynamiques spatio-temporelles des va- riations de température et/ou d’humidité. En effet, le traitement statistique de ces données requiert de considérer le problème de non indépendance des données, lié aux mesures répé- tées dans le temps (série chronologique). Dans cette étude, nous avons étudié ces dynamiques spatio-temporelles de variations de température (et d’humidité dans une moindre mesure) dans les nids des termites néotropicaux P. araujoi et C. cumulans en proposant une méthodologie consistant 1) à identifier visuellement les motifs thermiques dans les séries chronologiques obtenues en utilisant une méthode quick-look (images rasterisées c.f. section 2.3.3 « Data visualization : the rasterization method ») et 2) à quantifier les propriétés thermorégulatrices des structures en calculant les coefficients de diffusion de la chaleur en utilisant l’équation de la chaleur ( section 2.3.3 « Dynamical characterization using the heat equation »).

Comme nous l’avons vu dans l’introduction de cette thèse (section 1.3.3) ces deux espèces sympatriques construisent des nids en forme de monts de tailles comparables mais dont la composition et la structure interne diffèrent considérablement. Dans les nids fermés, le type de matériel utilisé est probablement un paramètre déterminant la porosité du nid et donc ses capacités thermorégulatrices (Cosarinsky, 2003, 2011; King et al., 2015). Les différences d’architecture entre les constructions de ces deux espèces pourraient également avoir des conséquences sur leur capacité à réguler la température et l’humidité, deux facteurs abiotiques potentiellement importants pour la survie de ces termites (chapitre 3).

Nous prédisons que la paroi plus épaisse des nids de C. cumulans assurerait le rôle d’un isolant et « tamponnerait » les températures de façon plus efficace que la structure alvéolaire simple du nid de P. araujoi. Les températures au cœur des nids de C. cumulans pourraient ainsi être plus stables que celles au cœur des nids de P. araujoi. Ces différences pourraient aussi impacter l’hygrométrie des structures, notamment en cas de différences de porosité. Pour vérifier cette prédiction, nous avons placé des sondes permettant d’enregistrer la température et l’humidité relative en différents points du nid (Fig. 2.4). Nous avons utilisé des dispositifs

d’enregistrement développés par Patrick Arrufat, électronicien au CRCA. Ces dispositifs ont été spécialement conçus pour cette expérience (description détaillé section 2.3.3, « S1 Text. Data loggers »).

Dans ce chapitre, nous présenterons les données de température et d’humidité obtenues lors de deux campagnes de terrain (novembre 2014 à Rio Claro, SP et novembre 2016 à Uberlândia, MG) dans les nids de P. araujoi et C. cumulans. Nous présenterons d’abord les données préliminaires obtenues lors de la première campagne (section 2.2). Nous exposerons ensuite les résultats obtenus lors de la seconde campagne (section 2.3). Une partie de ces résultats, qui se concentre sur les données de l’une des deux espèces (P. araujoi), ainsi que la méthodologie développée pour les analyser a fait l’objet d’une publication soumise à PLoS

ONE. Nous présenterons par la suite les données obtenues chez C. cumulans et nous les

comparerons à celles de P. araujoi. Enfin, nous discuterons les données concernant l’humidité des nids recueillies chez les deux espèces.

2.2 Campagne effectuée à Rio Claro (SP) en novembre