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Mécanismes impliqués dans le processus de construction des structures

Les paramètres abiotiques n’affectent pas uniquement la survie et le développement des individus, mais aussi leur comportement. Dans l’expérience que nous avons rapportée dans le chapitre 5, nous avons étudié l’effet de la température sur l’architecture des structures construites par les ouvrières de la fourmi L. niger. Nous avons montré une modulation de l’architecture par la température avec un processus de déconstruction des plafonds initialement construits par les fourmis sous une condition de température élevée (30°C) ce qui n’est pas le cas avec des températures plus basses (22 et 26°C). Nous montrons également une tendance à l’augmentation, puis à la diminution de la distance inter-piliers avec l’augmentation de la température, suivant ainsi les prédictions du modèle de Khuong et al. (2016) (Fig. 5.18). Si nous avons montré un effet de la température sur l’architecture du nid à l’échelle collective, reste à étudier en détail l’effet de cette dernière sur les mécanismes à l’échelle individuelle (le déplacement, les prises/dépôts des boulettes de terre et l’interaction entre ces deux facteurs). Comme abordé dans l’introduction du chapitre 5 (section 5.1), la température pourrait jouer sur deux paramètres affectant le comportement constructeur des fourmis. Le premier paramètre est lié au déplacement des fourmis. Il semble en effet que la température l’affecte en modifiant notamment la vitesse de déplacement et la sinuosité de leur trajet (Challet et al., 2005; Challet, 2005; Lecheval, 2013; Khuong, 2013; Tizón et al., 2014; Khuong et al., 2016). Or cet effet observé au niveau individuel semble avoir des répercussions au niveau collectif dans certains processus de morphogenèse (Challet et al., 2005; Challet, 2005). Le second paramètre affecté par la température est la phéromone de construction. Nous avons vu qu’une des hypothèses fortes est que les insectes utiliseraient cette phéromone de construction dont la concentration modulerait les probabilités de dépôt des boulettes de terre près des dépôts précédents. Par ce processus stigmergique et auto-organisé (section 1.4.4), les insectes parviendraient ainsi à coordonner collectivement leur activité constructrice. Dans un travail

combinant observations expérimentales et modélisation, Khuong et al. (2016) ont montré que le temps d’évaporation de la phéromone de construction putative était un paramètre influençant l’architecture des constructions réalisées par les ouvrières des L. niger, jouant notamment sur la distance inter-piliers (Fig. 5.3). Leur modèle était basé sur des observations expérimentales qui leur ont permis d’établir les probabilités de prise et de dépôt des boulettes de terre à proximité d’une boulette de terre précédemment déposée, en fonction du temps écoulé entre ces deux dépôts. Khuong et al. (2016) ont ainsi pu calculer un temps de vie liée à l’évaporation de la phéromone putative. Plus le dépôt de la boulette est ancien, plus la phéromone présente sur cette boulette s’est évaporée. La probabilité de cette boulette de déclencher le dépôt de la boulette de la fourmi chargée passant à proximité diminuera avec l’ancienneté de cette boulette.

Bien que l’existence de cette phéromone

Figure 6.2 – Distribution des comportements réalisés par les

ouvriers du termites Macrotermes michaelseni dans l’étude Pe- tersen et al. (2015). Wander=Errance ; Excavate=Creusement ;

Transport=Transport d’une boulette de terre, Deposit=Dépôt d’une boulette de terre, Interact=Interaction avec un congénère, Rest=Termite immobile). (A) Comportements réalisés sur le ma- tériau marqué par l’odeur colonial en gris foncé et sur le matériau non marqué en gris clair. Il y a plus de comportement, notam- ment constructeurs réalisés sur le matériau marqué. (B) Com- portements réalisés sur le matériau non marqué avec une échelle augmentée. On remarque ainsi que les proportions de comporte- ment réalisés sur le matériau non marqué sont très semblables à celle observées pour les comportements sur le matériau marqué. L’augmentation des comportements constructeurs sur le maté- riau marqué par rapport au non marqué n’est donc pas spécifique, mais traduit juste d’une plus grande probabilité de l’apparition de n’importe quel comportement sur un matériau marqué plus at- tractif en général par rapport à un matériau non marqué. Figure issue de Petersen et al. (2015).

n’ai jamais été réellement démontré, des ré- sultats expérimentaux indiquent qu’un mar- queur chimique pourrait bien jouer un rôle dans la construction, ou du moins exercer un effet attracteur. Chez L. niger, lorsqu’on ef- fectue un test de choix collectif (Giraudin, 2009) (données non publiées), on constate que du matériau marqué passivement5 par les fourmis est plus attractif qu’un sol non marqué. De plus, la fraîcheur du matériau joue un rôle car un substrat fraîchement mar- qué est plus attractif qu’un substrat mar- qué mais ayant été congelé. De façon in- téressante, le matériau marqué activement6 semble moins attractif que le matériau mar- qué passivement. Ceci pourrait néanmoins être expliqué là aussi par des différences de fraîcheur, le matériau actif ayant été stocké plus longtemps au congélateur que le matériau passif dans l’expérience de Giraudin (2009).

Une étude récente de Petersen et al. (2015) fait écho à ce résultat. Ces auteurs proposent une hypothèse alternative concernant le mécanisme sous-jacent à l’utilisation d’un message chimique. Ils postulent que plusieurs travaux auraient pu confondre un effet du marquage

colonial avec celui d’une phéromone de construction. Petersen et al. (2015) ont réalisé une

observation détaillée des comportements (dont les comportements constructeurs) des termites

Macrotermes michaelseni dans un dispositif constitué d’une boîte de Petri couverte pour moitié

de terre marquée par l’odeur coloniale et pour autre moitié de terre non marquée. Ces auteurs mettent en avant le fait que si le nombre de dépôts de boulettes dans les zones marquées est significativement plus important que dans les zones non marquées, c’est en fait le cas pour tous les autres comportements (« errance », excavation, transport, interaction avec les congénères, « repos »).

Les termites auraient donc simplement une plus grande probabilité de rester dans les zones marquées par rapport aux zones non marquées et d’y réaliser plus de comportements dont des dépôts de boulettes. Le marquage chimique du matériel ne déclencherait donc pas spécifiquement le comportement de dépôt, mais il possèderait simplement un effet stoppant augmentant ainsi les probabilités de dépôt. Cette hypothèse serait plus en accord avec le modèle de Deneubourg (1977) postulant un taux de dépôt fixe et un marquage chimique modulant simplement la probabilité des individus de se situer à proximité d’un pilier. Les résultats de Petersen et al. (2015) concorderaient aussi avec ceux de ce dernier montrant que le matériau passif semble plus attractif que le matériau actif chez L. niger (Giraudin, 2009). Néanmoins dans cette expérience, Petersen et al. (2015) utilisent du matériau colonial sans distinguer si ce matériau a été marqué activement ou passivement comme l’on fait Giraudin (2009). Il est in fine donc difficile de distinguer l’effet d’une potentielle phéromone de construction de celui d’un simple marquage colonial. Si tant est que l’hypothèse avancée par Petersen et al. (2015) soit valide, il reste à expliquer le mécanisme par lequel les termites parviennent à discriminer les piliers naissant dans un environnement saturé en odeur coloniale qu’est le nid. Les auteurs discutent d’ailleurs de l’existence de mécanismes complémentaires permettant aux termites de différencier les nouveaux piliers. Une possibilité serait que l’attraction exercée par les piliers sur termites dépendrait de la fraîcheur de l’odeur coloniale, hypothèse compatible avec les résultats de Giraudin (2009). Les termites pourraient également utiliser des stimuli tactiles, une hypothèse déjà avancée et validée expérimentalement par Bruinsma (1979) chez

Macrotermes subhyalinus.

Enfin nous avons également vu que la température semblait affecter le comportement d’agrégation des ouvrières de L. niger (chapitre 4). Ces dernières montrent une préférence dans leur choix des températures où elles s’agrègent en évitant dans notre expérience plus systématiquement le côté le plus chaud (37°C) au profit du côté le plus froid (23°C) Ce phénomène pourrait également s’appliquer en condition naturelle au sein du nid et moduler les probabilités de présence dans une zone plutôt que dans une autre. En effet, dans une expérience préliminaire, nous avons mis en évidence l’existence un gradient de température dans le nid de

L. niger (Annexe B). On peut penser qu’un mécanisme homologue à celui décrit par Petersen