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Plaidoyer pour un futur droit du nom « libéré »

Le droit du nom suisse actuel constitue une réglementation complexe, car le lé­

gislateur de 2011 a tenu à offrir des choix multiples, tout en donnant un cadre strict à ces choix. Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que visait la réforme de 2011, d’une réglementation « simple et transparente ».65 La réintroduction du double nom augmentera le choix, mais accentuera également la complexité du système, si un tel cadre devait être maintenu.

Face à cette évolution prévisible, il convient de se poser la question du but de cette réforme et, en amont, de la finalité du nom. Cette dernière est différente au­

jourd’hui de ce qu’elle était jusqu’à l’utilisation intensive de l’informatique.Par le passé, le nom devait permettre l’identification, dans la vie publique, envers la société et les autorités, de l’individu et indiquer son rattachement à une famille.66 Aujourd’hui, la première de ces fonctions est largement transposée dans le domaine du numérique ; les numéros AVS, de dossier fiscal, de carte de crédit et des abonnements, pour ne citer que quelques exemples, assurent l’identification et le traçage de chacun ; le nom ne joue, sur ce plan, plus qu’un rôle secondaire.67 Quant au deuxième but, force est de constater que le nom aboutit nécessairement toujours à un rattachement à une fa-mille. Traditionnellement, il s’agissait effectivement presque sans exception du rat­

65 Rapport 2008 (n. 7), pt 5.1., réflexion 4. Tel était aussi l’avis de plusieurs parlementaires, cf. procès­

verbaux des débats aux Chambres, contredits, à juste titre par d’autres (cf. ci­dessus, II.2 ; Curia vista n. 03.428). Voir aussi Weibel (n. 58), 959, 962 ss ; Lamesta/Baddeley (n. 6), 77, 98 ss, 106s.

66 Weibel (n. 58), 959, 966 ; Meier/Stettler (n. 24), n. 823.

67 Ainsi, en Suède, le citoyen étant identifié exclusivement par un numéro, peut adopter librement un nom existant ou nouvellement inventé, par simple enregistrement de l’Office des registres (9142 re­

quêtes en 2015) ; Meissl Årebo, Wenn Svensson nicht mehr Svensson heissen will, NZZ 4. 2. 2016, 24.

tachement à la famille du mari et du père, mais depuis 1988, le nom exprime parfois le rattachement à la famille de la mère ou de l’épouse. Cela fait donc plus de trente ans que l’histoire familiale ne peut plus se construire avec certitude à partir de la seule ligne masculine.68 La nouvelle réforme ne changera pas cette évolution qui ca­

ractérise d’ailleurs aussi la plupart des ordres étrangers. Elle devra, au contraire, re­

considérer des questions décidées auparavant face au constat que le taux des divorces est élevé et que des familles recomposées sont plus présentes dans la société dans les années 2020 qu’elles ne l’étaient au début de ce millénaire.

Aujourd’hui, ce sont surtout les fonctions identificatrices du nom pour son titu-laire dans un cercle restreint et l’importance du nom pour son titutitu-laire et son entou-rage qui doivent guider la conception du droit du nom. Le législateur suisse en a déjà tenu compte lors des dernières réformes. Il a instauré des choix pour les noms des époux dès 1988 et, avec le Code civil de 2013, pour les enfants, en sacrifiant en même temps le nom de famille unique et, du moins en théorie, la prédominance du nom du mari et du père. L’enfant dès l’âge de 12 ans révolus jouit du droit de refuser un chan­

gement de nom voulu par ses parents et les conditions pour le changement de nom fondé sur l’art. 30 al. 1 CC2013 sont assouplies. Le cadre légal actuel reste néanmoins en deçà de ce qui est attendu dans le public. Preuve en est l’appel à une nouvelle ré­

forme pour ouvrir plus largement le choix des noms. Et il paraît douteux que la simple réintroduction d’un double nom des personnes mariées sera la dernière étape du pro­

cessus entamé il y a trente ans.

Des exemples étrangers semblent le prouver.69 Certaines législations ne crai­

gnaient jamais le choix très individualisé de noms, notamment celles des pays anglo­

américains et du Portugal. Dans d’autres ordres juridiques, même parmi ceux de pays proches de nous, donc de cultures comparables, comme l’Autriche, l’Allemagne et la France, une grande liberté – beaucoup plus grande que celle conférée par le droit suisse actuel – pour composer leurs noms et ceux de leurs enfants, y compris des doubles noms, a été accordée aux couples et parents ces dernières années.70

68 Steinauer/Fountoulakis (n. 19), n. 381. Une telle certitude n’existait d’ailleurs pas non plus sous le droit de 1912 pour les enfants nés hors mariage.

69 Voir Lamesta/Baddeley (n. 6), 70, 87 ss pour les détails des exemples cités. La comparaison avec les lois évoquées dans le Rapport 2008 (n. 7), 9 ss, montre l’évolution considérable, entre 2008 et 2012 déjà, vers des réglementations plus, voire très libérales. Cette évolution ne s’est pas arrêtée, à notre connaissance.

70 Le droit islandais a passé il y peu, en raison de la pression de la population, d’un droit du nom ri­

gide et particulièrement traditionnaliste à un droit très libéral ; Keel, Sigurdsson und Sigurdardot­

tir, NZZ 30. 6. 2016, 43. Des modifications législatives dans le sens d’une libéralisation plus poussée encore que l’actuel § 1355 BGB (nom des époux) ont lieu actuellement en Allemagne. En Autriche, les §§ 93 und 155 ABGB, en combinaison avec la Loi sur le changement du nom consacrent prati­

quement un choix totalement libre du nom pour les couples mariés et du nom des enfants, ainsi qu’une grande liberté de changer ces noms. Weibel (n. 58), 959, 964.

La réforme en cours constitue une occasion nouvelle de créer, en Suisse aussi, une législation en phase avec la société contemporaine. Cela pourrait se réaliser, dans le cadre des noms de famille pertinents dans chaque cas, par l’ouverture du choix du nom de famille aux moments charnières de la vie d’une personne, soit au mariage, à la fin du mariage et à la naissance d’un enfant, et par l’assouplissement des condi­

tions pour modifier ultérieurement ce choix. Quelques propositions concrètes se trouvent à la fin de cet article. Ainsi, on réintroduirait le double nom, mais sans as­

sortir cette option de règles contraignantes qui ne répondront à nouveau pas aux as­

pirations de destinataires des normes. Il faudra éviter des inégalités de traitement qui ne se justifient pas et éliminer celles de la loi actuelle, p. ex. la possibilité pour certains couples, mais pas pour tous, de revenir sur leur choix du nom de l’enfant. Le législateur serait bien avisé de purger la loi actuelle de règles difficilement compré­

hensibles, comme celle de la prédominance du nom de célibataire, qui s’applique sou­

vent mal dans le contexte d’une famille recomposée, tout en maintenant la possibi­

lité de choisir ce nom. Le respect de l’identité des personnes mariées exige, à notre avis, que le nom acquis lors d’un mariage soit aussi (et à nouveau, comme sous l’em­

pire du CC1988) transmissible à un conjoint ou ses enfants et qu’il y ait un seul nom légal adéquat, à l’exclusion de doubles noms parallèles semi­officiels. Il paraît sou­

haitable également de revoir la position officielle au sujet du double nom de l’enfant, ce non seulement pour le bien de l’enfant, mais aussi dans la perspective d’inciter plus de femmes mariées à conserver leurs noms et préserver ainsi leurs identités privée et professionnelle pendant le mariage.

Une réforme qui ne fera pas un pas décisif vers une large libéralisation du droit du nom causera davantage de complications administratives et de nombreuses pro­

cédures s’ensuivront inéluctablement.71 Les réformes passées l’ont prouvé, si le droit ne reflète pas les attentes de la société, celle­ci le force à le faire… De nouvelles re­

vendications ne manqueront pas de se faire jour et donneront lieu à de nouvelles ac­

tions judiciaires. Comme les débats au parlement et dans le public l’ont montré au cours des réformes abouties et rejetées ces trente dernières années, les positions per­

sonnelles sur le nom peuvent être très différentes. La fourchette des opinions s’est probablement encore agrandie depuis 2011. Seule une libéralisation décidée du droit du nom paraît pouvoir arrêter le train des réformes successives du droit du nom.

Mais il y a aussi des raisons pragmatiques qui parlent en faveur d’une large liberté en matière de nom. La loi sera plus compréhensible et facile à appliquer. Une plus grande partie de ses destinataires y trouvera la solution qui lui convient le mieux et l’acceptation de la nouvelle réglementation sera naturellement grande. Ce régime se

71 Ce d’autant plus que, comme le dit Papaux van Delden (n. 50), 541, 542, l’art. 30 al. 1 CC2013, tout en étant assoupli, ne pourra pas instaurer ou réinstaurer des noms que le législateur de 2011 a écar­

tés. À notre sens, la fonction de cette disposition ne saurait de toute manière pas être celle de corri­

ger systématiquement la loi qui démontre à large échelle que les vues sous­jacentes du législateur ne correspondent pas à la réalité sociétale.

révélera ainsi plus économe et efficace dans son application que des solutions contrai­

gnantes.

Les articles spécifiques d’une nouvelle loi pourraient lire par exemple comme suit : Art. 160 Le nom des époux

1 Sous réserve d’une déclaration au sens des alinéas suivants à l’officier de l’état civil, chaque époux conserve son nom.

2 Les époux peuvent déclarer porter un nom commun, qui peut être le nom de l’un d’eux ou un double nom au sens de l’al. 4.

3 Chaque époux peut déclarer reprendre un nom antérieur ou porter un double nom.

4 Le double nom est composé, dans l’ordre fixé par le ou les déclarants, du nom ou d’un élément du double nom préexistant de chaque époux et s’écrit sans trait d’union. Le nom composé n’est pas un double nom.

5 Les époux peuvent déclarer ensemble ou individuellement dans le délai de deux années dès la conclusion du mariage prendre un autre nom parmi les noms autorisés. L’application des dispositions sur le changement du nom est réservée.

Art. 30a Le nom du conjoint survivant

En cas de décès de l’un des époux, le conjoint peut déclarer en tout temps à l’of­

ficier de l’état civil vouloir reprendre un nom porté avant le mariage.

Art. 119 Le nom des conjoints divorcés

Après le divorce, chaque époux peut déclarer en tout temps à l’officier de l’état civil vouloir reprendre un nom porté avant le mariage.

Art. 270 Le nom de l’enfant de parents investis de l’autorité parentale conjointe 1 Les parents investis de l’autorité parentale conjointe déclarent à l’officier de l’état civil à la naissance ou à l’adoption de leur premier enfant le nom choisi pour celui­ci. Ce nom peut être le nom commun des parents, le nom simple ou double de l’un ou de l’autre parent, ou un double nom composé de deux éléments provenant du nom de la mère et du nom du père.

2 Dans le délai d’un an, les parents peuvent déclarer conjointement à l’officier de l’état civil que l’enfant portera un autre nom parmi les noms autorisés.

3 Les enfants nés ou adoptés ultérieurement portent le même nom.

4 Les changements ultérieurs de l’attribution de l’autorité parentale n’ont pas d’effet sur le nom de l’enfant. Si l’autorité parentale est retirée à l’un des pa­

rents pendant l’année suivant la naissance ou l’adoption de l’enfant, le droit de modifier le nom de l’enfant échoit à l’autre parent. Si l’autorité parentale est retirée aux deux parents, l’enfant conserve son nom.

5 L’art. 270b est réservé.

Art. 270 a Le nom de l’enfant dont un seul parent est investi ou dont aucun pa­

rent n’est investi de l’autorité parentale

1 L’enfant acquiert à sa naissance ou à son adoption le nom déclaré à l’officier de l’état civil par le parent investi de l’autorité parentale exclusive. Il peut s’agir du nom simple, de l’un des noms formant le double nom ou du double nom de ce parent. D’un commun accord des parents, l’enfant peut porter un double nom composé d’éléments des noms des deux parents ou le nom simple ou double de l’autre parent. Le parent investi du droit de choisir le nom de l’enfant peut déclarer à l’officier de l’état civil dans le délai d’un an dès la naissance ou l’adoption de l’enfant que l’enfant porte un autre nom autorisé.

2 Les parents peuvent déclarer à l’officier de l’état civil dans l’année à partir de l’institution de l’autorité parentale conjointe après la naissance ou l’adop­

tion de l’enfant que celui­ci porte un autre nom autorisé.

3 Le double nom de l’enfant s’écrit sans trait d’union.

4 Le nom du premier enfant déterminé selon la présente disposition sera le nom des enfants suivants du même parent ou des mêmes parents.

5 À l’exception de l’institution de l’autorité parentale conjointe selon l’alinéa 2, les modifications ultérieures de l’autorité parentale n’ont pas d’effet sur le nom choisi pour l’enfant et ses frères et sœurs. Les dispositions sur le chan­

gement du nom sont réservées.

6 L’art. 270b est réservé.

Art. 270 b Le nom de l’enfant de 12 (10 ?) ans révolus

Le changement du nom requiert le consentement de l’enfant de douze (dix ?) ans révolus.

Résumé : Le droit du nom suisse en vigueur depuis 2013 contient plusieurs choix pour les époux de leurs noms pendant et après le mariage ainsi que pour les parents ma-riés ou non par rapport au nom des enfants. Il réalise la parfaite égalité de l’homme et de la femme mariés et consacre comme nouveau principe l’immutabilité du nom de célibataire. Des conditions moins strictes qu’auparavant pour un changement de nom officiel doivent assouplir certains aspects sévères de la réglementation actuelle.

Le Code civil 2013 reste néanmoins en deçà des attentes et souhaits de ses destina-taires. De ce fait, une réforme du droit du nom tendant à la réintroduction du double nom légal, consécutive à une initiative parlementaire de 2017, est déjà en cours. Un droit du nom beaucoup plus libéral, en phase avec l’évolution dans la société, comme de nombreux pays l’ont instauré, serait souhaitable également en Suisse, ce aussi pour éviter des réformes répétées. Le présent article se conclut par des propositions de textes légaux.

Zusammenfassung: Das 2013 in Kraft getretene Namensrecht enthält mehrere Wahl-möglichkeiten für die Namen von Verheirateten während und nach der Ehe, sowie für die Namen der Kinder. Damit verwirklicht es die vollständige Gleichstellung von Mann und Frau in der Ehe und soll als neues Prinzip die Unabänderlichkeit des Ge-burtsnamens einführen. Weniger strenge Bedingungen für die Namensänderung als unter dem früheren Recht sollen eine gewisse Strenge der jetzigen Regelung entschär-fen. Trotzdem entspricht das Namensrecht 2013 zu wenig den Erwartungen und Wün-schen der Normadressaten. Schon 2017 hat eine parlamentarische Initiative eine neue Reform des Namensrechts zum Zweck der Wiedereinführung des offiziellen Doppel-namens ins Rollen gebracht. Ein viel liberaleres Namensrecht, wie es viele andere Länder schon eingeführt haben, wäre auch in der Schweiz der Entwicklung der Ge-sellschaft entsprechend wünschenswert, auch um sich wiederholende Gesetzesrefor-men in Zukunft zu vermeiden. Konkrete Vorschläge für die neuen Gesetzestexte bil-den bil-den Abschluss dieser Abhandlung.

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