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CHAPITRE 4 : Des questionnements individuels ?

1. La place du doute

Au terme de l’analyse des entretiens, j’ai pu constater une forme de questionnement prégnante dans les discours des bénévoles et ce sont ces questionnements qui traversent tant leurs motivations que leurs pratiques bénévoles, leurs engagements que leurs désengagements, que j’ai souhaité analyser ici.

Si plusieurs bénévoles ont décrit une absence d’attentes tournées vers les migrant·e·s avant leur engagement, Zelda l’a vécu autrement. Pour elle, la situation de terrain dans le camp a confronté son imaginaire et les représentations des migrant·e·s qu’elle se faisait avant son expérience, à une nouvelle réalité.

Ce qui a changé par rapport à mon imaginaire et après quand j’étais là-bas, c’est que c’est pas des bébés que tu vas aider. Ça paraît logique, mais un bébé il peut pas faire autrement, t’es là vraiment et tu l’aides. Là, c’est des adultes qui ont tout à fait leur tête, qui ont un métier, une formation et

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qui sont simplement dans des conditions matérielles complètement inhumaines et pas du tout logique, par rapport à une vie humaine comme on pourrait s’imaginer, mais au final, t’es pas là pour leur parler comme à des enfants, t’es là pour remplir des besoins, mais pour remplir des besoins plus matériels. Ça a été une prise de conscience importante. (Zelda bénévole dans un camp)

Pour Zelda, le bénévolat auprès des migrants-es était perçu, avant son départ, comme une expérience hautement humaine dans le sens où elle s’imaginait « créer un lien » avec les personnes. Or, la réalité s’est avérée plus complexe de part la situation d’urgence, la rapidité des interventions et le fait que ces personnes sont en déficit matériel et que ce sont les premiers besoins à remplir. Faire la conversation est souvent complexe et le nombre de personnes augmente la difficulté à créer des liens. Au cœur de cet écart ressenti entre les attentes du bénévolat et la réalité vécu en tant que bénévole, émergent pour Zelda des questionnements quant à sa place au cœur de ses pratiques dans le camp, je constate un « gap » entre ses attentes préalables et la réalité du terrain. Comment a-t-elle vécu et donné du sens à cet écart ?

1.1. « Gap » entre attentes et réalité : une quête de sens

Pour certaines bénévoles, la question de leur place dans ce bénévolat particulier et du sens conféré à celui-ci se sont avérés être des enjeux ; savoir comment se situer, comment entrer en interaction, comment considérer les migrants-es. Pour exemplifier ce point continuons avec le cas de Zelda qui s’est énormément questionnée sur son bénévolat.

Pour moi, être bénévole dans le camp, c’était aussi me définir là-dedans, au milieu de tout ça. Je trouve que dans le court terme c’est difficile de créer une amitié et du coup, qu’est-ce que t’es ? Si t’es ni un professionnel médecin ou psy, ni un spécialiste de la logistique ou quelque chose comme ça… du coup qu’est-ce que t’es ? Parce que t’es pas un professionnel et en même temps c’est trop court pour créer une amitié ou une relation vraiment. (Zelda bénévole dans un camp)

102 Dans sa réflexion, Zelda soulève la question de la place occupée par le·la bénévole au cœur d’un dispositif où s’organisent des professionnels. Dans cet espace, la place attribuée aux bénévoles est ressentie comme floue ce qui mène Zelda à s’interroger. De plus, en interrogeant sa propre place au sein de ce dispositif, elle remet en question la relation même entre bénévoles et migrants-es.

Il y avait des aspects qui me dérangeaient un peu. On faisait des distributions par exemple de savons et on était dans des containers et eux, ils venaient chercher et en plus matériellement on était au-dessus, on leur donnait depuis en haut. Et dans ma tête, il y avait deux aspects, d’un côté c’était super parce que c’était une aide directe : on donnait du savon. D’un autre côté, moi j’arrive je leur donne des trucs et après mon avion repars dans quelques jours. Voilà, il y a un truc qui me dérange et qui me dérange toujours d’ailleurs et je pense qu’il n’y a pas de solution à ça parce que le fait qu’on soit dans des réalités différentes, c’est un fait. Et on doit vivre avec, et encore, c’est plus facile pour nous. Parce que tu rentres, la routine reprend et voilà. (Zelda bénévole dans un camp et dans une institution)

De par ses questionnements, Zelda interroge cette relation « d’aidant » au cœur du clivage entre les bénévoles et les migrant·e·s dans le camp. Elle s’interroge sur la symbolique des actes tels que la distribution de matériel où elle se situait géographiquement surélevée par rapport à eux. Le fait de pouvoir repartir chez elle, alors que les autres doivent rester dans le camp, la « dérange » également.

Pour Serena, il est aussi question de « se situer » au cœur de la pratique, ce qui la mène à réfléchir sur ses propres fonctionnements. Les codes sociaux inconnus auxquels elle est confrontée l’incite à s’interroger sur elle-même, sur sa manière de se vêtir, de se comporter.

Je me pose beaucoup de questions par rapport à moi, à comment je me situe. Par exemple l’autre fois, j’étais à une fête afghane et j’ai passé la soirée à ne rien comprendre des codes. Il y avait des femmes qui pouvaient danser d’autres non, la plupart du temps, c’était que les hommes. Et après j’ai compris que les femmes afghanes ne pouvaient pas danser seulement les femmes iraniennes. Et nous-mêmes femmes blanches, ils nous

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poussaient dans le cercle, et moi je me suis dit mince je suis en mini-jupe, tu veux respecter les gens mais en même temps te respecter toi-même. C’est plein de petites choses comme cela qui me trainent dans la tête et auxquelles je réfléchis beaucoup. (Serena, co-fondatrice d’un collectif)

Les questionnements qui la traversent lors de ces rencontres sont relatifs aux codes sociaux et aux déterminants culturels et forment une part importante de son engagement puisqu’ils prennent une place particulière lorsqu’elle se retrouve en interaction avec les migrant·e·s. Pour ces bénévoles, ces aspects laissent une place conséquente au doute sur des comportements et des manières d’agir dans le cadre de leur bénévolat, et induisent à des questionnements sur leurs propres motivations, leurs propres pratiques et sur la continuité de leur engagement.

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