• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : Les motivations

4. Idiosyncrasie et identité en construction

4.3.2. Convictions politiques et résistance envers le « système »

Au tout début de son entretien, alors que je lui pose la première question qui permet de développer la thématique librement, Magda tient à clarifier « Pour moi, c’est un travail d’engagement bénévole par conviction. Là, je m’engage pour mes convictions politiques » (Magda). Le ton est donné et elle n’est de loin pas la seule à manifester clairement une volonté d’action dans un contexte politique prégnant. Plusieurs bénévoles souhaitent montrer, à travers leur engagement, un point de vue envers les politiques nationales et internationales d’accueil et de traitement des migrants.

Des pays ont décidé ça, des organisations agissent comme ça, mais voilà, ça ne veut pas dire que tout le monde partage cet avis. Montrer ça, je pense que ça peut leur donner de l’espoir, de se dire « ah non il n’y a pas tout le monde qui ne nous veut pas chez eux. Il y en a d’autres qui essaient de nous accueillir. (Karine, bénévole dans un camp)

Dans son bénévolat, Karine montre une véritable volonté de s’engager dans une dynamique contraire que celle mise en avant par certaines politiques suisses et européennes qui se montrent restrictives dans le domaine de l’asile. Dans son action individuelle, elle vise à assurer un mouvement d’accueil.

72

Je fais pas de politique mais pour moi, c’est aussi une manière de résistance politique, de montrer par les actes, par les faits, une forme de pensée politique qui est ouverte en termes d’immigration. Il y a un peu cette idée-là sous-jacente de manifestation un peu politique, de contrer les différents courants politiques qui sont un peu trop extrémistes à mon avis, je trouve que le fait de s’engager c’était assez simple et assez humble. J’ai pas envie de m’engager en politique mais j’ai juste envie de démontrer par ma personne par ce que je fais et le temps que je donne, qu’il y a d’autres idées qui sont possibles et qu’on peut les mettre en application complètement. (Cloé, bénévole suivant une famille via une institution)

Pour Cloé, ses actions sont liées à une pensée qu’elle veut « ouverte à l’immigration ». Face à cette affirmation, je lui demande des précisions et elle me rétorque qu’elle souhaite s’inscrire dans un courant de « personnes ouvertes », qui ne fonctionnent pas sur la peur. Ces éléments dénotent d’une opposition qu’elle effectue entre les politiques migratoires restrictives et une nécessité de rester ouvert. Cette notion d’ouverture est métaphoriquement intéressante puisqu’elle peut être comprise comme une image ayant trait à l’ouverture d’esprit et comme une action concrète d’ouverture des frontières. Les deux semblent être en lien pour Cloé.

C’est une comparaison que les gens acceptent pas trop mais pour moi c’est un peu comme pendant la deuxième guerre mondiale, c’est une forme de résistance vis-à-vis d’un système qu’on trouve injuste. Pour moi, c’est quelque chose de citoyen, presque un devoir citoyen. L’autre jour j’ai pas pu aller à une manif et je me sentais pas bien avec ça. Pour moi c’est presque à égalité avec mon boulot. (Angela militante dans un collectif)

La comparaison qu’opère Angela avec la Seconde Guerre mondiale m’a questionnée. Est-ce une forme de « figure de rhétorique choc » ou est-ce pour Angela une comparaison qui fait véritablement sens dans les motivations de son engagement ? De fait, l’analogie est fortement connotée. Après cette déclaration j’ai interrogé Angela et elle s’est expliquée en ces termes, « Pour moi, on va nous reprocher de ne pas avoir agit, comme pendant la guerre. Un jour c’est sûr qu’on va nous le reprocher. » (Angela). Ainsi, son analogie portait sur ce qu’elle estime être une inaction face une situation dramatique. Ce point la motive à s’engager afin de

73 ne pas se dire, a posteriori, qu’elle aurait pu ou dû agir. Le contexte historique passé constitue pour elle un élément qui l’a pousse à vouloir éviter des catastrophes humaines.

De surcroît, le sentiment de devoir œuvrer pour le bien commun, le bien des autres, en tant que citoyen-ne passe pour Angela par une conscience des conséquences des actions politiques des pays occidentaux à l’étranger « En Lybie, depuis qu’on a zigouillé Kadhafi, on a eu plein de réfugiés Libyens, ça questionne, la Syrie aussi cette guerre où il n’y a jamais eu d’intervention internationale, il n’y a pas d’aide, il y a bien une raison. ». Angela constitue une forme de contre-exemple à ce qu’Agier met en avant comme un manque d’écho dans les sociétés d’accueil au regard des problématiques de dictatures, de pétrole ou de corruption et des alliances diplomatiques qui minent les pays ou leur région, souvent en compromission avec des hommes d’affaires européens ou américains (Agier 2016, 14). De fait, Angela tisse des liens directs entre les politiques européennes à l’étranger et la venue des migrants.

Soit on mène une politique qui est cohérente en se disant ok, on veut bien un repli sur nous-mêmes et pis refuser des réfugiés, mais à ce moment, on va pas piller leurs terres ou bien profiter des matières premières ou bien vendre des armes. Pour moi, c’est comme un tout en fait. Je trouve que c’est un peu facile d’aller profiter des ressources des autres ou des possibilités économiques qu’on peut tirer de certaines situations et puis ensuite, quand on crée de la misère humaine et ben là celle-là, on la veut pas et on l’accepte pas. On parle souvent de la différence entre un réfugié économique et politique et moi je suis pas d’accord avec cette distinction, parce qu’on a tous des natels, même moi hein, on a tous des natels et on se rend pas très bien compte que pour créer nos natels on va extraire dans les mines au Congo et qu’à cause de ça t’as de la pauvreté, des gens qui ne peuvent plus se nourrir parce que du coup ça fait une sorte d’inflation dans leur système économique. Et quand un Congolais arrive ici, c’est pas un réfugié de guerre donc il a pas le droit de vivre ici.

Par ces exemples, Angela met en avant son appréhension holistique de la migration comme découlant de phénomènes globaux tels les modes de consommation et les actions menées par les politiques, émanant des pays développés, à l’étranger. Le fait qu’elle se retrouve

74 imbriquée dans ce fonctionnement global induit pour elle ce qu’elle nomme une responsabilité de citoyenne, qui la pousse à agir auprès des migrant·e·s, dont le déplacement est perçu comme une conséquence de décisions politiques et d’échanges économiques.

Documents relatifs