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La place du design dans le quotidien et pour l’avenir

1.1 Qu’est-ce qu’habiter?

1.1.7 Le design et le rôle du designer

1.1.7.1 La place du design dans le quotidien et pour l’avenir

La rupture qui s’est produite avec la tradition peut être considérée comme une mutation. En effet, le design ne se satisfait pas d’être une belle enveloppe, mais surtout de révéler l’essence de ce qui entoure l’habitant. « Il est très profondément lié au projet de transformation de l’homme ancien en Nouvel Homme » (Groys, 2006, p. 194), chez qui se rejoint éthique et esthétique. Le design moderne « est une tentative de concevoir son propre corps et son propre environnement comme une chose purifiée de tout ce qui relève du fortuit, du goût et du hasard » (Groys, 2006, p. 200).

Le design moderne a transformé l’espace social, faisant des hommes des consommateurs, en proposant une technicité ouverte au choix. « Le design est devenu une donnée essentielle de nos sociétés [...] entremêlant la logique marchande et la logique des sens [...], et tente de concilier capitalisme et humanisme, intérêt et sens, séduction et authenticité, tradition et invention » (Hatchuel64, 2006, p. 147). Selon lui, le design ne peut être réduit à la thèse

d’Herbert Simon65 qui propose de l’envisager comme une simple résolution de problèmes. Car, au-delà de cette thèse, le design a comme « propriété spécifique de créer avec préméditation des expansions du connu » (Hatchuel, 2006, p. 150) et concerne alors aussi bien les architectes que les designers, car « il engage une part essentielle de la vie des gens ». L’association de Charlotte Perriand66 et de Le Corbusier illustre ce concept destiné à transformer la société par sa façon de vivre et d’habiter, avec comme objectif de mettre à la portée de tous les innovations et les matériaux nouveaux. Cette recherche permanente du confort, quelle que soit la taille de l’espace habité, a été l’une des préoccupations majeures de cette designer des « temps nouveaux ». Perriand recherche alors les meilleures manières d’accommoder les « machines à habiter » en sublimant l’organisation de l’espace de vie et l’espace visuel (Perriand, 1985).

Depuis, des solutions physiques et techniques permettent l’adaptation du logement dans un but plus spécifique, celui du maintien à domicile des personnes âgées. Elles font partie des préoccupations du Département de santé communautaire de l’Hôpital général de Montréal depuis les années 1980, en collaboration avec d’autres organismes. À cet effet, un guide paru en 1989 relate les différents projets envisagés alors pour « adapter le domicile afin que les personnes âgées poursuivent une vie active à domicile » (Maltais, 1991, p. 1). L’adaptation du logement est alors considérée comme un moyen médical d’aider les personnes à rester vivre chez eux de façon autonome le plus longtemps possible.

Depuis les années quatre-vingt, dans de nombreux pays, des architectes et des designers se sont intéressés à cet aspect de l’habiter. Car pour préparer

65 Économiste et sociologue, 1916-2001. 66 Architecte, designer, 1903-1999.

l’avenir il faut programmer et concevoir des logements aux exigences qualitatives en croissance permanente. Ceux-ci doivent concilier sécurité et liberté. Ainsi, « l’espace architectural n’est plus une contrainte mais une ressource pouvant devenir le support du projet de vie » (Dehan67, 2007, p. 108), associant des solutions techniques à une belle ambiance. Pour ce qui concerne les aspects techniques de l’habitat, Ferné68 (2008) propose un guide intitulé Un logement adapté aux séniors, dans lequel se trouvent décrites de nombreuses solutions adaptées au vieillissement de la personne. Après quelques généralités sur les sols ou les escaliers, l’auteur énumère la planification des accessoires nécessaires sur le plan physique dans chaque pièce de la maison. Il s’agit de détails d’usage de préhension comme des poignées de porte ou encore la robinetterie et les rangements destinés aux pièces d’eau, mais aussi les garde- corps ou mains-courantes, aussi bien que la suppression d’embuches éventuelles. Dans ce domaine, de nombreux sites Internet proposent aussi toutes sortes de solutions clés en main, répondant aux normes de sécurité et aux besoins vitaux des usagers.

Mais, au-delà du médical, ce champ de recherche s’est étendu au confort auquel les baby-boomers sont habitués depuis leur enfance, comme le confort visuel et acoustique avec des innovations issues des recherches destinées à l’automobile (Roux69, 2010), ou encore le confort thermique. Celui-ci ne concerne pas que le chauffage mais aussi la ventilation et la climatisation (Dehan, 2007, p. 130-137).

67 Enseigne l’architecture à l’École d’architecture de la Villette, France.

68 Membre de la direction de la science, de la technologie et de l’industrie de l’OCDE. 69 Directeur du développement technique chez Saint-Gobain.

Cependant, les baby-boomers qui sont au fait des innovations techniques, rechercheront probablement dans l’adaptation de l’espace domestique, une dimension esthétique, poétique et rassurante qu’est « l’ambiance » des lieux. L’un des éléments constituant de l’ambiance est certainement la couleur, mais aussi les matériaux et la lumière. L’usage des couleurs chaudes dont les bienfaits thérapeutiques sur l’humeur ont été prouvés de manière expérimentale (Dehan, 2007, p. 127), renforcent à la fois le bien-être mais encore établit des repères visuels (Brawley, 1997). De jeunes architectes designers ont proposé en 1988 la pluralité du ciel, c’est-à-dire différentes hauteurs sous plafond qui changent les proportions des espaces habités et deviennent, de ce fait, un repère supplémentaire (Gille, 1988, p. 43). La lumière et l’éclairage naturel participent à garder en éveil les repères sensuels, tout comme les matériaux tels que le lisse et le rugueux peuvent être utilisés à la manière d’une signalisation tactile. Il en va de même pour la décoration avec les meubles et objets biographiques qui deviennent à leur tour des repères spatiaux, temporels et fonctionnels tout en conservant à l’espace domestique un esprit personnel (Dehan, 2007, p. 128).

L’ensemble de ces recherches et réflexions sur l’habitat destiné aux personnes âgées est guidé par le respect des designers dû à la personne. Il semble alors que le rôle du designer consiste à chercher l’originalité et à être compris de ses clients grâce à un raisonnement rigoureux et partageable, tout en répondant aux fonctions de logique d’usage, ce qui propulse le designer dans un monde repensé.