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Pierre Janet (1859-1947) est philosophe, médecin et psychologue français. Il fit sa thèse de psychologie expérimentale, L’automatisme psychologique de 1889, à la Sorbonne à Paris, et travaille aux pieds de Charcot. Avant de commencer notre étude, nous voulons attirer l’attention de tous les lecteurs sur un détail qui nous semble important pour éviter tout anachronisme. Les travaux de Janet que nous allons examiner maintenant sont postérieurs à ceux du Docteur Hyppolyte Bernheim, de l’école de Nancy, qui fut le principal rival de Charcot sur le plan intellectuel. Mais si nous avons décidé de présenter les recherches de Janet, avant celles de Bernheim, c’est surtout pour répondre aux exigences du plan de notre travail qui voudrait que l’on abordât d’abord l’étude de l’école de la Salpêtrière, avant d’entamer celle de l’école de Nancy.

Les réflexions de Janet se focalisent sur le problème de l’unité de Moi, c’est-à-dire que Janet tente de fournir une explication aux phénomènes psychologiques qui se produisent en dehors du champ de la conscience principale. L’auteur désigne ces actes étranges, ces actes automatiques qui échappent au contrôle du Moi conscient par « Les formes inférieures de l’activité humaine9 ». Cela suppose donc l’existence des formes supérieures de l’activité humaine qui, elles, découlent des choix et de l’entière participation du Moi. Il y aurait donc dans la pensée de Janet des étages de la conscience dans lesquels le Moi s’impliquerait de

9 Pierre Janet, L’automatisme psychologique, essai de psychologie expérimentale sur les formes

inférieures de l’activité humaine, deuxième édition, ancienne librairie Germer Ballière et Gle Félix

manière progressive, partant du niveau où la conscience est quasiment nulle et impersonnelle jusqu’à son plus haut point de concentration.

Janet publia encore deux autres grands textes à savoir L’état mental des hystériques de 1893 et Névroses et idées fixes de 1898 qui se rapportent à notre sujet. Dans les limites de notre exposé, nous nous sommes appuyés surtout sur L’automatisme psychologique, le texte central de l’auteur, et, si l’on en croit à Jean-Claude Filloux, dans son livre L’inconscient, publié dans la collection Que sais-je ?, aux Presses Universitaires de France, l’essentiel de la pensée de Janet était déjà contenu dans sa thèse de doctorat. Les autres livres peuvent être considérés comme des développements plus détaillés de son livre L’automatisme

psychologique.

Cela veut dire que l’œuvre de Janet est immense et complexe. Philosophiquement, on pourrait la situer dans la suite d’un débat qui remonte au XVIIème siècle avec le cartésianisme qui estimait que la conscience était quelque chose de permanent, immuable et sans nuance. Rien de ce qui se produit dans le sujet ne peut échapper à son contrôle et tous ses mouvements sont libres, parce qu’ils émanent de sa volonté consciente. Ainsi, le sujet n’est pas soumis aux lois du mécanisme qui régissent tous les mouvements dans la Nature. En effet, il est inconcevable de penser que le sujet qui jouit de la liberté absolue que lui procure la conscience possède en même temps, dans ses actions, un certain automatisme, c’est-à-dire un ensemble de gestes qui s’accomplissent mécaniquement à l’image d’un robot. Janet définit l’automatisme comme suit :

On désigne, en effet, sous le nom d’automatique un mouvement qui présente deux caractères. Il doit d’abord avoir quelque chose de spontané, au moins en apparence, prendre sa source dans l’objet même qui se meut et ne peut pas provenir d’une impulsion extérieure ; une poupée mécanique qui marche seule sera dite automate, une poupée que l’on fait mouvoir à l’extérieur ne pourra pas en être un. Ensuite, il faut que mouvement reste cependant très régulier, et soit soumis à un déterminisme rigoureux, sans variations et sans caprices. 10

Ces débats sur la coexistence d’une volonté consciente et d’un automatisme chez le sujet ont été repris dans la postérité sous différentes formes. Janet cite alors certains auteurs comme Leibniz, Maine de Biran, Condillac, Cuvier, Ampère, Royer-Collard, etc., qui ont

tenté de reprendre autrement le problème de faits de conscience. Les débats tournent autour d’une alternative très simple : si on admet l’existence de la conscience, alors le sujet est libre et responsable de ce qu’il fait. Mais si l’on admet un automatisme chez le sujet, alors on peut bannir toute idée de conscience avec ce qu’elle implique.

Sur cette base, Janet va tenter de mettre sur pied un système de pensée dans lequel les deux positions théoriques antagonistes pourront être conciliées. Son œuvre est une espèce de voie du milieu qui se tient entre les deux tons polémiques et qui s’appuie exclusivement sur des recherches empiriques. Ce projet ambitieux de l’auteur transparaît dans le passage suivant :

Mais on ajoute ordinairement au mot automatique un autre sens que nous acceptons aussi volontiers. Une activité automatique est, pour quelques auteurs, non seulement une activité régulière et rigoureusement déterminée, mais encore une activité purement mécanique et absolument sans conscience. Cette interprétation a été à l’origine de confusions nombreuses, et beaucoup de philosophes se refusent à reconnaitre dans l’esprit humain un automatisme, qui est cependant réel et sans lequel beaucoup de phénomènes sont inexplicables, parce qu’ils se figurent qu’admettre l’automatisme, c’est supprimer la conscience et réduire l’homme à un pur mécanisme d’éléments étendus et insensibles. Nous croyons que l’on peut admettre simultanément et l’automatisme et la conscience, et par là donner satisfaction à ceux qui constatent dans l’homme une forme d’activité élémentaire tout à fait déterminée, comme celle d’un automate, et à ceux qui veulent conserver l’homme, jusque dans ses actions les plus simples, la conscience et la sensibilité.11

Avant de présenter nos recherches sur Janet, nous voulons également préciser que ses travaux ont été menés sur l’hystérie dans la mesure où cette pathologie est très féconde en matière d’instabilité mentale. En s’appuyant sur l’expérience clinique, Janet veut se détacher des simples spéculations métaphysiques sur le sujet et constituer un corps de connaissances fondées sur le rapport à la preuve. Le choix de mener une étude sur des nombreux cas hystérique n’est pas un hasard. Il signale ici un effort dans la vérification des hypothèses conçues sur la maladie et ses différents phénomènes. C’est aussi un moyen d’identifier les points communs de la pathologie qui seront essentiels dans la définition de celle-ci. Mais est-ce qu’il est normal de conclure de l’hystérique à l’homme sain ? Les résultats de est-ces travaux seront-ils valables aussi bien pour l’hystérique que pour l’homme sain ? En réponse à cette interrogation, Janet déclare ce qui suit :

11 Ibid, p.2.

Cela, n’a, je crois, aucun inconvénient. Il faut admettre pour la moral ce grand principe universellement admis pour la physique depuis Claude Bernard, c’est que les lois de la maladie sont les mêmes que celles de la santé et qu’il n’y a dans celle-là que l’exagération ou la diminution de certains phénomènes qui se trouvaient déjà dans celle-ci. Si l’on connaissait bien les maladies mentales, il ne serait pas difficile d’étudier la psychologie normale.12

Dans le point suivant de notre analyse, nous voudrions faire état de l’attitude des patients, lors de la crise cataleptique, qui constitue une manifestation de l’hystérie. Cela nous permettra de voir comment les mouvements automatiques se produisent chez le sujet suscitant l’étonnement du médecin.

1. Description des phénomènes cataleptiques

Parmi les actes qui semblent se réaliser en dehors du moi conscient, certains sont plus démonstratifs, tandis que d’autres le sont moins et cela est valable non seulement pour les patients, mais aussi pour l’homme sain. L’étonnement vient du fait que certains actes sont parfaitement accomplis sans que l’on ne prête vraiment attention. Par exemple, si on exerce deux tâches simultanément, on se rend compte que notre attention sera davantage portée vers une action plutôt que sur l’autre. Si on mâche un chewing-gum tout en écoutant un discours, on se rend compte que l’une des actions retiendra beaucoup plus notre attention, notamment écouter le discours, par rapport au mouvement mécanique des mâchoires. Lorsqu’on marche en conversant avec un ami, par exemple, la conversation retiendra certainement plus l’attention que les pas de marche qui semblent s’effectuer de manière automatique. Ces expériences banales de la vie quotidienne signalent que certaines activités peuvent se produire sans la participation totale du Moi.

Mais c’est surtout avec la catalepsie que ces automatismes sont très manifestent. Une définition simple de la catalepsie consiste à dire qu’elle est une maladie qui se caractérise par la suspension des mouvements volontaires des muscles. Dans cet état affectif, le médecin peut imprimer un mouvement quelconque au patient et ce dernier l’exécutera, puis le conservera. Il arrive parfois que les mouvements automatiques envahissent tout le corps du patient. Dans ce cas on parle d’automatisme total, parce que c’est la totalité du corps qui est impliquée. Lorsque c’est la moitié du corps qui est affectée, on parle d’automatisme partiel. Cela a

conduit Janet à diviser sa thèse en deux grandes parties, mais en réalité, les différences entre les deux cas d’automatisme ne sont que de degré dans la mesure où les caractéristiques de la maladie qui sont identifiées dans l’un se retrouvent aussi dans l’autre. La différence majeure est tout simplement liée au fait que dans l’automatisme partiel, une partie du corps obéit aux mouvements automatiques, alors que l’autre partie reste normale.

Janet tente de nombreuses expériences afin d’analyser le problème du Moi sous différents angles et parvint à obtenir des résultats très intéressants. Il découvre par exemple que la catalepsie, en dehors du fait qu’elle est un état pathologique naturelle, peut être provoquée si l’on prend certaines précautions, c’est-à-dire en utilisant, dans des conditions bien déterminées, la suggestion, le somnambulisme, l’hypnose, etc. Mais il n’est pas le seul à avoir travaillé sur cet état affectif à cette époque. Il cite à maintes reprises l’un de ses prédécesseurs, Saint Bourdain :

« La catalepsie, dit Saint Bourdain, un des premiers auteurs qui ait fait une étude précise de cette maladie, est une affection du cerveau, intermittente, apyrétique, caractérisée par la suspension de l’entendement et de la sensibilité et par l’aptitude des muscles à recevoir et à garder tous les degrés de la contraction qu’on leur donne. » Cette définition, sans être parfaite, donne une idée générale assez juste d’un état maladif qui se produit naturellement, chez quelques individus prédisposés, à la suite d’un choc ou d’une émotion et que l’on produit artificiellement chez quelques sujets par divers procédés bien connus.13

Malgré le vocabulaire médical opaque utilisé dans ce passage, on retient néanmoins que dans la catalepsie le patient perd sa lucidité et la possibilité de contrôler les parties de son corps devenues insensibles. Cette perte de sensibilité rend les muscles aptes à recevoir et à conserver un mouvement qui peut être imprimé au départ par autrui. C’est ainsi que dans l’automatisme total par exemple, Janet montre qu’un mouvement qui a commencé dans un membre traverse dans un autre, et tout le corps est traversé finalement par cet acte automatique. Si l’auteur met la main devant le visage de Léonie, l’une de ses célèbres patientes, l’autre main de la patiente se joindra à la première et l’expression du visage s’harmonise également avec les mains qui semblent révéler qu’elle est en pleine prière. Mais ces mouvements sont oubliés si jamais la crise s’arrêtait.

13 Ibid, p.12.

Dans l’approfondissement de ses travaux, Janet a réussi à regrouper 4 grandes caractéristiques récurrentes dans la catalepsie. Il s’agit de la continuation du mouvement, de l’imitation, de la généralisation ou l’expression des phénomènes et l’association des états les uns avec les autres. Il convient alors d’examiner dans les détails chacune des caractéristiques.

La continuation

C’est le premier comportement remarquable pendant la crise. Janet tente d’en donner une description dans ce passage :

Si l’on touche les membres, on s’aperçoit qu’ils sont extrêmement mobiles et pour ainsi dire légers, qu’ils n’offrent aucune résistance et que l’on peut très facilement les déplacer. Si on les abandonne dans une position nouvelle, ils ne retombent pas suivant les lois de la pesanteur, ils restent absolument immobiles à la place où on les a laissés. Les bras, les jambes, la tête, le tronc du sujet peuvent être mis dans toutes les positions même les plus étranges ; aussi a-t-on comparé tout naturellement ces sujets à des mannequins de peintre que l’on plie dans tous les sens.14

Chez le sujet normal, on aurait pu observer une oscillation du membre mis en l’air ou de petits tremblements, après un certain temps, indiquant un signe de fatigue. Mais les cataleptiques résistent plus que l’homme sain comme s’ils ne ressentaient pas l’usure musculaire de l’exercice. Si, au lieu d’abandonner un membre dans une position particulière, le médecin choisi d’imprimer un mouvement, on se rend compte que le patient continuera le mouvement en question de sorte que le médecin devienne incapable de le modifier. L’auteur raconte une expérience de la sorte :

Un jour, je voulus arrêter un mouvement de ce genre chez Léonie et je lui serrai la main droite, le tremblement passa à la main gauche ; j’arrêtai celui-ci également, ce fut le pied droit qui se mit à remuer. Ordinairement quand le sujet regarde sa main, il peut l’arrêter immédiatement ; mais chez certains sujets, comme chez Rose, le mouvement se prolonge quelque temps, même quand elle voit et essaye de l’arrêter.15

Ici nous voyons les limites du Moi dans le contrôle des mouvements automatiques du corps. On peut se demander alors si ces actes émanent vraiment de la volonté consciente du

14 Ibid, p.15. 15 Ibid, p.15.

sujet, puisque d’une part, ces actions sont bien coordonnées et se répète avec la régularité et d’autre part, ils échappent à celui qui agit, comme s’il était possédé d’un esprit qui l’agiterait. Il arrive parfois que, dans la conservation du mouvement automatique, le patient se dirige vers un mur et se heurte à celui-ci, sans changer de direction, il continue tout simplement le mouvement sur place.

Une autre expérience spectaculaire que raconte Janet est celle de « l’écriture automatique 16». En effet, l’auteur montre que si on prend certaines précautions, pour faire en sorte que le patient ne voit pas sa main en mouvement, il est possible de lui faire écrire plusieurs fois le même mot ou la même phrase, sans qu’il ne s’en rende compte. Le médecin tient d’abord la main du patient, pour commencer le mouvement, ensuite il l’abandonne et le patient continue le geste sans le secours d’une main. Si jamais, on retirait le crayon de sa main, tandis que l’action automatique se poursuit, alors le patient continuera le mouvement à vide, comme si rien ne s’était passé. Mais cette expérience réussit surtout avec les anesthésiques qui souffrent d’une perte de sensibilité au niveau du bras. Et parfois pour distraire le patient, Janet demande à l’un de ses collaborateurs d’entretenir une conversation avec le patient, alors que sa main est en mouvement sans qu’il ne le sache.

L’imitation

Il s’agit de la deuxième caractéristique que cite Janet dans son exposé sur la catalepsie. Dans la continuation du mouvement automatique nous avons vu que le patient exécutait ou conservait l’action que le médecin avait imprimé en lui. Dans l’imitation, les choses se présentent différemment. En effet, Janet se place en face du patient, il exécute certains mouvements devant lui. Après un petit temps d’observation, le patient imite les gestes du médecin. Tout se passe comme si ce dernier téléguidait tous les mouvements du corps du patient, puisqu’il lui « suggère » la position à prendre sans le toucher cette fois-ci. En voici ce que déclare Janet :

Au lieu de toucher le sujet, mettons-nous bien en face de lui dans la direction de son regard et faisons nous-mêmes un mouvement au lieu de déplacer ses membres. Lentement, Léonie va se mouvoir et mettre son bras, puis tout son corps exactement dans la position que nous avons prise. Ce phénomène a reçu le nom d’imitation spéculaire ou en miroir,

parce que le sujet imite ordinairement avec son bras gauche le mouvement que nous faisons avec le bras droit et ressemble à notre propre image dans le miroir.17

Dans l’automatisme partiel, le patient imite les mouvements de l’expérimentateur avec la partie du corps qui est invalide. Par exemple, Léonie, anesthésique du bras gauche, reprend les gestes de l’auteur avec son bras gauche, cette partie invalide de son corps, alors que quand la patiente est dans un état normal, elle est incapable d’utiliser ce bras pour faire une quelconque activité. Cela veut dire que cette expérience d’imitation peut varier en fonction des patients et de leurs symptômes. En allant dans ce sens, l’imitation peut ne pas s’effectuer au niveau des gestes, mais aussi au niveau de la parole. Janet le souligne parfaitement lorsqu’il mentionne ceci au sujet de Rose :

Si je parle tout haut à côté d’elle pendant qu’elle est dans un état cataleptique, elle répète exactement mes paroles avec la même intonation. Ce fait a reçu le nom d’écholalie ou parole en écho. Il est fort curieux ; le sujet changé pour ainsi dire en phonographe, répète tous les sons qui frappent son oreille, sans paraître affecté le moins du monde par le sens de ces paroles. Ordinairement, les bruits sont répétés avec la bouche, mais dans un cas de Dr. Powilewiez, alors présent, ayant frappé dans ses mains, Rose répéta le bruit en frappant également dans ses mains : l’écholalie se mélangeait ici avec l’imitation.18

La généralisation ou l’expression des phénomènes. Selon Janet :

Le plus souvent les modifications imposées au sujet restent partielles et n’affectent qu’un membre ; mais quelquefois, quand l’état cataleptique est bien complet, elles montrent une tendance à se généraliser et à affecter tout le corps. Jules Janet a observé une cataleptique qui répétait toujours de son bras gauche ce que l’on faisait faire à son bras droit et inversement. C’est le phénomène de la syncinésie que je n’ai observé que chez Léonie et encore pour certains actes seulement. Si je lui ferme un point, l’autre se ferme de même. Si je lui lève une main devant la figure dans la position de la prière, l’autre main prend la même position et vient se placer contre la première.16

Ces propos rejoignent ce que nous avions mentionné précédemment et concerne exclusivement les malades atteints d’automatisme total. Léonie reprend par exemple toutes les cènes de la prière : elle se met à genoux, son visage prend une allure beaucoup plus sérieuse,

17 Pierre Janet, L’automatisme psychologique, Op. Cit., p.18.

etc. Si l’auteur est responsable de la position de la première main devant le visage de la

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