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PI et stratégies d’entreprises : une problématique de politique publique

1.1.1 Lien entre propriété intellectuelle et innovation sur le territoire

Les études macroéconomiques relient souvent le succès des entreprises et leur capacité à innover. Cependant l’innovation reste encore un concept très large, dont les déclinaisons en termes de stratégies d’entreprises sont infinies. C’est ainsi que plusieurs travaux ont consisté, en faisant l’hypothèse simplificatrice que la création de propriété intellectuelle était en lien direct avec l’innovation et par voie de conséquence avec la création de richesse pour les actionnaires et les emplois, à prouver par des analyses macroéconomiques qu’il existait un lien fort de cause à effet entre la création de PI et le succès des entreprises. Des acteurs tels que la banque Ocean Tomo aux États-Unis ont tenté d’en faire un axe majeur de leur stratégie pour inciter à la création de marchés boursiers de titres de brevets.

Citons également une étude récente de Thomson Reuters1, entièrement axée sur l’analyse exclusive des brevets publiés par les offices nationaux mondiaux, qui en tire un classement des cent meilleures entreprises ou organisations mondiales créatrices de valeur. Les critères utilisés (les algorithmes restent cependant secrets et inaccessibles au public) incluent le taux de succès au dépôt (ratio des brevets effectivement publiés/nombre de demandes initiales), la couverture mondiale, les citations et la quantité de brevets en portefeuille. Notons treize acteurs français figurant d’ailleurs dans ce palmarès Thomson Reuters : Alcatel-Lucent, Arkema, CNRS, CEA, EADS, IFP Energies Nouvelles, L’Oréal, Michelin, Renault, Saint-Gobain, Snecma, Thalès, Valeo.

On s’aperçoit dans cet exemple que la totalité de ces acteurs, en dehors des organismes publics de recherche, sont des entreprises multinationales qui créent de la valeur pour leurs actionnaires et aussi en termes d’emplois, mais que cette partie se joue désormais globalement et mondialement. Un certain nombre de questions se posent alors pour les pouvoirs publics qui voudraient favoriser l’économie de manière territoriale et non globale :

− N’existerait-il pas un décalage entre le lieu où l’idée est conçue et le lieu où elle est mise en œuvre, c’est-à-dire là où la richesse se crée ?

− Inciter les acteurs de nationalité française à innover contribue-t-il in fine à un meilleur écosystème de création de richesses en France à moyen et long termes ?

− La nationalité des entreprises créant les meilleurs portefeuilles de PI, en particulier de brevets, est-elle donc réellement, dans ce contexte, un critère suffisant pour valider les effets d’une politique publique par la mesure des seuls portefeuilles de PI et de leur

« valorisation » (comment la définit-on et la mesure-t-on ?)

(1) Source : “Top 100 Global Innovators; Honoring the world leaders in innovation; findings and methodology 2012” (Thomson Reuters).

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− Quels leviers de stratégies devraient être actionnés et comment s’assurer de leurs effets positifs sur les objectifs territoriaux? Quels liens existent réellement entre stratégies d’innovation et stratégies de PI ?

1.1.2 Analyse des formes de protection de la PI et de leurs effets stratégiques

Le lien naturel qui existe entre innovation et propriété intellectuelle provient en réalité du fait que ces acteurs économiques, pour favoriser l’innovation comme condition du succès, doivent intégrer une part de création et d’utilisation de valeur ajoutée intellectuelle se traduisant par un avantage compétitif donné. Ils chercheront ensuite à protéger cette valeur ajoutée en l’inscrivant, de manière formelle ou non, comme actif de propriété intellectuelle (la PI) dont ils voudront tirer le meilleur parti dans leur jeu concurrentiel à moyen et long termes.

Ces différentes typologies de comportement vis-à-vis de la PI sont analysées dans le document

« Gallié et Legros1 » qui comprend plusieurs axes d’analyse fournissant un éclairage utile pour classifier les comportements relatifs à la protection de la propriété intellectuelle des acteurs. Le premier grand axe d’analyse est un axe de variables divisé en deux sous-domaines (les formes de protection de la PI sur l’usage desquelles les effets de stratégies spécifiques sont mesurés) :

(a) les formes non-statutaires (secret, complexité de conception, avantage au premier entrant) ; (b) les formes statutaires (brevet, dessins/ modèles, marques, droit d’auteur).

Bien évidemment toutes les formes de PI ne se valent pas, ni de manière universelle, ni en particulier, ni au sein des formes statutaires, ni au sein des formes non statutaires, ni entre ces deux formes : selon les types de champ concurrentiel ou même d’expression de leur stratégie, une forme non statutaire peut parfaitement prendre plus d’importance qu’une forme statutaire de PI pour un acteur donné et inversement.

Au sein des formes statutaires, il sera vu dans les exemples exposés dans le présent document comment certains secteurs privilégient les marques par rapport aux brevets, et d’autres privilégient le droit d’auteur par exemple.

Cependant, la forme de propriété intellectuelle qui demande la plupart du temps le plus de ressources financières et d’expertise pour être traitée sur le fond et avec toutes les précautions pour ne pas causer de tort à l’entreprise est sans conteste celle des brevets. Le lecteur pourrait avoir l’impression que les auteurs privilégient cette forme de propriété intellectuelle dans les développements qui suivent. Ce biais est quelque peu volontaire car la complexité maximale entre toutes les formes de protection de la PI se trouve concentrée dans les brevets, construisant de la sorte un cas d’école pour les autres formes de propriété intellectuelle (sauf bien sûr si l’on s’attache à analyser leurs aspects juridiques).

Il n’en reste pas moins que si l’on se place sous l’angle de vue des stratégies générales de PI, de la création et de la valorisation de la PI, il est dans beaucoup de cas possible d’extrapoler certains modes de pensée à partir de l’exemple des brevets pour les appliquer partiellement aux autres formes de PI. Ainsi est-ce la raison pour laquelle les auteurs ont privilégié dans leur analyse et leurs recommandations l’approche par la matrice de Pascal Corbel2, car cette matrice,

(1) Source : “French firms’ strategies for protecting their intellectual property” (Gallié-Legros, Research Policy, 2012).

(2) Source : Mémentos LM : « Management stratégique des droits de la propriété intellectuelle – MASTER » (Pascal Corbel, Gualino éditeur, 2007).

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support au raisonnement stratégique, est utilisable de manière universelle pour toutes les formes de protection de la PI sans exception.

Le référentiel retenu pour cartographier les stratégies de PI des entreprises est donc une

« matrice stratégique à quatre quadrants » dont les concepts seront largement utilisés dans le présent document. Celle-ci permet de diviser les stratégies de PI des entreprises en quatre grandes catégories (qui sont non exclusives entre elles si toutes les formes de protection de la PI sont prises en compte ainsi que tous les projets d’innovation, etc.). Par exemple, dans le cas des brevets ces stratégies se caractérisent de la manière suivante illustrée (Figure 1 ci-dessous) :

− stratégie défensive, dont le but est de maintenir la rentabilité d’exploitation ; la valorisation réside alors dans la liberté d’exploiter un flux de revenus de biens et services développés par l’entreprise et protégés par la PI ;

− stratégie de licence, dont le but est de maximiser les flux de revenus à patrimoine technologique donné ; la valorisation consiste à licencier sa PI à des tiers ;

− stratégie de coopération, dont le but est de réduire les coûts et délais de la R&D ; la valorisation provient de l’accès aux compétences et savoirs nécessaires à l’innovation précoce mais extérieurs à l’entreprise, la PI de celle-ci servant de droit d’entrée ou de monnaie d’échange ;

− stratégie de mouvement, dont le but est de conserver les positions des produits à forte marge ; la valorisation résulte de la capacité d’exclure la concurrence des domaines d’innovation maîtrisés.

Figure 1 : Les quatre grands types de stratégies de propriété intellectuelle. Le mode défensif, bien que le plus répandu en entreprise, n’est que l’un des modes possibles de stratégie parmi d’autres.

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1.1.3 Les paramètres de contexte influençant les stratégies de PI des acteurs

Le document Gallié-Legros cité ci-dessus analyse également les paramètres pouvant influencer les stratégies de PI conduisant à différentes formes de protection de la PI selon un deuxième grand axe : l’axe des paramètres contextuels d’influence, divisé en quatre sous-domaines : (a) le type d'innovation (produit, méthode de fabrication, logistique, support/activité

fonctionnelle) ;

(b) certaines caractéristiques du secteur concerné (tiré par la demande, poussé par la technologie, intensité concurrentielle, niveau de coopération R&D) ;

(c) certaines caractéristiques de la société (taille, parts de marché, R&D, appartenance à un groupe) ;

(d) les stratégies RH de l'entreprise (fidélité, primes, salaires décourageant la mobilité professionnelle).

Ces sous-domaines paramétriques permettent à Gallié et Legros d’expliquer beaucoup d’aspects relatifs aux stratégies de PI des entreprises et aux formes choisies de protection de la PI, et notamment d’expliquer les différences d’une entreprise à l’autre, d’un type d’innovation à l’autre ou d’un secteur à l’autre.