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Physionomie et ambiguïtés du tournant souverainiste de la Lega Nord en Italie

Giangiacomo Vale

La Lega Nord s’est imposée sur la scène politique italienne entre la fin des an-nées 1980 et le début des anan-nées 1990 en se distinguant par ses revendications régionalistes et fédéralistes, et en allant jusqu’à réclamer l’indépendance du Nord de l’Italie (“Padanie”) dès le milieu des années 1990. Avec l’arrivée de Matteo Salvini au secrétariat en 2013, la Lega Nord a rapidement changé d’identité, d’image et de mission, cherchant à s’ancrer au niveau national, récla-mant la défense de la souveraineté et des frontières nationales et enlevant le mot “Nord” du nom et du symbole du parti (2017). Toutefois, le tournant national-populiste de la Lega est allé de pair avec la montée des poussées autonomistes et régionalistes au Nord, notamment en Lombardie et Vénétie, où les deux gou-verneurs Roberto Maroni et Luca Zaia ont organisé en octobre 2017 un référen-dum pour l’autonomie vis-à-vis de l’État central. En outre, pendant qu’au niveau européen Salvini s’est allié aux partis souverainistes et nationalistes, les admi-nistrateurs et les intellectuels léguistes du Nord continuent de promouvoir une Europe des régions à la manière de Denis de Rougemont.

La Lega Nord entre régionalisme, fédéralisme et sécession

La Lega Nord s’est imposée sur la scène politique italienne entre la fin des an-nées 1980 et le début des anan-nées 1990, à l’occasion de quelques transforma-tions radicales que l’Italie vivait à cette époque, se faisant le porte-parole des intérêts et des revendications identitaires, politiques et économiques des régions du Nord du pays. Ici, l’essor des petites et moyennes entreprises et des districts industriels avait mis au centre du processus productif le travail indépendant et une nouvelle classe sociale, qui était pourtant dépourvue de protection et de représentation politique, et qui affichait une certaine réticence à l’égard du cen-tralisme et de l’assistanat étatique en faveur des régions du Sud, traditionnelle-ment plus pauvres et défavorisées. Le Nord, dynamique et productif, était la

locomotive économique du pays, mais il était politiquement sous-représenté1. Entretemps, la fin de la guerre froide et du contexte géopolitique international afférent, qui avaient paralysé le milieu politique italien (et mondial) pendant les dernières décennies, ouvraient de nouveaux espaces dans le panorama poli-tique du pays, qui s’écroulait d’ailleurs au début des années 1990, suite à une enquête judiciaire sur le financement illégal des partis, menant à la fin de ce qu’on a appelé la Première République (1948-1992). C’est justement ce vide que de nouveaux partis comme la Lega Nord, ainsi que d’autres, tels que Forza Italia (le parti créé par Silvio Berlusconi en 1993), auraient rempli2. La Lega émerge en surfant sur la vague antipolitique dirigée contre la classe politique

“romaine” malmenée par les scandales judiciaires, critiquant également la cor-ruption et la déprédation fiscale aux dépens du Nord3. Parmi les raisons expli-quant la montée de la Lega Nord, il convient également de souligner l’absence historique, en Italie, d’une identité nationale enracinée, ainsi que la présence de fortes traditions locales et de fractures territoriales et culturelles entre le Nord et le Sud, que les passions idéologiques du XXe siècle avaient pourtant reléguées au second plan4. Enfin, le phénomène léguiste s’inscrit dans une tendance gé-nérale de renaissance de revendications autonomistes ou de mouvements eth-no-nationalistes ou séparatistes qui a lieu dans toute l’Europe depuis la fin des années 1980. Si, à l’Est, ces tendances sont liées à la fin de la guerre froide et à la dissolution de l’URSS (avec notamment des conséquences tragiques dans le cas de l’ex-Yougoslavie), à l’Ouest, elles sont surtout liées à l’érosion des souve-rainetés nationales causée par le processus d’intégration européenne et par la mondialisation5. En Italie, ces tendances se manifestent surtout au Nord, où la

1 Cf. Filippo Sbrana, « Nord non chiama Sud. Sviluppi e genesi della questione settentrionale (1973-2013) », in Simona Colarizi, Agostino Giovagnoli, Paolo Pombeni, dir., L’Italia contemporanea dagli Ottanta a oggi, Roma, Carocci, 2014, Vol. III, pp. 3-10;

Michel Huysseune, Modernity and Secession: The Social Sciences and the Political Dis-course of the Lega Nord in Italy, New York and Oxford, Berghahn Books, 2006, p. 99.

2 Cf. Ilvo Diamanti, Il male del Nord: Lega, localismo, secessione, Roma, Donzelli, 1996, p. 38; Donald Sassoon, “Tangentopoli or the democratization of corruption: considerations on the end of Italy’s First Republic”, Journal of Modern Italian Studies, No. 1, Vol. I, 1995, pp. 124-143: 128.

3 Cf. I. Diamanti, Il male del Nord: Lega, localismo, secessione, op. cit., p. 38; Anna Cento Bull, Mark Gilbert, The Lega Nord and the Northern Question in Italian Politics, Basing-stoke and New York, Palgrave Macmillan, 2001, p. 14.

4 Cf. Paolo Segatti, « La nascita della Lega: un capitolo di storia che ci appartiene », in S.

Colarizi, A. Giovagnoli, P. Pombeni, dir., L’Italia contemporanea dagli Ottanta a oggi, op.

cit., Vol. III, p. 8 et Michel Huysseune, « L’invention du territoire de la ‘Padanie’ », in Ales-sia de Biase, Cristina Rossi, dir., Chez nous - Territoires et identités dans les mondes contemporains, Paris, Éditions de la Villette, 2006, pp. 251-264.

5 Cf. Karl Cordell, dir., Ethnicity and Democratization in the New Europe, London and New York, Routledge, 1999; John Ishiyama, Marijke Breuning, Ethnopolitics in the New

Eu-Lega parvient à en saisir les différents aspects identitaires, politiques, socio-économiques et ethniques, et à les décliner ensuite, au fil des ans, de manière différente – du régionalisme au fédéralisme, au sécessionnisme – selon les différentes phases de son évolution.

La Lega Nord est née officiellement le 10 février 1991 à l’initiative de la Lega Lombarda, qu’Umberto Bossi avait fondée en 1982 à Varèse, et qui avait rem-porté son étonnant premier succès aux élections nationales de 1987, lorsqu’elle avait obtenu deux sièges au parlement. En 1989, Bossi proposa de créer une fédération des mouvements autonomistes qui s’étaient répandus dans certaines régions du Nord de l’Italie au cours des années précédentes (Liga Veneta, Pie-mont Autonomista, Uniun Ligure, Lega Emiliano-Romagnola, Alleanza Toscana).

Dans les desseins de Bossi, ce nouveau parti aurait mis fin à la phase ethno-régionaliste des groupes fondateurs et aurait sanctionné le passage de l’autonomisme régionaliste à la lutte pour une réforme fédérale de l’État italien.

Ainsi, aux élections européennes de 1989, la coalition des six mouvements ré-gionaux, dite Lega Lombarda-Alleanza Nord, fait son début, tandis qu’aux élec-tions régionales de 1990, toutes les Ligues autonomistes ont ajouté la dénomi-nation Lega Nord à leur nom, affichant également un symbole reproduisant la carte de l’Italie du Nord et le guerrier Alberto da Giussano, remportant un grand succès, notamment en Lombardie, où la Lega Nord-Lega Lombarda recueillit 19% des voix, juste derrière la Democrazia Cristiana6.

Le début officiel de la Lega Nord a lieu aux élections nationales de 1992, où elle obtient un excellent 8,7% au niveau national et devient le premier parti dans plusieurs circonscriptions du Nord. Son projet est la constitution d’une fédération des régions du Nord (République du Nord) à l’intérieur d’une confédération des trois macrorégions ou républiques (Nord, Centre et Sud)7, conformément au projet de réforme constitutionnelle soutenu par Gianfranco Miglio, politologue de l’Université Catholique de Milan et “idéologue” de la Lega au début des années 19908. Le projet d’hégémonie politique au Nord est toutefois entravé par l’entrée rope, Boulder (CO) and London, Lynne Rienner Publishers, 1998; Andre Gingrich, Marcus Banks, dir., Neo Nationalism in Europe and beyond. Perspectives from Social Anthropolo-gy, New York, Berghahn Books, 2006.

6 Cf. Ilvo Diamanti, La Lega. Geografia, storia e sociologia di un nuovo soggetto politico, Roma, Donzelli, 1993; Roberto Biorcio, La Padania promessa: La storia, le idee e la logica d’azione della Lega Nord, Milano, Il Saggiatore, 1997 et Guido Passalacqua, Il vento della Padania. Storia della Lega Nord 1984-2009, Milano, Mondadori, 2009.

7 Cf. Umberto Bossi, Daniele Vimercati, Vento dal Nord: La mia Lega, la mia vita, Milano, Sperling and Kupfer, 1992, pp. 151-170.

8 Cf. Gianfranco Miglio, Come cambiare. Le mie riforme, Milano, Mondadori, 1992; Id., Modello di Costituzione federale per gli italiani, Milano, Fondazione per un’Italia Federale,

en scène du parti Forza Italia de Berlusconi (1993), dont l’offre politique, à l’exception du régionalisme, est assez proche de celle de la Lega (révolution libérale, anti-étatisme, protection des petites et moyennes entreprises, protesta-tion contre la partitocratie). Aux élecprotesta-tions naprotesta-tionales de 1994, la Lega se pré-sente dans les circonscriptions du Nord en coalition avec Forza Italia, en rem-portant les élections et obtenant un bon score de 8,4% au niveau national.

Après la courte expérience du 1er gouvernement Berlusconi (quatre ministres léguistes en font partie), dès 1995 la Lega abandonne sa lutte pour une réforme fédérale de l’État, s’éloigne de Miglio et lance l’idée de la sécession du Nord (“Padanie”) du reste du pays. Aux élections de 1996, elle participe donc de ma-nière indépendante, sous le nom de Lega Nord per l’indipendenza della Padania (nom qui deviendra officiel en février 1997), accomplissant une surprenante performance (10,1% au niveau national, 20,5% au Nord). Ce succès lui permet de lancer la lutte pour l’indépendance de la Padanie dès le mois de mai 1996.

Elle s’engage ainsi dans une opération politique et culturelle visant à construire la “nation padane” à l’aide aussi d’une certaine rhétorique, de symboles (l’étoile verte des Alpes devient le symbole du parti, à côté du guerrier), de rituels et de cérémonies “nationalistes”. En particulier, en septembre 1996, la Lega organise une manifestation à Venise pour proclamer symboliquement l’indépendance de la République padane, que Bossi décrit comme «une communauté naturelle, culturelle et socio-économique fondée sur un héritage partagé de valeurs, de culture et d’histoire et sur des conditions sociales, morales et économiques ho-mogènes»9. Le parti organise ensuite les élections du Parlement de la Padanie, suivies par le référendum sur l’indépendance du 25 mai 1997, prévoyant égale-ment l’élection des représentants de la constituante padane10.

Dès 1999, la Lega abandonne les plans séparatistes, qui n’ont jamais reçu le soutien des élites économiques et intellectuelles du Nord, et qui, par 1994. Voir aussi Id., Io, Bossi e la Lega. Diario segreto dei miei quattro anni sul Carroccio, Milano, Mondadori, 1994; Gianfranco Miglio, Augusto Barbera, Federalismo e Secessione. Un dialogo, Milano, Mondadori, 1997; Gianfranco Miglio, Marcello Veneziani, Padania, Italia. Lo stato nazionale è soltanto in crisi o non è mai esistito?, Firenze, Le Lettere, 1997. Sur la pensée politique de Miglio voir Luigi Marco Bassani, « Gianfranco Miglio: Federalismo e realismo politico », in G. Miglio, Scritti politici, a cura di L.M.

Bassani, Pagine, Roma, 2016, pp. 11-17 et Damiano Palano, dir., La politica pura. Il laboratorio di Gianfranco Miglio, Milano, Vita e pensiero, 2019.

9 Umberto Bossi, Dichiarazione di indipendenza e sovranità della Padania, prononcée le 15 septembre 1996 à Venise.

10 Cf. A. Cento Bull, M. Gilbert, The Lega Nord and the Northern Question in Italian Politics, op. cit., p. 113 et Benito Giordano, « A place called Padania? The Lega Nord and the political representation of Northern Italy », European Urban and Regional Studies, No 3, Vol 6, 1999, pp. 215-230.

quent, l’ont amenée à l’isolement, et s’engage dans un projet plus réaliste et modéré de devolution à l’instar du modèle écossais, à savoir le transfert d’une partie considérable des compétences législatives et administratives de l’État central aux régions. En vue des élections de 2001, la Lega s’allie avec le centre-droit et, bien qu’elle n’atteigne qu’un maigre score de 3,9%, elle prend posses-sion de postes clés dans le nouveau gouvernement Berlusconi (Bossi devient Ministre pour les réformes institutionnelles et la devolution). Peu auparavant, le centre-gauche avait approuvé une importante réforme constitutionnelle qui allait renforcer les pouvoirs des régions en leur transférant la compétence législative exclusive dans toutes les matières qui n’étaient pas expressément couvertes par la législation de l’État. En 2005 le centre-droit, sous l’impulsion de la Lega, ap-prouve une deuxième réforme constitutionnelle incluant notamment la devolu-tion. Toutefois, à la suite du résultat négatif du référendum confirmatif de 2006, la réforme échouera. Et pourtant, bien que le ‘non’ l’emporte à 62% au niveau national, c’est le ‘oui’ qui remporte les suffrages, de façon très significative, en Vénétie et en Lombardie. Après l’échec de la devolution, la Lega Nord revient aux origines, et en 2008, de nouveau au gouvernement avec Berlusconi, elle vise à réaliser le fédéralisme fiscal, voire l’attribution d’une plus grande autono-mie budgétaire aux régions. La loi-cadre contenant les principes directeurs de la mise en œuvre est adoptée en mai 2009. Cependant, la recrudescence de la crise économique et financière, la nécessité d’une plus grande centralisation des décisions concernant les recettes et les dépenses, ainsi que la chute en 2011 du gouvernement, empêchent de la mettre en œuvre dans toutes ses potentialités.

Ces dernières années, la Lega se concentre de plus en plus sur des thèmes tels que la sécurité et l’immigration, qui lui avaient assuré le succès aux élections de 2008 (8,3%). Elle engage ainsi une bataille autour du péril de la prétendue inva-sion islamique, contre la société multi-ethnique, pour la défense des intérêts des peuples du Nord et des traditions locales, ainsi que des valeurs chrétiennes11. Cependant, le 5 avril 2012, le leader historique Umberto Bossi démissionne du secrétariat du parti à la suite d’un scandale concernant une fraude sur le finan-cement public du parti. Malgré l’hémorragie d’adhérents et de voix (lors des élections suivantes, en 2013, elle tombe à 4,1%), grâce aussi au nouveau secré-taire ad interim Roberto Maroni, qui vise à renforcer la composante autonomiste et régionaliste du parti, la Lega Nord parvient à gouverner la Lombardie (avec Maroni lui-même), après avoir remporté en 2010 la présidence de la Vénétie (avec Luca Zaia) et du Piémont.

11 Cf. Roberto Biorcio, La rivincita del Nord. La Lega dalla contestazione al governo, Bari, Laterza, 2010 et G. Passalacqua, Il vento della Padania. Storia della Lega Nord 1984-2009, op. cit., pp. 218 ss.

Le populisme, le nationalisme padan et l’imaginaire politique de la Lega Nord

En définitive, en mettant sur le devant de la scène politique italienne la questione settentrionale, la Lega Nord rompt avec les références traditionnelles de l’identité et de la représentation politique, et franchit les grandes narrations et les fractures idéologiques qui avaient caractérisé le système politique italien depuis l’après-guerre. Elle leur substitue la fracture historique, sociale et économique entre le centre et la périphérie, entre le Nord et le Sud du pays12, en défendant les intérêts des régions du Nord, qu’elle décrit comme «ontologiquement diffé-rentes»13 du reste du pays. La Lega lutte pour une réforme radicale, qu’elle ex-prime de façon différente selon les circonstances et les opportunités politiques (fédéralisme, devolution ou indépendance), mais qui implique le démantèlement de l’État unitaire, centralisé et assistantialiste, nuisant au Nord et favorisant le Sud “parasite”14.

Cela mène la Lega de Bossi sur la voie de l’antipolitique et du populisme, qu’elle conjugue avec le régionalisme, en exploitant le mécontentement grandissant vers la fin des années 1980 au Nord, à l’égard de la classe politique de la Pre-mière République15. Mais les ennemis du peuple léguiste du Nord ne sont pas seulement la classe politique romaine corrompue, la bureaucratie inefficace, les grands pouvoirs économiques et financiers et les méridionaux. Le populisme ethno-régionaliste de la Lega s’appuie également sur la peur croissante et le ressentiment de la population du Nord envers les immigrés16. Si, dans la phase

12 Cf. I. Diamanti, Il male del Nord. Lega, localismo, secessione, op. cit.

13 Daniele Albertazzi, Arianna Giovannini, Antonella Seddone, « ’No regionalism please, we are Leghisti !’ The transformation of the Italian Lega Nord under the leadership of Matteo Salvini », Regional & Federal Studies, No 5, Vol 28, 2018, p. 648. Cf. aussi Danie-le Albertazzi, Duncan McDonnell, « The Lega Nord in the Second Berlusconi Government:

in a League of its Own », West European Politics, No 5, Vol 28, 2005, pp. 952-972.

14 Umberto Bossi, Il mio progetto: discorsi sul federalismo e Padania, Milano, Sperling &

Kupfer, 1996, p. 150.

15 Cf. Daniele Albertazzi, Duncan McDonnell, Populists in Power, London, Routledge, 2015, pp. 42-44; Duncan McDonnell, « A weekend in Padania: regionalist populism and the Lega Nord », Politics, No 2, Vol 26, 2006, pp. 126-132; Roberto Biorcio, « La Lega come attore politico: dal federalismo al populismo regionalista », in Renato Mannheimer, dir., La Lega Lombarda, Milano, Feltrinelli, 1991, pp. 34-82; George Newth, « The roots of the Lega Nord’s populist regionalism », Patterns of Prejudice, No 4, Vol 53, 2019, pp. 384-406.

16 Cf. Giorgia Bulli, Filippo Tronconi, « Regionalism, Right-Wing Extremism, Populism: The Elusive Nature of the Lega Nord », in Andrea Mammone, Emmanuel Godin, Brian Jen-kins, dir., Mapping the Far Right in Contemporary Europe: Local, National, Comparative,

fédéraliste, le projet de trois macro-régions autonomes ne mettait pas en cause l’unité nationale, en appelant également le Sud à «trouver des réponses par l’auto-gouvernance»17, par le passage au sécessionnisme, la Lega affirme qu’il est impossible de garder uni un État multi-ethnique dans lequel les méridionaux représentent la composante “étrangère”18. La Lega revendique ainsi l’unicité culturelle et économique de la Padanie. Bossi affirme que «la rupture de l’État est inévitable et qu’il est nécessaire d’abandonner au plus vite les réformes ré-gionalistes et de préparer d’urgence les institutions d’une nouvelle nation Pa-dane» 19 séparée du Sud et imperméable à la menace du multiculturalisme et d’une société multiraciale à l’américaine20. Pour justifier ces desseins sépara-tistes, et pour mobiliser l’électorat du Nord à partir d’une identité collective trans-cendant les simples revendications économiques et remplaçant les anciennes subcultures politiques, la Lega s’est ainsi engagée dans une opération de cons-truction d’une identité ethno-nationale padane pouvant lui donner crédibilité tant à l’intérieur qu’à l’étranger21.

À cet égard, la Lega a été très habile dans l’activation des mécanismes d’identification par le biais d’un imaginaire politique efficace et attractif, qui “par-lait” aux peuples du Nord22. Des symboles, des rites, des images, des mythes ont fondé un imaginaire visant à créer une identité ethnique et territoriale par opposition à l’identité italienne. La construction de cet imaginaire a suivi un par-cours parallèle à l’évolution politique de la Lega. Dans une première phase, il a été question des régions du Nord: les premières Ligues autonomistes des

18 Cf. Eva Garau, Politics of National Identity in Italy: Immigration and ‘Italianità’, London and New York, Routledge, 2015, p. 111.

19 Umberto Bossi, Il mio progetto, discorsi sul federalismo e Padania, Milano, Sperling and Kupfer, 1996, p. 163.

20 Cf. George Newth, The roots of the Lega Nord’s populist regionalism, op. cit., pp. 399-400 et Gilles Ivaldi, Maria Elisabetta Lanzone, « De l’usage politique du peuple Padano », Cahiers d’études romanes, Vol 35, 2017, pp. 505-520.

21 Cf. A. Cento Bull, « Breaking up the post-war consensus: the ideology of the Lega Nord in the early 1990s », op. cit., pp. 117-118. Voir aussi I. Diamanti, La Lega. Geografia, storia e sociologia di un nuovo soggetto politico, op. cit.; Id., Il male del Nord. Lega, localismo, secessione, op. cit.; R. Biorcio La Padania promessa. La storia, le idee e la logica d’azione della Lega Nord, op. cit. et Damian Tambini, Nationalism in Italian Politics.

The stories of the Northern League 1980-2000, London and New York, Routledge, 2001.

22 Cf. Mario Barenghi, « Conclusione in forma di cronaca », in Mario Barenghi, Matteo Bonazzi, dir., L’immaginario leghista. L’irruzione delle pulsioni nella politica contemporanea, Milano, Quodlibet, 2012, p. 208.

nées 1980, porteuses de revendications ethno-régionalistes, ont entrepris un processus de production symbolique novateur, en essayant de conjuguer la défense d’intérêts locaux avec la valorisation des cultures, des dialectes et des identités régionales. La fusion des Ligues en un seul parti et la transition de la dimension régionale au Nord entier ont fait naître le problème de la définition d’une nouvelle référence identitaire, compte tenu de l’absence d’un profil

nées 1980, porteuses de revendications ethno-régionalistes, ont entrepris un processus de production symbolique novateur, en essayant de conjuguer la défense d’intérêts locaux avec la valorisation des cultures, des dialectes et des identités régionales. La fusion des Ligues en un seul parti et la transition de la dimension régionale au Nord entier ont fait naître le problème de la définition d’une nouvelle référence identitaire, compte tenu de l’absence d’un profil