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CHAPITRE 1. ECRITS SCIENTIFIQUES ET PHRASEOLOGIE TRANSDISCIPLINAIRE

1.3. Phraséologie transdisciplinaire scientifique : typologie

Il existe actuellement différentes classifications du lexique transdisciplinaire des écrits scientifiques proposées par quelques auteurs, en anglais et en français, en vue d’une application lexicographique à visée didactique. Dans le monde anglophone, plusieurs listes

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ont vu le jour pour des objectifs scientifiques tels que : Academic Formulas List (AFL) de Simpson-Vlach & Ellis (2010), qui a pour objectif de construire une liste des segments répétés (ou formulaic sequences) pour l’anglais pour objectifs scientifiques et universitaires (par exemple : on the other, in the first, it is possible etc.) ; ou bien Phrasal Expressions List de Martinez & Schmitt (2012) qui recense 505 expressions polylexicales les plus fréquentes en anglais (of course, going to, such a etc.). Même si ces listes de vocabulaire sont conçues à des fins très variées, pour la communication orale (Gougenheim et al.,1964) ou pour constituer le vocabulaire scientifique de base (Phal, 1971 ; Coxhead, 2002), la motivation qui a conduit à leur réalisation reste la même : il s’agit des listes conçues pour des applications didactiques. Avant de décrire notre typologie des séquences polylexicales, nous voudrions passer en revue différentes classifications existantes qui ont inspiré la conception de notre modèle.

1.3.1. Modèle de Pecman

Pecman (2004) mène une analyse contrastive anglais – français des unités phraséologiques8 et propose à l’issue de sa recherche un dictionnaire phraséologique composé des unités phraséologiques propres à la langue scientifique. Les objectifs de recherche relèvent à la fois de la linguistique et de la didactique. La recherche vise à proposer des réponses à de nombreuses questions concernant l’identification et les spécificités de la phraséologie de la Langue Scientifique Générale (LSG), pour ensuite mettre en place une méthodologie et des matériels linguistiques dans la perspective de création d’un outil d’aide à la rédaction.

Pecman travaille sur un corpus aligné (français – anglais), de sciences dures de 82 800 de mots issus de trois disciplines (la chimie, la physique, la biologie) et composé de 84 textes scientifiques de différents genres (articles, résumés d’articles, rapports d’activité, actes de colloque et comptes rendus). Chaque texte existe en deux versions en anglais et en français. La taille du corpus facilite une exploitation manuelle des données. En voulant créer un dictionnaire phraséologique anglais-français, une unité de traduction consiste en une unité phraséologique anglaise à laquelle se trouve associé un de ses équivalents en français. L’observation et le traitement des unités phraséologiques vont de l’anglais, qui joue le rôle de langue source, au français qui joue donc le rôle de langue cible. Cette direction langue source

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Par « unité phraséologique », Pecman (2004) entend « toute association arbitraire de deux ou plusieurs mots susceptible d’être réutilisée a droit au statut d’unité phraséologiques » (Pecman, 2004 : 28)

– langue cible est renversée dans la perspective didactique d’aide à la rédaction aux scientifiques francophones.

Pecman (2004) a apporté une réponse à propos des phénomènes collocatifs dans la perspective bilingue, à commencer par la constitution du corpus, la localisation des unités phraséologiques en passant par une mise en place d’un système des descripteurs pour rendre la base de données réutilisable. Elle a proposé d’analyser des données phraséologiques bilingues par deux approches : une approche onomasiologique et une approche syntactico-sémantique. D’une part, l’approche onomasiologique permet de relever des concepts, des thèmes qui structurent la LSG. Chaque concept est associé à plusieurs expressions dont le contenu sémantique est proche de celui-ci. D’autre part, l’approche syntactico-sémantique vise à prendre en compte les propriétés sémantiques et formelles des unités phraséologiques, ainsi que les différentes structures collocationnelles de chaque thème.

Son travail de recherche a permis de déboucher sur un thésaurus de la LSG qui se compose de 125 concepts spécifiques ou hyponymiques relevant de quatre grandes sphères conceptuelles : la scientificité, l’universalité, la modalité et la discursivité. Dans sa recherche, la sphère de la scientificité occupe la place la plus importante et inclut tous les concepts qui réfèrent à tout ce qui est de nature exclusivement scientifique ou qui prend une valeur spécifique dans le domaine scientifique, qu’il s’agisse d’une action, d’un objet, d’une entité, d’une abstraction, d’une qualité, etc., avec des concepts comme |EXPERIMENTATION|, |EVALUATION|, |OBSERVATION| etc. La sphère de l’universalité englobe les concepts qui renvoient aux connaissances générales du fait de leur rapport avec la réalité extra-linguistique, par exemple les concepts de |TEMPORALITE|, |QUALITE|, |CONSEQUENCE|, |MANIERE| etc. Les concepts de la modalité servent à exprimer un avis, un jugement, une appréciation de la part de l’auteur à l’égard du contenu de son discours, avec comme concepts |PROBABILITE|, |NECESSITE|. Dans la sphère de la discursivité, on retrouve des unités phraséologiques qui servent à la progression logique du discours et permettent à l’auteur de structurer le contenu de son discours en fonction des objectifs communicatifs qu’il poursuit, avec par exemple des marqueurs exprimant des notions |ADJONCTION| et |CITATION|, comme présentation, exemple, transition, etc. Cette ontologie des concepts dans la LSG nous paraît très riche et intéressante sur le plan didactique en proposant à l’apprenant un accès aux collocations par la base ainsi qu’à partir d’un accès onomasiologique. Par exemple, il est possible d’accéder aux expressions liées à la notion |NECESSITE| par le concept de modalité auquel appartient également la notion |PROBABILITE|. Néanmoins, certains sous-groupes restent, selon nous, redondants et un peu abstraits en ce que Pecman ne fait pas la distinction

entre la notion et la fonction des concepts, comme le cas des expressions de causalité, de conséquence, qui ont été décrites comme valeurs factuelles et classées dans la sphère de l’universalité, tandis que les mêmes expressions jouent le rôle de connecteurs dans la sphère de discursivité.

Pecman a proposé de mettre en évidence la structure complexe des unités polylexicales selon l’axe syntagmatique et l’axe paradigmatique par l’analyse en schémas collocationnels, modèle emprunté à Altenberg (1998). Cette analyse s’avère efficace pour le type d’unités phraséologiques dans les écrits scientifiques. Comme les unités phraséologiques sont davantage caractérisées par le phénomène de variation que par le phénomène de figement, les schémas collocationnels permettent d’aborder les unités phraséologiques en fonction de la variation des éléments composant l’unité. L’analyse en schémas collocationnels se réalise par l’analyse syntactico-sémantique et consiste à mettre en évidence l’enchaînement des unités linguistiques à l’intérieur d’un domaine notionnel. Les concepts caractéristiques de la LSG et localisés à l’issue de la dernière étape sont soumis à l’analyse en fonction de leur appartenance à une sphère déterminée par des schémas graphiques monolingues et des schémas linéaires bilingues. L’analyse syntactico-sémantique nous semble pertinente au point de vue didactique en mettant à disposition des apprenants des possibilités combinatoires des unités linguistiques sur les plans syntagmatique et paradigmatique, ainsi que les différentes réalisations verbales, nominales, adverbiales, etc. partageant le même domaine notionnel. Un exemple de schéma collocationnel pour exprimer la notion |CONSEQUENCE| se trouve à la Figure 1-1.

Comme l’a montré Tutin (2007 b), certes l’approche notionnelle proposée par Pecman est très intéressante, mais elle pourrait être affinée pour un accès plus ciblé et plus direct aux unités phraséologiques à la fois par la base, mais aussi par le collocatif. À l’instar de Tutin (2007 b), nous ne nions pas l’intérêt des classements fonctionnels et notionnels des unités phraséologiques dans la création d’un dictionnaire de la langue scientifique générale. Néanmoins, un accès trop complexe aux unités lexicales risque selon nous d’augmenter les surcharges cognitives des apprenants, car ceux-ci devraient déterminer à quelle sphère ou à quel concept se trouve rattaché le mot recherché. La difficulté est d’autant plus importante que la frontière entre les sphères n’est pas toujours tranchée, par exemple |AVANTAGE|, |DESAVANTAGE|, |ORGANISATION|, |LIMITE|, |ATTENTION|, ce qui a été soulevé par Pecman elle-même. En bref, la méthodologie élaborée contribue effectivement à la conception d’un outil rédactionnel qui proposerait un accès flexible aux ressources lexicales moyennant une recherche alphabétique des unités phraséologiques et une recherche sémantique. Ces schémas collocationnels nous inspirent dans la perspective d’aide à la rédaction en ce qu’ils peuvent ouvrir des possibilités dans l’enseignement systématique des paradigmes combinatoires des unités phraséologiques dans une langue étrangère.

Figure 1-1 : Extrait du schéma collocationnel pour la notion |CONSEQUENCE| (D’après Pecman, 2004 : 394)

1.3.2. Modèle de Riabtseva

Riatbseva (1999) s’intéresse également à l’enseignement des unités phraséologiques en anglais et a conçu un dictionnaire des combinaisons à l’usage scientifique afin d’améliorer les compétences écrites des étudiants et des scientifiques ayant l’anglais comme langue étrangère. Riabtseva travaille sur le métadiscours et les valeurs rhétoriques de ces unités dans les écrits scientifiques en anglais. Elle insiste sur l’importance de créer un support linguistique susceptible d’aider les étudiants à exprimer leurs idées sans passer par la traduction systématique de la langue maternelle. Ce dictionnaire cherche à développer le vocabulaire actif des apprenants en mettant à leur disposition un large choix d’expressions, des combinaisons des mots, des expressions idiomatiques, ainsi que des exemples de l’anglais scientifique.

Riabtseva (ibid.) a à la fois une approche empirique et une approche heuristique en partant de genres de textes scientifiques variés en passant par le processus de vérification dans de nombreux dictionnaires. Les utilisateurs peuvent accéder aux expressions soit par une entrée rhétorique ; soit par entrée alphabétique.

D’une part, l’entrée rhétorique est considérée comme un guide qui indique à l’apprenant d’une manière systématique et concise comment organiser les idées dans un article scientifique. Ce guide se compose de trois parties, y compris l’organisation du texte, la modalité (ou rhetorical devices) et les commentaires. Tout d’abord, l’apprenant dispose de différents moyens linguistiques, à savoir des séquences polylexicales et des phrases, pour énoncer un problème, définir un matériel ou une méthodologie de la recherche, etc., par exemple : Now/ Here it is appropriate/ convenient/ desirable/ essential/ fruitfut to start with

P ; These instances/phenomena tend to form chains/have in common the fact that P. Ensuite,

l’utilisateur peut exprimer son attitude, évaluer et développer une idée par des modèles rhétoriques comme les emphatiques, les auxiliaires (conjonctions, pronoms, etc.), There are

no perfectly acceptable/primarily conventional (forma/functional) ; This research is basically descriptive/ comparative. Enfin, de nombreux exemples de résumés, de conclusions,

d’évaluations, etc. sont systématisés afin d’apporter aux apprenants des indications nécessaires pour la rédaction, Some researchers suspect/agree (operate on the assumption)

that P ; Such analysis/ idea/ view must be rejected in favor of P. La liste des séquences et des

modèles-phrases proposée par Riabtseva est très riche et nous paraît intéressante en ce qu’elle permet aux apprenants d’accéder aux moyens linguistiques par le biais des fonctions rhétoriques. Une telle approche sera très utile pour les activités de production écrite. De plus,

sur le plan architecturel, elle aidera les apprenants à acquérir la structure d’un texte scientifique. Néanmoins, une modélisation syntaxique et sémantique de ces groupes de mots permettrait à notre avis de faciliter leur compréhension et leur acquisition chez les apprenants.

D’autre part, l’entrée alphabétique consiste en un dictionnaire de 5 000 mots-clés classés par ordre alphabétique et recense au total 30 000 combinaisons de mots, des expressions et des phrases afin de permettre aux apprenants de se familiariser à l’usage académique des écrits scientifiques. Les termes, les illustrations de ce dictionnaire se retrouvent dans plusieurs types et genres d’écrits scientifiques, et également dans différentes disciplines. Le dictionnaire traite des termes scientifiques traditionnels (theory, approach,

method etc.), mais aussi des séquences qui expriment la modalité (can, must, need etc.),

l’évaluation (reasonable, signifiant, etc.), la métatextualité (emphasize, stress, etc.). En bref, l’approche rhétorique de Riabtseva nous semble intéressante dans la conception des activités pédagogiques pour aider les apprenants à mieux se familiariser avec le lexique de base de la langue scientifique et également avec la structure relativement stabilisée des écrits scientifiques. Néanmoins, nous regrettons quelque peu que les critères de sélection des unités polylexicales ne soient pas précisés. À notre avis, l’organisation des unités polylexicales d’une manière horizontale surcharge la lecture et donne l’impression d’une liste de mots.

1.3.3. Modèle de Granger et Paquot

S’inscrivant dans une optique fonctionnelle, le Louvain English Academic Purposes

Dictionary (LEAD)9

(Granger & Paquot, 2010) nous intéresse particulièrement sur le plan méthodologique. En effet, Granger & Paquot (ibid.) ont eu pour objectif de créer un outil d’aide à la rédaction susceptible d’aider les étudiants en mettant à leur disposition des moyens linguistiques de base. Ce dictionnaire se compose de 900 mots et expressions relevés dans un grand corpus de textes académiques (dont le British National Corpus et dans le corpus de différentes disciplines) ainsi que du corpus d’apprenants (EFL10

) dont la langue maternelle est, pour une grande majorité, le français. Le LEAD offre aux utilisateurs une riche description du lexique transdisciplinaire des écrits scientifiques en anglais et porte essentiellement sur la phraséologie, en particulier les collocations et les segments répétés.

Sur le plan didactique, le dictionnaire est d’autant plus intéressant qu’il présente les avantages d’un dictionnaire électronique en proposant aux lecteurs différents modes d’accès

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Louvain English Academic Purposes Dictionary LEAD : http://www.uclouvain.be/en-322619.html

comme le mode sémasiologique (de la forme au sens) et le mode onomasiologique (du sens à la forme) par le biais d’une liste des fonctions rhétoriques ou organisationnelles du discours scientifique. D’une autre part, le Louvain EAP Dictionary est également un dictionnaire

semi-bilingue en ce sens que l’utilisateur a la possibilité de choisir sa langue maternelle et faire des

recherches par des entrées lexicales traduites dans cette langue. Le choix de la langue maternelle des apprenants joue un rôle important dans l’identification des erreurs et des problèmes spécifiques de chaque langue. Il sert aussi à analyser les influences sur la traduction de la langue maternelle à la langue cible. Toutes les erreurs rencontrées par les apprenants sont enregistrées et signalées par la suite aux apprenants si ceux-ci choisissent la même langue maternelle, par exemple , l’erreur de traduction de prétendre en français pour le mot pretend en anglais par exemple. De plus, l’apprenant peut choisir le corpus sur lequel il veut travailler. Il existe actuellement trois disciplines couvertes : la gestion, la médecine, la linguistique. Cette étape constitue une préparation interactive où l’outil lexicographique aide les utilisateurs à identifier et à spécifier leurs besoins concrets avant d’être guidés vers les bases de données correspondantes.

Outre le mode sémasiologique qui permet aux apprenants de rechercher un mot par son lemme, ils peuvent également accéder à de nombreuses unités phraséologiques de même concept par le mode onomasiologique. L’accès onomasiologique s’effectue par le biais d’une liste des 18 fonctions rhétoriques et organisationnelles, particulièrement représentées dans le discours scientifique. On y retrouve des concepts pour introduire une thématique : énumérer, ajouter une information, ou exprimer la causalité, donner un exemple, reformuler, etc. Pour chaque fonction, l’utilisateur peut accéder à une liste des éléments lexicaux typiques dans le discours scientifique et pour chaque catégorie (noms, verbes, adjectifs, adverbes, conjonctions et prépositions) (Figure 1-2). Cette classification nous paraît très intéressante dans la perspective de l’aide à la rédaction. Les approches menées par les auteurs nous inspirent beaucoup dans la conception de notre typologie des séquences polylexicales, car nous envisageons nous aussi d’adapter l’approche onomasiologique dans l’enseignement et l’apprentissage du lexique transdisciplinaire des écrits scientifiques comme moyen susceptible d’aider les étudiants à développer leurs compétences lexicales et phraséologiques. Nous y reviendrons plus en détail dans le chapitre 6.

Figure 1-2 : Accès onomasiologique dans LEAD (d’après Granger et Paquot, 2010 : 323)

En bref, les trois typologies que nous avons présentées dans cette partie ont chacune une vision didactique différente, mais elles partagent le même objectif d’aide à la rédaction scientifique. Dans notre travail, nous envisageons de tirer profit de l’approche onomasiologique en proposant une entrée par les fonctions discursives et rhétoriques. Une telle approche nous apporte de nombreux avantages que nous allons expliciter dans le chapitre 4 et 6.