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C HAPITRE 4 C ARACTERISATION

4.1. Photométrie expérimentale

4.1.1. État de l’art de la photométrie expérimentale

Tout comme en spectroscopie, la photométrie expérimentale sur des matériaux granulaires naturels ou synthétiques permet aujourd’hui de constituer des bases de données servant de références lors de l’étude photométrique de surfaces planétaires totalement inconnues.

Mais à ce jour, relativement peu d’études photométriques expérimentales ont été menées, comparativement à d’autres disciplines telles que la spectroscopie par exemple. On citera en particulier (mais la liste n’est pas exhaustive) les travaux de McGuire et Hapke [1995], Kamei et Nakamura [2002], Cord et al. [2003], Zhang et Voss [2005, 2008], Shepard & Helfenstein [2007], Shkuratov et al. [2007a], Johnson et al. [2007, 2008b, 2009], Hapke et al. [2009]. Il est intéressant de noter que le nombre d’études a tendance à augmenter ces dernières années, preuve d’un besoin et regain d’intérêt pour la discipline.

Malgré cela, tous les résultats de photométrie expérimentale mettant en œuvre le modèle de Hapke sont encore aujourd’hui comparés et interprétés à l’aide de l’étude de McGuire et Hapke [1995]. Ces auteurs ont étudié des matériaux de différentes compositions et textures, sous forme de particules isolées et synthétiques (verre commercial de silicate, sphères de métal, et billes de résine de polyester), d’environ 1 cm (reproduites à la figure 4.1.a). Dans ces travaux, les paramètres de phase du modèle photométrique de Hapke (cf. partie 2.2.3) ont été représentés sous la forme d’un graphe c vs b désormais classique, l’ensemble des échantillons se situant sur une tendance en L (cf. Fig. 4.1.b).

Ces résultats sont toujours largement repris dans la littérature, même très récente, comme le montre par exemple leur adaptation dans les travaux sur des analogues martiens de Johnson et al. [2007] (cf. Fig. 4.2).

S’il est indéniable que les résultats de McGuire et Hapke [1995] ont été fondateurs, les auteurs n’ont cependant pas exploré toutes les pistes possibles, et malgré les justifications apportées, il demeure qu’une particule isolée de 1 cm est quelque peu éloignée de l’image que l’on a d’un véritable régolite, surface étendue où l’interaction entre les particules adjacentes joue un rôle optique important.

(b)

(a)

Fig. 4.1 : Particules expérimentales (a) et paramètres b et c (b) tirés de l’étude de McGuire et Hapke [1995].

Fig. 4.2 : Paramètres photométriques b et c déterminés pour des analogues de sols martiens (en couleur), comparés aux résultats de McGuire et Hapke [1995] (en noir et blanc) (Johnson et al. [2007]).

Les travaux ultérieurs ont été menés sur des matériaux granulaires/poudreux, mais surtout de nature synthétique (e.g., Zhang et Voss [2005, 2008], Hapke et al. [2009]), et/ou de composition simple, comme par exemples de la dunite (Kamei et Nakamura [2002]), des oxydes de chrome ou de cobalt (Shepard et Helfenstein [2007]). Il s’agit là d’une philosophie similaire à celle qui prévaut encore en spectroscopie, à savoir la recherche de la caractérisation des propriétés physiques (ou minéralogiques pour la spectroscopie) de pôles ou endmembers, que l’on voudrait ensuite appliquer à des matériaux plus complexes. Or, comme l’ont montré les résultats de Pompilio et al. [2007] en spectroscopie, les propriétés minéralogiques d’une roche ne se déduisent pas d’un simple mélange des signatures spectrales de minéraux purs, mais dépendent d’autres paramètres, en particulier de la texture de la roche (cf. partie 1.1.4). De façon analogue, si l’on espère pouvoir mieux comprendre les surfaces planétaires régolitiques du point de vue de leurs propriétés physiques, des études photométriques de laboratoire sur des surfaces granulaires naturelles étendues contrôlées sont indispensables : travailler avec des matériaux synthétiques ou de composition simple ne permet d’introduire que des textures limitées qui ne peuvent rendre compte de la diversité offerte par le milieu naturel, fait quasi exclusivement de mélanges de différents matériaux.

Les études photométriques expérimentales réalisées diffèrent également dans les configurations multiangulaires utilisées, souvent restreintes, et qu’à la lumière des résultats du chapitre 3 il est possible de discuter. Les mesures sont en effet souvent réalisées dans le plan principal uniquement (McGuire et Hapke [1995], Kamei et Nakamura [2002], Cord et al. [2003], Hapke et al. [2009]), et/ou en moyennant la réflectance obtenue après rotation des échantillons (McGuire et Hapke [1995], Kamei et Nakamura [2002]) mais sans réellement inverser des données ayant à l’origine des azimuts variés ; la valeur de l’angle d’incidence ou d’émission est également souvent fixée (e.g., McGuire et Hapke [1995], Kamei et Nakamura [2002], Hapke et al. [2009]).

De plus, il existe encore de nombreuses questions relatives à la validité du modèle de Hapke et à ses limites d’application, clairement soulevées par l’étude de Shepard et Helfenstein [2007]. Ces auteurs ont montré la difficulté d’interpréter de façon unique un paramètre photométrique en termes d’état de surface, un problème qu’il est nécessaire d’étudier plus avant sur des matériaux aussi proches que possible de régolites.

Tout ceci fait qu’il est aujourd’hui difficile d’établir un cadre de référence solide des études photométriques de laboratoire utilisable pour les régolites planétaires, et c’est ce qui a motivé l’étude présentée dans ce chapitre, du choix des échantillons (partie 4.2) à celui des configurations géométriques sous lesquelles les observer (partie 4.3.1). Si nous comparons nos résultats à ceux de McGuire et Hapke [1995] (cf. article publié partie 4.4.1), ce n’est pas tant pour y chercher une validation que pour questionner jusqu’où des expériences faites dans des conditions extrêmement différentes peuvent avoir des résultats convergents, si convergence il y a. Il est intéressant de noter que les travaux récents de Johnson et al. [2007, 2008b, 2009] sur des analogues martiens, lunaires et un échantillon de la mission Apollo 11, qui utilisent toute la variété des configurations géométriques mesurables par le BUG, semblent cependant aller vers une tendance qui vise à caractériser des matériaux relativement complexes, mesurés sous un éventail de configurations géométriques aussi large que possible, qui est la philosophie mise en œuvre ici.

Parmi les caractéristiques physiques à définir en premier lieu quel que soit l’échantillon que l’on souhaite étudier se trouve la granulométrie, fondamentale dans les études photométriques autant que spectroscopiques.

4.1.2. Classes granulométriques et préparation des échantillons

Les études réalisées sur les échantillons lunaires des missions Apollo ont montré que la distribution en taille des particules subcentimétriques s’étend de 30 ȝm à 250 ȝm, avec une moyenne se situant autour de 60 ȝm (McKay et al. [1974]). Considérant le régolite lunaire comme l’archétype des régolites planétaires, les études expérimentales en spectroscopie sont généralement contraintes par des poudres constituées de particules de tailles variant de 30 ȝm à 250 ȝm (RELAB, Pieters [1983]).

Or, les propriétés de surface que l’on cherche à déterminer par la photométrie sont influencées par un éventail de tailles plus large ; c’est en particulier le cas de la rugosité macroscopique de surface, pour laquelle les échelles submillimétriques à centimétriques jouent un rôle essentiel (cf. partie 2.2.4 et Cord et al. [2003]). Aussi, afin d’élargir la distribution de taille étudiée en spectroscopie et mieux appréhender le rôle optique des plus gros grains, une première approche a été conduite par Cord [2003], qui a étudié des échantillons naturels sur quatre classes granulométriques : 75 ȝm (appelée G1), 75250 ȝm (G2), 250500 ȝm (G3), et 5002000 ȝm (G4). Comme les inversions des paramètres réalisées sur les quatre classes ont montré que les paramètres photométriques issus des classes G1 et G2 étaient très différents (Cord et al. [2003]), il a été décidé de subdiviser cette classe en deux, tout en excluant les grains trop fins. La classe G4 apparaissant aussi trop hétérogène en termes de tailles de grains, celle-ci a aussi été divisée en deux.

Les six classes granulométriques utilisées ici sont alors les suivantes : 4575 ȝm (appelée C1), 75125 ȝm (C2), 125250 ȝm (C3), 250500 ȝm (C4), 5001000 ȝm (C5) et 12 mm (C6).

Ces six classes peuvent être obtenues soit par tamisage uniquement si l’échantillon d’origine est naturellement constitué de grains suffisamment fins (type sable), soit par un broyage préalable à l’aide d’un concasseur à mâchoires pour obtenir tout ou partie des six classes (blocs de roches). L’utilisation de classes granulométriques permet de déterminer le rôle de la taille des grains dans la réponse photométrique d’un matériau, et la possible évolution de celle-ci suivant la granulométrie.

Un soin particulier a été donné au choix des échantillons à analyser, qui se devaient d’être aussi proches que possible d’un régolite, tout en offrant une variabilité permettant d’explorer toute une gamme de caractéristiques photométriques. Afin de reproduire au mieux une organisation naturelle isotrope des particules telles que celle des régolites planétaires, la surface des échantillons a été aplanie sans jamais toucher directement le contenu (pas de pression ni grattage exercé). Une partie des échantillons étudiés dans ce travail n’a pas fait l’objet d’un tamisage, et ce afin de pouvoir aussi étudier des poudres dans leur granulométrie naturelle.