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De prime abord, il est important de noter, qu’au niveau international, les acteurs de la philanthropie (à savoir les individus et fondations engagés dans des activités à caractère philanthropique) ne sont pas considérés comme des sujets de droit.

Dans l’ordre juridique international, seuls les Etats (sujets primaires) et les organisations internationales (sujets dérivés) bénéficient de la subjectivité internationale. Les acteurs de la philanthropie n’ont donc aucun pouvoir normatif ou capacité à devenir membres en tant que tels d’organisations internationales, et ce en dépit de la puissance financière desdits acteurs.

Malgré cet état de faits, la philanthropie va permettre dès le XIXème siècle le développement du droit international. C’est principalement dans le domaine de l’édification juridique de la paix internationale que les premiers philanthropes vont tout d’abord s’illustrer.

Dans ce contexte, le premier grand philanthrope du droit international est sans nul doute Jean Henri Dunant. Paradoxalement, ce dernier est très peu mentionné parmi les philanthropes qui ont contribué à la construction de l’ordre juridique international du XIXème siècle et notamment au renforcement de la paix entre nations par le biais d’une certaine humanisation de la guerre. Cela découle sûrement du fait qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie dans une pauvreté relative et la solitude – malgré le Prix Nobel de la Paix qui lui a été décerné en 1901. En outre, la littérature anglo-saxonne sur la philanthropie dans les relations internationales prend un parti-pris quasi-flagrant et présente souvent Andrew Carnegie comme l’un des premiers philanthropes qui a eu une influence au niveau international.6

Henri Dunant, dans son ouvrage phare, Un souvenir de Solferino (en référence à la bataille de Solferino, l’une des batailles les plus sanglantes qu’ait connue l’Europe), se posait deux questions : « N’y aurait-il pas moyen, dès le temps de paix, de constituer des sociétés dont le but serait de faire donner des soins aux blessés en temps de guerre ? » et « Ne serait-il pas à souhaiter qu’un Congrès formulât quelque principe international conventionnel et sacré, qui servirait de base à ces sociétés ? ».7

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Dunant voit dans la philanthropie une voie majeure pour trouver une solution à ces deux questionnements.

C’est ainsi qu’il se fait un véritable chantre de la philanthropie à tel point qu’Un souvenir de Solferino pourrait même, à certains égards, être vu comme un hymne à la « philanthropie pratique » de Kant.

Plusieurs passages de l’ouvrage méritent d’être cités tant ils sont révélateurs de cette rythmique philanthropique. Dans un premier passage de l’ouvrage, Dunant rend un hommage particulier à un philanthrope qu’il a rencontré lors de son périple :

« Je ne puis m’empêcher de mentionner la rencontre que je fis à Milan, à mon retour de Solferino, d’un vieillard vénérable, M. le marquis Charles de Bryas, ancien député et ancien maire de Bordeaux, et qui, possesseur d’une très grande fortune, était venu spontanément en Italie dans le but unique d’y être utile aux soldats blessés. Je fus assez heureux pour faciliter à ce noble philanthrope son départ pour Brescia (…) ».8

Dans un autre passage du livre, Dunant révèle tout son optimisme à l’égard des philanthropes et de leur capacité à résoudre les problèmes de l’époque notamment en matière humanitaire. Mais, il est surtout intéressant de noter que Dunant est peut-être un des premiers à estimer que les philanthropes doivent pouvoir jouer un rôle institutionnel actif – laquelle vision prédomine aujourd’hui dans l’organisation internationale :9

« Des sociétés de ce genre une fois constituées, et avec une existence permanente, demeureraient naturellement inactives en temps de paix, mais elles se trouveraient tout organisées vis-à-vis d’une éventualité de guerre;

elles devraient non seulement obtenir la bienveillance des autorités du pays où elles auraient pris naissance, mais elles auraient à solliciter, en cas de guerre, auprès des souverains des puissances belligérantes, des permissions et des facilités pour conduire leur œuvre à bonne fin. Ces sociétés devraient donc renfermer dans leur sein, et pour chaque pays, comme membres du comité supérieur dirigeant, les hommes les plus honorablement connus et les plus estimés. Ces comités feraient appel à toute personne qui, pressée par des sentiments de vraie philanthropie, consentirait à se consacrer momentanément à cette œuvre de charité, laquelle consisterait à apporter, d’accord avec les intendances militaires, c’est-à-dire avec leur appui et leurs directions au besoin, des secours et des

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Dunant voit dans la philanthropie une voie majeure pour trouver une solution à ces deux questionnements.

C’est ainsi qu’il se fait un véritable chantre de la philanthropie à tel point qu’Un souvenir de Solferino pourrait même, à certains égards, être vu comme un hymne à la « philanthropie pratique » de Kant.

Plusieurs passages de l’ouvrage méritent d’être cités tant ils sont révélateurs de cette rythmique philanthropique. Dans un premier passage de l’ouvrage, Dunant rend un hommage particulier à un philanthrope qu’il a rencontré lors de son périple :

« Je ne puis m’empêcher de mentionner la rencontre que je fis à Milan, à mon retour de Solferino, d’un vieillard vénérable, M. le marquis Charles de Bryas, ancien député et ancien maire de Bordeaux, et qui, possesseur d’une très grande fortune, était venu spontanément en Italie dans le but unique d’y être utile aux soldats blessés. Je fus assez heureux pour faciliter à ce noble philanthrope son départ pour Brescia (…) ».8

Dans un autre passage du livre, Dunant révèle tout son optimisme à l’égard des philanthropes et de leur capacité à résoudre les problèmes de l’époque notamment en matière humanitaire. Mais, il est surtout intéressant de noter que Dunant est peut-être un des premiers à estimer que les philanthropes doivent pouvoir jouer un rôle institutionnel actif – laquelle vision prédomine aujourd’hui dans l’organisation internationale :9

« Des sociétés de ce genre une fois constituées, et avec une existence permanente, demeureraient naturellement inactives en temps de paix, mais elles se trouveraient tout organisées vis-à-vis d’une éventualité de guerre;

elles devraient non seulement obtenir la bienveillance des autorités du pays où elles auraient pris naissance, mais elles auraient à solliciter, en cas de guerre, auprès des souverains des puissances belligérantes, des permissions et des facilités pour conduire leur œuvre à bonne fin. Ces laquelle consisterait à apporter, d’accord avec les intendances militaires, c’est-à-dire avec leur appui et leurs directions au besoin, des secours et des

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soins sur un champ de bataille au moment même d’un conflit (…) Ce dévouement, tout spontané, se rencontrerait plus aisément qu’on n’est porté à le penser, et bien des personnes, désormais certaines d’être utiles et convaincues de pouvoir faire quelque bien en étant encouragées et facilitées par l’administration supérieure, iraient certainement, même à leurs propres frais, remplir pour un peu de temps une tâche si éminemment philanthropique. Dans ce siècle accusé d’égoïsme et de froideur, quel attrait pour les cœurs nobles et compatissants, pour les caractères chevaleresques, que de braver les mêmes dangers que l’homme de guerre, mais avec une mission toute volontaire de paix, de consolation et d’abnégation ! »10 Les idées philanthropes de Dunant vont jusqu’à occuper les notes de bas de page d’Un souvenir de Solferino. Dans la note de bas de page 31, Dunant relate le contenu de l’une de ses correspondances avec le général en chef de la Confédération helvétique de l’époque, le général Dufour qui s’exprimait dans les termes suivants :

« Il est bon d’attirer l’attention sur cette question humanitaire, et c’est à quoi vos feuilles me semblent éminemment propres. Un examen attentif et profond peut en amener la solution par le concours des philanthropes de tous les pays... ».11

Un tel optimisme se ressent également dans la note de bas de page 11 de l’ouvrage :

« si ces pages pouvaient faire naître, ou développer et presser la question, soit des secours à donner aux militaires blessés en temps de guerre, soit des soins immédiats à leur prodiguer après un engagement, et si elles pouvaient attirer l’attention des personnes douées d’humanité et de philanthropie, en un mot si la préoccupation et l’étude de ce sujet si important devaient, en le faisant avancer de quelques pas, améliorer un état de choses ou de nouveaux progrès et des perfectionnements ne sauraient jamais être de trop, même dans les armées les mieux organisées, j’aurais pleinement atteint mon but. »12

Le reste, on le sait, est inscrit dans l’histoire comme du marbre. Grâce aux idées de Dunant, des philanthropes genevois créeront ce qui allait devenir le Comité international de la Croix-Rouge. Dans le même sillage, en 1864, le Conseil fédéral réunit une Conférence diplomatique à Genève et à laquelle prirent part des

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délégués plénipotentiaires de seize pays. Cette Conférence mit au point la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne, premier édifice de ce que l’on appelle plus communément aujourd’hui le droit international humanitaire (jus in bello). La première Conférence de La Haye pour la Paix (1899) adaptera ladite Convention et adopta une nouvelle convention pour L’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève de 1864.

C’est justement dans le domaine du renforcement de la paix par le droit international – et notamment par le désarmement et l’arbitrage international – que va se distinguer un autre grand philanthrope : Andrew Carnegie. Ce dernier va jouer un rôle décisif, à partir du début du XXème siècle, dans la promotion du règlement pacifique des différends et notamment dans le mouvement dénommé

« la paix par le droit » (« peace through law »). Cette idée philanthropique était des plus audacieuses à une époque où le recours à la force était encore licite dans les relations internationales, pour ne pas dire la norme.

Comme l’explique un auteur,

« The effort to humanise war through developing and codifying the laws of war won a place on the agenda of the peace movement only with time and reluctance, as it clashed with the ideal of the total rejection of war. But the new levels of horror and devastation in the wars of the 1850s and 1860s, made possible by new weaponry, catapulted it to the forefront of the emerging movement for peace through law. The Swiss businessman Henry Dunant (1828- 1910) and his International Committee of the Red Cross (1863) were instrumental in raising awareness among public opinion for the need to humanise war (…) Disarmament and arbitration were the two points which ranked the highest on the agenda of the ‘peace through law’

movement in the later years of the 19th century (…) For the international peace movement, disarmament and arbitration went hand in hand. It was generally held that disarmament was unrealistic as long as there was no successful method found to prevent wars. For this, the ‘peace through law’

movement turned to arbitration ».13

La vision de Carnegie se démarque par ailleurs de celle de Dunant en ce sens qu’elle repose plus sur un mélange de capitalisme et de christianisme. Le passage suivant de The Gospel of Wealth, article publié en 1889 traduit plus précisément la pensée philanthropique de Carnegie :

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délégués plénipotentiaires de seize pays. Cette Conférence mit au point la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne, premier édifice de ce que l’on appelle plus communément aujourd’hui le droit international humanitaire (jus in bello). La première Conférence de La Haye pour la Paix (1899) adaptera ladite Convention et adopta une nouvelle convention pour L’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève de 1864.

C’est justement dans le domaine du renforcement de la paix par le droit international – et notamment par le désarmement et l’arbitrage international – que va se distinguer un autre grand philanthrope : Andrew Carnegie. Ce dernier va jouer un rôle décisif, à partir du début du XXème siècle, dans la promotion du règlement pacifique des différends et notamment dans le mouvement dénommé

« la paix par le droit » (« peace through law »). Cette idée philanthropique était des plus audacieuses à une époque où le recours à la force était encore licite dans les relations internationales, pour ne pas dire la norme.

Comme l’explique un auteur,

« The effort to humanise war through developing and codifying the laws of war won a place on the agenda of the peace movement only with time and reluctance, as it clashed with the ideal of the total rejection of war. But the new levels of horror and devastation in the wars of the 1850s and 1860s, made possible by new weaponry, catapulted it to the forefront of the emerging movement for peace through law. The Swiss businessman Henry Dunant (1828- 1910) and his International Committee of the Red Cross (1863) were instrumental in raising awareness among public opinion for the need to humanise war (…) Disarmament and arbitration were the two points which ranked the highest on the agenda of the ‘peace through law’

movement in the later years of the 19th century (…) For the international peace movement, disarmament and arbitration went hand in hand. It was generally held that disarmament was unrealistic as long as there was no successful method found to prevent wars. For this, the ‘peace through law’

movement turned to arbitration ».13

La vision de Carnegie se démarque par ailleurs de celle de Dunant en ce sens qu’elle repose plus sur un mélange de capitalisme et de christianisme. Le passage suivant de The Gospel of Wealth, article publié en 1889 traduit plus précisément la pensée philanthropique de Carnegie :

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« Poor and restricted are our opportunities in this life; narrow our horizon;

our best work most imperfect; but rich men should be thankful for one inestimable boon. They have it in their power during their lives to busy themselves in organizing benefactions from which the masses of their fellows will derive lasting advantage, and thus dignify their own lives. The highest life is probably to be reached, not by such imitation of the life of Christ as Count Tolstoi gives us, but, while animated by Christ's spirit, by recognizing the changed conditions of this age, and adopting modes of expressing this spirit suitable to the changed conditions under which we live; still laboring for the good of our fellows, which was the essence of his life and teaching, but laboring in a different manner. This, then, is held to be the duty of the man of Wealth: First, to set an example of modest, unostentatious living, shunning display or extravagance; to provide moderately for the legitimate wants of those dependent upon him; and after doing so to consider all surplus revenues which come to him simply as trust funds, which he is called upon to administer, and strictly bound as a matter of duty to administer in the manner which, in his judgment, is best calculated to produce the most beneficial results for the community—the man of wealth thus becoming the mere agent and trustee for his poorer brethren, bringing to their service his superior wisdom, experience and ability to administer, doing for them better than they would or could do for themselves (…) Such, in my opinion, is the true Gospel concerning Wealth, obedience to which is destined some day to solve the problem of the Rich and the Poor, and to bring "Peace on earth, among men good will ».14 Carnegie fit don de 1,5 millions de dollars en 1904 pour la construction d’un

« Palais de la Paix » à La Haye qui était censé abriter la future cour permanente d’arbitrage (établie en 1899 par la première Convention de La Haye sur le règlement pacifique des différends), servir de centre de conférences sur la paix internationale et de centre de recherche en droit international.15Carnegie exprima son sentiment à l’égard du règlement pacifique des différends dans les termes qui suivent :

« The surprising action of the first Hague Conference gave me intense joy.

Called primarily to consider disarmament (which proves a dream), it created the commanding reality of a permanent tribunal to settle international disputes. I saw in this the greatest step towards peace that

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humanity had ever taken, and taken as by inspiration, without much previous discussion ».16

Un auteur relate que lors de la cérémonie d’ouverture du Palais de la Paix à La Haye, M. Abraham van Karnebeek, président de la Fondation Carnegie fit un discours dont le contenu se résumait comme suit :

« the Peace Palace should not remain home to only the Permanent Court of Arbitration but that more tribunals should be vested there in the future.

Thanks to its library, it would also become a centre for those who, through the study of international law, strove for the unity of the “civilised nations”.

Lastly, it would become a centre for visitors and pilgrims from all over the world who believed in the eradication of war. In this sense, it would become – with the name of the edifice Carnegie preferred – ‘un Temple de Paix, ou, même lorsque les flots de la guerre montent a l’horizon, les aspirations meilleures trouveront une refuge pour pouvoir, comme les colombes de l’arche, reprendre leur vol après la tempête ».17

Ce discours témoigne de l’attachement de Carnegie à la paix internationale et à l’éradication de la guerre comme instrument de relations internationales.

La philanthropie de Carnegie est également une « philanthropie pratique » au sens kantien du terme. Elle ne s’est pas limitée à des activités de financement même si en tout et pour tout Carnegie a financé la « paix par le droit international » à hauteur de 25 millions de dollars américains de l’époque qui représentent aujourd’hui environ 10 milliards de dollars.18

Carnegie a pris part de manière active à l’organisation de conférences de la paix, dont l’une s’est tenue en 1907 à New York en présence des représentants des pays européens les plus puissants sans mentionner sa participation à la seconde Conférence de La Haye pour la Paix la même année. Durant la conférence de New York, il prôna la création d’une Société de la Paix (League of Peace).19 Bien que cette dernière ne vit pas le jour, elle a permis de semer les graines qui

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Un auteur relate que lors de la cérémonie d’ouverture du Palais de la Paix à La Haye, M. Abraham van Karnebeek, président de la Fondation Carnegie fit un discours dont le contenu se résumait comme suit :

« the Peace Palace should not remain home to only the Permanent Court of Arbitration but that more tribunals should be vested there in the future.

Thanks to its library, it would also become a centre for those who, through the study of international law, strove for the unity of the “civilised nations”.

Lastly, it would become a centre for visitors and pilgrims from all over the world who believed in the eradication of war. In this sense, it would become – with the name of the edifice Carnegie preferred – ‘un Temple de Paix, ou, même lorsque les flots de la guerre montent a l’horizon, les aspirations meilleures trouveront une refuge pour pouvoir, comme les colombes de l’arche, reprendre leur vol après la tempête ».17

Lastly, it would become a centre for visitors and pilgrims from all over the world who believed in the eradication of war. In this sense, it would become – with the name of the edifice Carnegie preferred – ‘un Temple de Paix, ou, même lorsque les flots de la guerre montent a l’horizon, les aspirations meilleures trouveront une refuge pour pouvoir, comme les colombes de l’arche, reprendre leur vol après la tempête ».17

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