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Les stades précoces de la transformation, correspondant à l’introduction du fluide dans la granulite massive, sont conservés dans les zones de granulite peu éclogitisée, loin des larges zones de cisaillement éclogitiques.

Figure V.5 : Structures éclogitiques précoces dans les zones de granulite peu éclogitisée (1). Les domaines d’éclogite sont restreints aux bandes décimétriques qui soulignent les fractures hydratées (2 et 2’), et plus rarement à des volumes en doigts de gant sans fracture hydratée centrale (3 et 3’), s’enracinant en (3) dans une zone de cisaillement éclogitique importante. (2) et (3) tirées de Jamtveit et al. (2000).

V.1.1 Description des fractures décamétriques, et des zones éclogitiques en doigts de gant

Les structures éclogitiques dans les zones de granulite peu transformée sont de deux types (Fig. 1):

-deux bandes d’éclogite de 10-20 cm de large, de part et d’autre d’une fracture centrale épaisse de 1-5 mm et longue de plusieurs mètres

-Un volume de géométrie complexe, en doigt de gant, sans trace d’une fracture centrale. Ces deux structures partagent quelques caractéristiques :

-la frontière entre les zones d’éclogite et de granulite est très nette, le domaine de transition est réduit à quelques centimètres

-Les zones d’éclogites sont découpées par un réseau assez dense de fractures, sans remplissage apparent et d’âge inconnu

Ces deux types de structures ne sont pas également représentées, les bandes éclogitiques avec une fracture centrale sont largement majoritaires et peuvent de ce fait être considérées comme le mode majeur de pénétration du fluide dans la granulite. Les mécanismes de transport de fluide diffèrent suivant l’échelle d’étude : à l’échelle mésoscopique, l’écoulement est réalisé au cœur d’un réseau de fractures décamétriques, tandis qu’à plus petite échelle la diffusion aux joints de grains ou au cœur de microfractures assure la pénétration du fluide dans la granulite depuis la fracture mésoscopique.

V.1.2 Modèle de pénétration dans la granulite

Nous ne proposons pas de mécanisme précis de formation des fractures décamétriques, probablement lié à un couplage complexe entre les surpressions de fluide, les contraintes de grande échelle liées à la dynamique de la subduction et d’échelle plus locale liées aux variations de volume induites par l’éclogitisation. Nous nous sommes en revanche intéressés à la pénétration du fluide dans la granulite à partir de la fracture décamétrique, considérée comme un réservoir pour la diffusion.

V.1.2.1 Fronts de diffusion macro- et microscopique

Le front net de réaction, visible macroscopiquement, sépare une zone partiellement éclogitisée d’une zone granulitique où les indices d’éclogitisation sont limités à une mince bande de réaction aux joints de grains ainsi qu’à l’apparition de baguettes de Czo-Ph-Ky dans les larges plagioclases granulitiques. Néanmoins, bien que discrète, la pénétration du fluide éclogitique se fait au-delà du front de réaction dans la granulite saine. En effet des traces d’H2O, associées à de faibles proportions de minéraux éclogitiques, ont été analysées sur des distances de l’ordre de 50 cm à partir du front de réaction dans la granulite saine (Mattey et al., 1994), à la différence du front de CO2 qui s’arrête au niveau de la limite macroscopique granulite-éclogite. Par ailleurs, cette zone de granulite saine proche de l’éclogite (Æ 2m) est localement parcourue de fractures millimétriques associées à des zones de réaction éclogitiques microscopiques dans lesquelles cristallisent notamment des amphiboles enrichies en Cl (jusqu’à 3-5 % mas.), indicatrices d’un assèchement en H2O du fluide éclogitique (Kühn, 2002a-article 1).

V.1.2.2 Mécanismes de diffusion+fracturation

La caractérisation des propriétés physiques de la phase fluide dans les conditions de haute-pression est relativement complexe, surtout dans les roches contenant très peu de fluide.

Sans rentrer dans le détail des modèles moléculaires de la structure du fluide ("thin film water" par exemple), il semble raisonnable de considérer que, même dans les conditions de haute-pression où la fine épaisseur des films d’eau inhibe le mouvement des molécules (Nakashima, 1995), la diffusion d’eau aux joints de grain est de plusieurs ordres de grandeur plus efficace que la diffusion au cœur des cristaux.

Par ailleurs, l’observation à l’échelle microscopique d’échantillons prélevés dans les zones éclogitiques montre que les grenats et les pyroxènes granulitiques sont découpés par un réseau dense de microfractures (Erambert & Austrheim, 1993)-voir chapitre 4, qui est absent des zones de granulite saine et qui favorise la diffusion du fluide. La distribution de ces microfractures explique la formation d’un front de réaction net séparant une zone transformée, riche en fluide et densément microfracturée d’une zone de granulite quasiment sans éclogitisation, fluide et microfractures.

Deux types de modèles différents peuvent expliquer la formation de ces microfractures : dans le modèle dynamique de Engvik et al. (in press), les microfractures sont formées dans une zone d’endommagement créée lors de la progression de la fracture décamétrique, et le fluide imbibe postérieurement la zone de forte perméabilité ainsi mise en place. Dans le modèle statique de Jamtveit et al. (2000) et celui que nous développons plus loin, la fracture décamétrique remplie de fluide prééxiste à la microfracturation et à la diffusion du fluide sur les bords de la fracture. Au contraire du modèle de Engvik et al. (in press), où la microfracturation est indépendante de la diffusion du fluide dans la granulite, dans ces deux derniers modèles, microfracturation et diffusion du fluide sont deux phénomènes coopératifs progressant au même rythme.

V.1.2.2.1 Modèle de Engvik et al. (in press)

Figure V.2 : Bandes d’altérations symétriques formées par diffusion de fluide depuis des veines pegmatitiques, Dronning Maud Land, Antarctique, d’après Engvik et al. (in press). La zone d’altération, très fracturée, est dans le modèle proposé formée comme une zone d’endommagement lors du passage de la fracture centrale.

Le modèle de Engvik et al. (in press) décrit la formation de bandes d’altération de part et d’autre de veines de pegmatites (Fig. 2). La veine centrale est ouverte par fracturation hydraulique sous l’action de la pression exercée par un liquide magmatique riche en fluides. Tandis que de l’aplite et des pegmatites cristallisent dans la veine, les fluides diffusent dans la roche hôte et provoquent son altération. L’étude de détail de la zone altérée montre qu’elle est parcourue par un réseau dense de microfractures, par ailleurs absentes de la zone non altérée. La diffusion du fluide depuis la fracture macroscopique et l’altération consécutive sont complètement contrôlées par la distribution des microfractures.

Le domaine microfracturé est interprété comme une zone d’endommagement, formée sous l’effet des concentrations de contraintes près de la pointe de la fracture macroscopique. Les microfractures sont donc créées pendant la propagation de la fracture, et le fluide se contente de percoler postérieurement dans la zone microfracturée, de forte perméabilité.

Bien que les conditions P-T et le liquide au cœur des fractures décamétriques soient différents (faciès granulitique vs éclogitique, liquide magmatique vs fluide aqueux), les structures d’altération décrites ci-dessus ont une morphologie très semblable aux bandes éclogitiques encadrant les fractures décamétriques observées sur Holsnøy. Nous proposons ce mécanisme de microfracturation lié au passage dynamique de la fracture comme modèle possible de formation de la zone éclogitique microfracturée bordant les fractures macroscopiques dans lesquelles circulent le fluide.

V.1.2.2.2 Modèle de Jamtveit et al. (2000)

A l’inverse du modèle précédent, où la microfracturation est génétiquement reliée à la macrofracturation, tous deux antérieurs à la pénétration du fluide, dans le modèle de Jamtveit et al. (2000), d’une part la formation de la fracture décamétrique est silencieuse et n’induit pas d’endommagement, d’autre part la formation de la zone éclogitique microfracturée est le résultat de l’action couplée de la diffusion du fluide et du changement de volume lié aux réactions métamorphiques.

Le modèle de Jamtveit et al. (2000) est constitué d’un réseau 2D de liens élastiques, qui peuvent se rompre lorsque la traction exercée est supérieure à un seuil de rupture, reliant entre eux des disques situés aux nœuds de la grille. Le fluide, présent dans un réseau de fractures interconnectées (liens brisés), est en contact tout au long de la frontière de ce réseau avec des disques de granulite reliés par des lien intacts. La présence de fluide à la limite d’un disque entraîne sa réduction de taille (effet des réactions d’éclogitisation), qui à son tour conduit à la mise sous tension des liens élastiques le reliant à ses voisins, jusqu’à la rupture de ces liens et la progression du réseau de fractures.

Le couplage diffusion dans les microfractures-réactions métamorphiques-microfracturation aboutit à la formation d’un front net se déplaçant vers la granulite fraîche, séparant un domaine riche en fluide, densément microfracturé et très transformé, d’un domaine anhydre, sans fracture et peu éclogitique (Fig. 3). La morphologie de ce front de réaction dépend des contraintes tectoniques qui se surimposent aux contraintes locales nées des variations de volume : si le champ de contrainte externe est faible ou faiblement anisotrope (les auteurs sont évasifs sur sa géométrie), le front reste relativement linéaire et parallèle à la fracture décamétrique, tout en s’en éloignant progressivement (formation des bandes d’éclogite le long de la fracture centrale). A l’inverse, lorsque s’exerce un champ externe fortement anisotrope, l’avancée beaucoup plus rapide du front à certains endroits aboutit à sa digitation (formation des doigts d’éclogite).

Figure V.3 : (Haut) Morphologie finale du front de fracture, en augmentant de gauche à droite l’intensité du champ de contraintes externe anisotrope. La surimposition d’un champ de contrainte externe aboutit à une forte digitation du front de réaction. (Bas) Comparaison de l’avancée du front de réaction entre le mécanisme proposé (contrôlée par la microfracturation) et une progression par diffusion simple. D’après Jamtveit et al. (2000)

La progression infinitésimale du front de réaction, contrôlée par la fracturation des liens à sa frontière, se répète à l’identique quelle que soit la position du front. En conséquence, la vitesse d’avancée du domaine éclogitique est constante, et est exprimée sous la forme v D L= / , où D correspond à la diffusion microscopique du fluide depuis le réseau de fractures remplies d’eau, et L à la taille moyenne des grains. La distance parcourue par le front suivant ce mécanisme est rapidement (à strictement parler, pour une largeur de la zone éclogitique supérieure à L~1mm) largement supérieure à l’avancée d’un front de diffusion simple, dont la vitesse de progression décroît avec le temps (v D= 1/ 2/ 2t1/ 2).

V.1.2.2.3 Notre modèle

Le modèle que nous proposons reprend l’approche développée par Jamtveit et al. (2000), en considérant que la microfracturation résulte des contraintes nées du changement de volume local associé aux réactions métamorphiques, et est donc liée à la pénétration du fluide. La domaine microfracturé ne préexiste pas à la diffusion du fluide, mais au contraire se développe conjointement.

La modélisation mécanique 3D de l’éclogitisation par une approche de type matrice-inclusion permet de décrire de façon précise l’orientation des contraintes associées au changement de volume, à la fois dans le domaine éclogitisé et dans le domaine de granulite à sa frontière. L’intérêt de cette approche est de pouvoir comparer la géométrie de ces contraintes, fortement anisotropes en raison de la géométrie du volume éclogitique, avec les orientations des microfractures, et de valider au final le modèle général couplant microfracturation/réactions métamorphiques locales/diffusion du fluide.