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Le caractère isolant ou métallique d’un solide cristallin est généralement lié à sa structure de bande : si la densité d’états en E = EF (niveau de Fermi) est finie, i.e. le

système non gappé, des excitations de charge, sur des niveaux excités proches de EF,

peuvent permettre la conduction du courant. Une quantité caractérisant bien le carac- tère métallique ou isolant est donc le gap de charge ∆, énergie nécessaire pour créer une excitation de charge (à un électron). Notons qu’une classification courante des solides consiste à distinguer les métaux et les isolants par le signe de dρ/dT où ρ(T ) est la

résistivité du matériau. Pour un métal, dont les excitations de basse énergie peuvent être décrites par la théorie des liquides de Fermi, ρ(T ) croît en T2 si on ne tient compte

que des interactions électron-électron (du fait des interactions électron-phonon, dans les métaux courants à T ambiante on observe souvent un comportement linéaire en T ) ; par contre dans un isolant avec ∆ 6= 0 la densité de porteurs de charge, et donc la conduc- tivité pour kBT ≪ ∆ varie en e−

kBT, et donc dρ/dT < 0. Une transition métal-isolant

en fonction de T est alors caractérisée par un minimum de ρ(T ).

Cependant on se concentre ici sur des transitions de phases quantiques à basse tem- pérature, en fonction d’autres paramètres, notamment les interactions entre électrons. En effet, dans le cas d’interactions fortes entre électrons la description des composés par la la théorie des bandes n’est en général pas adaptée : celle-ci peut prédire un comporte- ment conducteur (avec une bande de valence (B.V.) partiellement remplie) bien que des fortes corrélations électroniques entraînent l’ouverture d’un gap dans la B.V. pouvant rendre le composé isolant (isolant de Mott [4]) si le remplissage de la B.V. prévu par la théorie des bandes coincide avec le nombre d’états de la bande sous le gap ouvert par les corrélations. L’exemple typique est celui du modèle de Hubbard (à une bande) sur un réseau carré vu au chapitre 1. Dans sa version standard, avec seulement des sauts aux plus proches voisins (ti,j = tδ(~rij, 1)) et l’interaction sur site U , pour U ≫ |t|, la densité

d’états en énergie (par exemple calculée par la théorie de champ moyen dynamique, abrégée en anglais DMFT) montre bien un gap entre deux bandes symétriques (voir figure 5.1) alors qu’à U = 0 on n’a qu’une seule bande de largeur proportionnelle à t (8t pour un réseau carré 2D). L’ouverture du gap se fait pour tout U > 0 en une dimension mais à U/t fini en 3 dimensions ; en 2 dimensions sur réseau carré, cette transition a lieu pour U/t nul dans ce modèle (l’état métallique à U = 0 et n = 1 est instable à cause d’un nesting parfait de la surface de Fermi pour ~k = (π, π)) dans ce modèle mais fini avec un terme t′ de saut en diagonale.

5.1.2 Caractérisations de la transition métal-isolant

On se place ici dans le cas où un état métallique est conservé dans la limite des faibles interactions ; pour U/t croissant, la bande centrée autour du niveau de Fermi (i.e. en ω = 0, par rapport au potentiel chimique fixé à µ = 0) disparaît progressivement, et l’annulation de la densité d’états au niveau de Fermi correspond à la transition vers l’isolant, laissant un gap entre deux bandes dites de Hubbard centrées autour de ω = ±U/2 et de largeur d’ordre t. D’autres quantités sont aussi caractéristiques du caractère isolant ou métallique du système : on a mentionné le gap de charge ∆, mais aussi la résistivité ; on s’intéresse plutôt à son inverse, la conductivité à fréquence nulle, mais aussi à fréquence ω finie.

La réponse du système à un champ électrique ~E = Ex~ex suivant x se traduit par une

valeur non nulle (proportionnelle à Ex dans le cadre de la réponse linéaire) du courant

Fig. 5.1 – Allure de la densité d’états ρ(ω) de part et d’autre d’une transition métal- isolant dans le modèle de Hubbard : une bande à moitié remplie dans la phase métallique se sépare progressivement en deux bandes de Hubbard centrées en ω = ±U/2, et séparées dans l’isolant. Issu de [87].

le courant et le champ ~E qui en est responsable, et donc s’il est orienté suivant x, jx= σxxEx (5.1)

Dans le modèle (classique) de Drude traitant des métaux où les principaux effets res- ponsables de la dissipation sont les collisions avec des défauts et interactions électron- phonon, traduites par une force de frottement −me~v/τ , si le champ varie sinusoïda-

lement : Ex(t) = Ex0eiωt la vitesse correspondante s’exprime en régime stationnaire

~v = −me(1+iωτ )eτ

~

E ; le courant étant ~j = −npe~v (où np est la densité de porteurs), la

conductivité (complexe, et dont la partie réelle σR

xx correspond à la dissipation) est fina-

lement :

σxx(ω) =

npe2τ

me(1 + iωτ ) (5.2)

Il est intéressant de noter que l’intégrale de σxx sur ω :

Z ∞

0

dωσxxR(ω) = npe

2π

2me (5.3)

est indépendante de τ donc des interactions électron-(défauts et phonons) et dépend essentiellement de la densité de porteurs et de la structure de bande du métal. Cette relation (ou règle de somme) se généralise à un modèle quantique [81] : sur un réseau de N sites, l’équivalent de np/me est −hΨ0|Tx|Ψ0i/N (Tx étant l’énergie cinétique suivant

x) et : Z ∞ 0 dωσRxx(ω) = −e 2π 2NhΨ0|Tx|Ψ0i (5.4) Par cette règle de somme on peut aussi calculer le poids du pic de Drude, mesurant la partie à fréquence nulle de la conductivité (plus exactement de σR

tendre τ → ∞ dans l’équation 5.2 la partie réelle de la conductivité devient un pic de Dirac centré en ω = 0, de poids D proportionnel à la densité effective de porteurs, et caractérisant donc une phase conductrice. On appelle aussi D la rigidité de charge du système, qui peut s’évaluer comme dérivée seconde de l’énergie par rapport à un flux magnétique [82]. Quand on va vers l’état isolant, un transfert de poids spectral a lieu de ce pic vers des pics à des fréquences ≤ U, et dans l’isolant D = 0 (dans la limite thermodynamique uniquement, qu’on extrapole plus facilement en 1D [83] qu’en 2D [84]).

Le poids (du pic) de Drude est donc une quantité pertinente pour décrire la tran- sition métal-isolant dans les systèmes fortement corrélés, notamment par des méthodes numériques sur des systèmes finis. Pour le modèle de Hubbard plusieurs études[84, 85] ont bien mis en évidence l’état isolant à U/t fini (U positif) au demi-remplissage ; sous l’influence d’un dopage en électrons ou en trous, on trouve par contre une valeur finie de D ou de la densité de porteurs, ce qui peut se comprendre avec l’image des bandes de Hubbard centrées en ±U/2 et dont au moins une est partiellement remplie.

Ordre des transitions et possibilité de coexistence de phase Les transitions

métal-isolant dans des matériaux corrélés s’accompagnent souvent de phénomènes d’hys- térésis, par exemple dans la résistivité ρ(T ) suivant qu’on augmente ou diminue T [86] ; ou à T fixé des hystérésis en fonction d’un paramètre gouvernant les interactions, comme la pression). Ceci indique que la transition est du premier ordre avec une coexistence des 2 phases dans la zone de transition. Dans la limite de température nulle, la transition de phase quantique, lorsqu’elle a lieu pour des interactions finies (pour des paramètres cinétiques t (,t′) donnés), peut être du premier ou du second ordre. Le scénario indiqué

par des études de théorie de champ moyen dynamique (DMFT )[87] est celui d’une co- existence, entre deux valeurs d’interactions Uc1 < Uc2, de solutions (de champ moyen)

isolante et conductrice caractérisées par respectivement une densité d’états nulle ou fi- nie au niveau de Fermi. Dans le cas d’une transition du second ordre, on s’attend à une discontinuité des observables associées à l’une ou l’autre des phases. Il est difficile de déterminer un paramètre d’ordre générique de la transition ; une discontinuité (et une hystérésis) de la double occupation d des sites est souvent un bon indice d’une ré- gion de coexistence et donc d’une transition du premier ordre, mais d n’est pas un bon paramètre d’ordre de la phase métallique, étant faible mais non nul dans l’isolant. Le poids de Drude D est nul dans l’isolant, et nécéssairement fini dans la phase métallique ; une discontinuité de D (comme sur le réseau triangulaire 2D [88]) sera synonyme de transition du premier ordre, au contraire d’une transition du second ordre où D s’annule continûment à la transition (voir figure 5.2). Par contre il n’y a pas a priori de paramètre d’ordre générique d’une phase isolante, non nul dans l’isolant et nul dans une phase mé- tallique. (On verra plus loin le cas d’un isolant est caractérisé par un ordre donné, avec un paramètre d’ordre associé qui s’annule à la transition.)