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Les phénomènes naturels, base de la conception locale du climat par les populations du

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Chapitre 3 : Les perceptions des populations et les données scientifiques sur le climat et

3.1 Les phénomènes naturels, base de la conception locale du climat par les populations du

Deux faits importants ont marqué l’histoire du Mali. Il s’agit de la pénétration de l’islam à partir du XIe siècle et de l’irruption de la colonisation française en Afrique et qui prit corps et âme dans l’actuelle aire géographique du Mali à partir de 1857. Ces deux événements qui sont d’une importance capitale dans l’histoire du peuplement du Mali, ont fortement désorienté les structures sociales préexistantes, notamment en matière de pratiques religieuses. Il ressort du RGPH de 2009 que les personnes recensées appartiennent majoritairement à la religion musulmane (94,8 %). Les chrétiens (2,4 %) et les animistes sont très faiblement représentés (2,02 %). Il en résulte une forte prédominance de l’islam dans la conception des populations sur le climat.

3.1.1 : Une conception islamisée du climat

A l’instar du pays, le cercle de Banamba est fortement islamisé. Sur les 202 villages administratifs, il n’en existe aucun qui ne dispose d’au moins une mosquée. Ainsi, contrairement à plusieurs sociétés traditionnelles africaines, où les faits climatiques et agricoles sont soumis à des rituels dirigés par le grand prêtre et adressés aux multiples esprits, le paysan de Banamba est formaté aux croyances islamiques.

Dans la société traditionnelle africaine, pour obtenir certaines faveurs (pluie, bonne production agricole, bonne santé, fécondité, etc.), on se rend en brousse pour exécuter des rituelles aux ancêtres, aux divinités car comme l’a si bien dit le poète DIOP B. (1961) :

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans le Sein de la Femme,

Ils sont dans l’Enfant qui vagit Et dans le Tison qui s’enflamme.

Les Morts ne sont pas sous la Terre : Ils sont dans le Feu qui s’éteint, Ils sont dans les Herbes qui pleurent, Ils sont dans le Rocher qui geint,

158 Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,

Les Morts ne sont pas morts.

La diffusion des fondamentalismes religieux (chrétiens et islamistes) constitue une sorte de

« bifurcation » en cela qu’ils remettent en cause la plupart de ces croyances. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les communautés villageoises de Banamba connues au Mali pour leur plus grande ferveur religieuse, une meilleure connaissance et observance des règles de l’islam dans la vie personnelle et familiale, dans la mise sur pied de structures communautaires proprement islamiques et la lente purification de l’islam traditionnel. Cet islam taxé « d’ignorant et de syncrétiste ». L’islam doit s’imposer à la société dans tous ses aspects : économiques, culturels, politiques et juridiques. « Il faut devenir meilleurs musulmans pour que les choses aillent mieux ! » les prédications dans les mosquées ou les émissions dans les médias tournent en permanence autour de ce thème en expliquant dans le détail ce qui est la véritable pratique musulmane et ce qui ne l’est pas. Aujourd’hui, sous l’invasion de l’islam, les pratiques culturelles ont littéralement perdu leur sens.

Jadis, pour faire exécuter un sacrifice destiné à un esprit quelconque, il faut nécessairement égorger un animal (un bouc noir, un coq rouge ou un bœuf) sur l’autel ou en brousse pour que son sang soit versé et honorer ainsi la demande des génies. Le sacrifice est fait en prononçant le nom du génie auquel il est destiné et le fait de prononcer un autre nom rend le sacrifice nul et non avenu. Alors qu’il est blasphématoire, au regard de l’islam, de verser du sang sans prononcer le nom de Dieu. Et aucun autre nom ne doit être prononcé.

Dès lors, à l’approche de l’hivernage, aucun esprit protecteur n’est consulté ; le matin, le paysan muni de sa daba se rend au champ sans autre forme de procès. Par ailleurs, personne ne cherche à savoir si les sacrifices sont faits ou non. Tout au plus en cas de sécheresse, des prières collectives sont dites à la mosquée.

Toutefois, si les adorations multiples telles qu’elles étaient pratiquées dans la société traditionnelle africaine sont proscrites, force est de reconnaitre que certaines connaissances issues d’observations séculaires et transmises de génération en génération sont toujours utilisées par les paysans et leur permettent d’appréhender le climat. Comme l’affirme Durkheim, « l’esprit humain n’a pas besoin d’une culture proprement scientifique pour

159 remarquer qu’il existe entre les faits des séquences déterminées, un ordre constant de succession et pour observer d’autre part, que cet ordre est souvent troublé » (DURKHEIM E., 1937 cité par CAZANEUVE, 1958 et repris par AAWI P., 2010).

Dans cette optique, nous éviterons de parler ici des prévisions de type magico-religieux, très difficiles à cerner parce qu’elles sont détenues par des personnes précises qui se distinguent des autres de part leur contribution plus active dans la production, la conservation ou la diffusion des savoirs et sur lesquelles nous n’avons aucune information. Nous évoquons plutôt celles qui font intervenir le comportement de certains phénomènes naturels observés dans le ciel, au niveau des plantes et des animaux. Même s’il est difficile de faire la part de ce qui revient aux observations et aux croyances dans ce genre de prédiction, on est d’accord avec Chastanet, qu’elles s’appuient sur une certaine connaissance du monde animal et végétal et des phénomènes climatiques. De plus, elles n’établissent pas un simple lien analogique entre ces deux domaines puisque, selon les cas, l’abondance de tel ou tel fruit ou poisson peut constituer un signe météorologique favorable ou défavorable (CHASTANET M., 1993)

3.1.2 : Des savoirs locaux encore déterminants dans la prévision du temps

Les savoirs locaux s’expriment autour de l’interprétation des signes observés dans le ciel (nuages, arc-en-ciel, etc.), les arbres et herbes, les animaux, les vents, etc. Ces signes annoncent les saisons et leur qualité. Ils permettent aux paysans de Banamba de prévoir le temps, qui peut être pluvieux ou sec, de se prononcer sur le début ou la fin de l’hivernage.

3.1.2.1 Les cumulo-nimbus, un moyen de prévision de la pluie Le paysan se réfère très souvent à l’état du ciel pour prévoir les pluies. Cet état se caractérise en cas de l’arrivée imminente des pluies, par la présence d’une catégorie de nuage, de couleur noire. Le paysan bamanan de Banamba dira que « san fina », littéralement « le ciel s’est noirci ». La même expression est reprise par le soninké de la zone …. Ainsi le paysan reconnait très bien les pluies torrentielles provoquées par les nuages noirs de type cumulo-nimbus. La présence de ces nuages dans le ciel ne fait plus planer de doute quant à la tombée de la pluie dont on prévoit même la quantité qui sera exprimée sous la forme de dégâts causés.

Une fois que les cumulo-nimbus sont observés dans le ciel, le paysan prend ses préoccupations selon le lieu où il se trouve dans le but de se mettre à l’abri des dégâts

160 importants qui vont suivre. La crainte des méfaits est accentuée par les éclairs, décharges électriques entre le nuage et le sol ou entre les nuages eux-mêmes.

Cette manière de prévoir la pluie localement à partir des nuages sombres n’est nullement en contradiction avec les conclusions scientifiques. En effet, les nuages de type cumulo-nimbus qui sont des nuages à grand développement vertical haut de 500 à 6000 mètres engendrent des pluies d’une intensité variable pouvant aller jusqu’aux pluies torrentielles mais suivant un mécanisme bien déterminé (AAWI P., 2010 op cit). En effet, il est reconnu en climatologie que les aspects du nuage renseignent sur l’eau qui s’y trouve. L'aspect d'un nuage est caractérisé par sa forme, sa texture, sa transparence, son opacité et ses couleurs qui varient en fonction des constituants et des conditions atmosphériques. On compte dix groupes principaux de nuages, appelés "genres" (Encadré 6)

Encadré 6 : Typologies des nuages.

Les nuages les plus élevés, qui occupent l'étage supérieur de la troposphère entre 6000 à 13000 m d'altitude. Ils sont constitués de millions de minuscules cristaux de glace (préfixe: Cirr ou Cirro) et comprennent les genres Cirrus, Cirrocumulus et Cirrostratus. Leur température est inférieure à - 40°C. Ils sont transparents et à travers eux le soleil perce et les objets au sol gardent leur ombre.

Ceux de l'étage moyen (préfixe: Alto), généralement constitués de gouttelettes d'eau, parfois de cristaux de glace, comprennent les Altocumulus et Altostratus, et le Nimbostratus. Compris entre 2000 à 6000 m d'altitude, l'Altostratus peut pénétrer dans l'étage supérieur; le Nimbostratus déborde généralement dans les étages supérieur et inférieur. Ils recouvrent de très grandes surfaces, parfois des centaines de kilomètres carrés. Même s’ils ne donnent que de faibles précipitations, les altostratus indiquent souvent l'arrivée de la pluie.

A l'étage inférieur, on trouve les genres Stratocumulus et Stratus, nuages bas 300 à 2500 m d'altitude. Ils sont généralement composés de gouttes d’eau liquide et correspondent à un temps couvert, sans précipitations.

Deux genres, enfin, les Cumulus et Cumulonimbus, nuages d'instabilité, qui ont généralement leur base dans l'étage inférieur, peuvent s'étendre à travers les deux autres étages comme en témoigne souvent leur important développement vertical entre 200 à 17 000 m d'altitude. Ils sont porteurs d'orages, d'averses, de grêle... Ils peuvent déchaîner des intempéries très violentes

Source : www.notre-planete.info

L’état du ciel dépend en effet de sa nébulosité c'est-à-dire de sa portion couverte par les nuages. L'air possède sa propre énergie cinétique qui lui est conférée par la gravité et dépend donc de la pression. La règle physique est double. L'air soumis à un mouvement ascendant voit sa pression diminuer ; il se détend et se refroidit. Au contraire l'air subsidient se comprime et s'échauffe. Ce mécanisme est à la base des pluies de convection. Dans un premier temps, le nuage de type cumulo-nimbus présente de violents courants ascendants empêchant la pluie de tomber. Les gouttes sont chargées positivement dans cette partie. Elles sont d’ailleurs à l’origine des décharges électriques qui se produisent entre le nuage et le sol.

161 Cette portion du cumulo-nimbus précurseur est le signe annonciateur d’une pluie torrentielle, orageuse. Dans un second temps, la pluie tombe en entrainant la charge positive laissant le nuage chargé négativement. Les premières pluies qui arrivent sont torrentielles, suivent les fortes pluies et enfin les pluies de faibles intensité. Le cumulo-nimbus se manifeste par deux types d’éclair : d’un coté, éclairs entre la charge positive et le sol et éclairs entre les charges positives et négatives du nuage de l’autre coté.

3.1.2.2 La position des cumulo-nimbus dans le ciel

En plus de la présence de cumulo-nimbus dans le ciel, le paysan prête attention à leur position dans le ciel. Selon son expérience, la position des nuages est déterminante dans l’arrivée de la pluie. Il sait le coté vers lequel doivent se situer les nuages avant que la pluie ne tombe. Dans tous les villages de Banamba, pendant la saison pluvieuse, lorsque le « ciel se noircit » (présence de cumulo-nimbus) vers l’Est, il y a de très fortes probabilités qu’il pleuve dans les instants qui suivent. Par contre la présence des nuages du coté sud-ouest ne permet pas d’affirmer qu’il va pleuvoir.

3.1.2.3 L’arc-en-ciel « décaleur » de pluie

A l’instar des cumulo-nimbus, l’arc-en-ciel est également utilisé dans la détermination des moments de pluie. Seulement, contrairement aux nuages à grands développement vertical de types cumulo-nimbus et de la chaleur suite à une forte insolation qui constituent des signes précurseurs de la pluie le plus souvent pendant le jour, le cas de l’arc-en-ciel est propre aux pluies qui tombent la nuit. C’est sa présence ou son absence qui permet de dire s’il va pleuvoir ou non pendant la nuit. Même en cas de présence de cumulo-nimbus, la pluie se verra bloquée si l’arc-en-ciel apparait soudainement dans le ciel. Le paysan de Banamba à l’instar de son homologue Kabiγe du Togo dira que l’arc-en-ciel à empêcher la pluie de tomber sur la terre. C’est un signe quasi certain qu’il ne pleuvra pas quelles que soient les conditions météorologiques du moment favorable à la tombée de la pluie. La durée de cette absence de pluie correspond à celle de la présence de l’arc-en-ciel. Aussi longtemps qu’il dure, persiste dans le ciel, la pluie ne tombera pas. Sa brusque disparition entraîne la tombée de la pluie si les conditions le permettent.

162 3.1.2.4 Des espèces végétales et animales qui annoncent le début

ou la fin des pluies

L’assèchement du feuillage d’Acacia albida (arbre fourrager dont ses fruits et ses feuilles sont surtout consommés par les petits ruminants qui vivent à proximité) annonce la saison des pluies. Par ailleurs, les feuilles de Bauhinia reticulata, apparaissent également au début de l’hivernage (Mai - juin). Lorsque les feuilles de Faidherbia albida, sont tombées les pluies vont arriver.

Certains comportements des animaux et des oiseaux annoncent la saison d’hivernage.

L’apparition d’un oiseau appelé « soukoudiambé » (en soninké) et les cris de crapauds annoncent l’arrivée de la mousson dans les deux semaines qui suivent. Les paysans évoquent, les cris d’un oiseau, considéré comme très intelligent, annonçant l’arrivée des pluies. Ils disent de lui qu’il parle plusieurs langues. Il crie une fois au mois de février, deux fois au mois de mars et vers la fin du mois de mars il crie de nombreuses fois et la pluie arrive au bout de quelques jours après.

Ces comportements des animaux et des oiseaux permettent quelque fois aux acteurs de mesurer des changements. En ironisant certains hommes âgés racontent qu’autrefois il n’y avait pas plus de 10 jours qui s’écoulaient entre la multiplication des cris de cet oiseau et l’arrivée des premières pluies, mais qu’aujourd’hui l’oiseau peut crier un certain nombre de fois et pour autant la pluie tarde à venir. Ils parlent désormais d’un écart d’au moins 20 jours.

Ils signalent ainsi que la saison des pluies commence plus tardivement.

Pour l’observation du climat, le paysan use de méthodes pragmatiques issues de plusieurs années d’observations. Ces perceptions sont faites chaque année en début et pendant la saison pluvieuse. Ces observations, d’un coté, l’obligent à prendre des décisions en réponse aux évolutions météorologiques à court terme (accidents météorologiques) comme à plus long terme (tendances climatiques). Percevoir, c’est décider. Percevoir, c’est, face à la masse d’informations disponibles, choisir celles qui sont pertinentes par rapport à l’action envisagée.

Ce n’est pas seulement combiner et pondérer, c’est aussi et surtout sélectionner, c’est choisir entre des formes rivales, c’est trancher dans des conflits sensoriels (ATTANE A. et al. 2013).

Le paysan est dans un processus permanent d’observance des faits climatiques. Il arrive ainsi à prévoir s’il va pleuvoir ou non dans les instants qui vont suivre, à savoir les débuts et fins

163 des pluies, à mieux cerner les tendances longues du climat local (diminution des pluies, de la saison pluvieuse, etc.) toutes choses qui lui permettent de se préparer en conséquence et à s’adapter.

3.2 Les perceptions des populations du cercle de Banamba sur les

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