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2.5 Interprétation des résultats

2.5.2 Phénomènes interférents

Les critères d’identification des liquides inflammables sont bien adaptés lorsqu’un

produit inflammable est analysé sous sa forme non altérée. Toutefois, les laboratoires

d’analyse de débris d’incendie analysent plus fréquemment des résidus de liquide

inflammable détectés dans des débris d’incendie. Les phénomènes interférents

prin-cipaux sont l’évaporation, les produits interférents et les dégradations microbiennes.

La méthode de préparation des échantillons et les effets de matrice influencent aussi

les résultats.

Évaporation L’influence de l’évaporation sur les profils chromatographiques des

liquides inflammables, avant et/ou après l’incendie jusqu’au prélèvement, engendre

une perte des composés les plus légers (Newman et al., 1997; Sandercock, 2007,

2012) comme illustré Figure 2.7 pour les degrés d’évaporation 0, 50, 90 et 99% en

perte de masse.

400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 2000 2200 0 1 2 3 4 109 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 2000 2200 0 2 4 6 109 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 2000 2200 0 2 4 6 109 400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 2000 2200 Temps de rétention [s] 0 2 4 6 8 10 Abondance 108

Figure 2.7 – Profils chromatographiques d’une essence évaporée à 0, 50, 90 et 99%

Produits interférents Un produit interférent peut être défini comme un produit

contenu dans les débris d’incendie entravant l’analyse et l’identification d’un liquide

inflammable éventuellement présent (Stauffer,2003). Une classification des produits

interférents a été proposée et définie en quatre catégories majeures, les produits :

précurseurs, de pyrolyse, de combustion et générés par le procédé d’extinction du

feu (Stauffer et al., 2008). Un échantillon transmis pour analyse contient, au-delà

33 2.5 INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

de l’éventuelle présence de résidus de liquide inflammable, une matrice complexe

constituée d’un substrat sur lequel un liquide inflammable a pu être déversé. Ces

substrats sont souvent des matériaux polymériques, qui une fois brûlés, produisent

des composés organiques volatils similaires, voire identiques, à ceux entrant dans la

composition des liquides inflammables. Les interférences dues au bruit de fond de

ces matériaux rendent la tâche de l’interprétation des résultats plus délicate. Ces

composés peuvent co-éluer avec les composés d’intérêt et modifier les proportions

relatives du profil chromatographique investigué. Ces prélèvements présentent un

défi pour l’identification de la présence de résidus de liquide inflammable lorsque

ceux-ci sont complexifiés conjointement par l’évaporation et les interférences

matri-cielles (Baerncopf et al.,2011). Dehaan et Bonarius(1988) ont exposé les difficultés

à séparer les contributions du signal chromatographique d’un accélérant par rapport

au signal du support. Lentini et al. (2000) ont mis en avant dans leurs travaux les

dangers de l’interférence des objets et matériaux utilisés dans les foyers et

construc-tions, ainsi que leur potentiel à produire des pyrolysats dans la même gamme de

points d’ébullition que les liquides inflammables.

Dégradation microbienne La dégradation microbienne n’est pas le phénomène

in-terférent le plus fréquent. La dégradation microbienne prend place préférablement

sur des substrats organiques poreux. La chaîne de traçabilité des spécimens prélevés

sur les lieux veut que les prélèvements soient conservés de façon que la composition

chimique du prélèvement ne soit pas altérée. La croissance bactérienne pouvant

mo-difier la composition initiale du prélèvement entre le moment où il est prélevé et le

moment où il est analysé après une période d’entreposage longue, Mann et Gresham

(1990) indique que le meilleur endroit pour entreposer ces produits est dans une

chambre froide/congélateur. L’effet de la dégradation microbienne dépend

principa-lement du type de bactéries présentes dans la matrice étant donné que certaines ont

une affinité pour les alcanes et d’autres pour les aromatiques (Chalmers et al.,2001;

Turner et Goodpaster, 2009,2012; Turner et al., 2015).

Méthode d’extraction et effets de matrice La méthode d’extraction des composés

influence le résultat des analyses et leur interprétation. Certaines méthodes

favo-risent les composés plus légers, d’autres les plus lourds à l’image de ce qui a été

présenté dans le Tableau 2.3 à la page 23. Comme pour les méthodes d’extraction,

les effets de matrice ont une influence sur les composés détectés dans l’analyse. En

fonction du pouvoir d’adsorption de la matrice, la rétention des COVs dans celle-ci

peut être plus ou moins forte.

Pour conclure, il existe plusieurs phénomènes interférents influençant les résultats

des analyses que l’analyste se doit de connaître et de pouvoir identifier. La

capa-cité à pouvoir différencier les contributions respectives des produits inflammables

et phénomènes interférents est nécessaire au processus d’identification d’un produit

inflammable. Pour ce faire, l’analyste a volontiers recours à des références de

pro-duits inflammables et de propro-duits interférents connus. À noter que la détection d’un

produit inflammable dans les débris d’incendie ne permet pas de conclure à une

action délibérée si la présence de ce produit est légitime, tout comme l’impossibilité

de détecter un produit inflammable ne prouve pas qu’aucun produit inflammable

n’a été déversé à l’endroit du prélèvement.

Chapitre 3

Inférence de source : état de l’art

3.1 Fondements de l’inférence de source

L’identité de source est une problématique transversale à tous les domaines de la

science forensique. L’identité est définie par toutes les propriétés et caractéristiques

rendant un objet ou une personne uniques. Des connaissances sur cette unicité sont

nécessaires au processus d’identification et d’individualisation. Alors que

l’identifi-cation vise à déterminer une identité de classe de la trace, l’individualisation vise

à évaluer la relation entre une trace et une personne ou un objet, voire entre deux

traces de sources inconnues (Ribaux et Margot, n.d.). L’identification est une étape

préliminaire à l’individualisation. Kirk (1963) définit la criminalistique comme la

science de l’individualisation qui est un cas particulier de l’identification où les

classes contiennent seulement un membre. L’inférence de l’identité de source

dé-pend donc de ce qui est considéré comme une source. Si la source fait référence

à une classe avec plusieurs membres, uniquement des conclusions d’identification

de classe peuvent être tirées. En analyse de débris d’incendie, les liquides

inflam-mables produits dans les raffineries ont des caractéristiques de source de production

spécifiques. Parce que l’identité de source d’une classe donnée de produits

inflam-mables est la même pour tous ses membres, l’individualisation ne peut être évaluée

que lorsque les caractéristiques de classes sont combinées avec des caractéristiques

individuelles. L’individualisation est une procédure qui peut être vue comme une

procédure de réduction à une seule source à partir d’une population pertinente

(Champod, 2015). Tous les membres dans cette population constituent une source

possible. La combinaison d’un ensemble de propriétés peut résulter en un facteur

de réduction, dont l’intensité est proportionnelle à la fréquence d’apparition de ces

caractéristiques dans une population de référence représentative du problème traité.

Ces caractéristiques peuvent être le résultat d’expérimentations et d’analyses

chi-miques. Il est accepté ici que l’unicité est nécessaire pour atteindre

l’individualisa-tion. Même si l’unicité des objets d’intérêt en science forensique n’a pas été prouvée

ni ne peut l’être, définir l’unicité comme atteignable et existante est central pour

le travail des criminalistes (Inman et Rudin, 2001). En utilisant l’unicité comme

un axiome, l’individualisation peut de préférence être associée à un processus de

comparaison entre plusieurs objets de sorte à déterminer si ces derniers partagent

une source commune plutôt que viser à démontrer l’unicité. Selon Cole (2009), ce

qui différencie les objets n’est pas l’unicité, mais la diagnosticité. Ce terme exprime

la possibilité d’identifier correctement la source des traces d’un objet avec un degré

de certitude en fonction des paramètres de détection et des règles entourant

l’in-férence de l’identité de source. La diagnosticité est dépendante de la disponibilité

et de la capacité des outils analytiques à identifier les caractéristiques

individuali-santes différenciant un objet de tous les autres. L’élément clé est donc la capacité

à identifier et à sélectionner un ensemble de propriétés diagnostiques permettant

d’approcher l’individualisation. Champod (2015) établit que toutes les disciplines

de la science forensique constituent un potentiel d’information corroboratif dans le

processus d’inférence de source et que la force de ce lien varie d’un domaine à l’autre

en fonction de la disponibilité de propriétés discriminantes ayant été révélées par les

traces de source inconnue considérées. Il en ressort que le processus

d’individuali-sation est dépendant de la qualité de la trace étudiée et de l’information produite

par les propriétés révélées par celle-ci. Ce problème de la qualité de la trace est bien

connu en analyse de débris d’incendie à cause des nombreux phénomènes

interfé-rents. Ainsi, l’implémentation d’une procédure d’individualisation pour l’inférence

37 3.1 FONDEMENTS DE L’INFÉRENCE DE SOURCE

de source de liquides inflammables en science forensique se doit d’être adaptable en

fonction des propriétés révélées par la trace de source inconnue.Kwan(1977) expose

les fondements de l’inférence de l’identité de source dans son mémoire de thèse et

les paragraphes qui suivent se basent sur ses travaux pour définir le cadre d’étude

théorique pour l’inférence de source de liquides inflammables en science forensique,

ainsi que les difficultés associées à ce processus.

La question de l’identité de source ne vise pas à répondre à la question"qu’est-ce que

c’est ?", mais plutôt à la question"d’où est-ce que cela vient ?". Cette question met en

exergue l’existence d’une relation particulière entre deux ou plusieurs entités. Dans

la pratique cette relation peut être évaluée entre une trace et sa source, souvent un

élément de comparaison (source potentielle) apporté par l’enquête. Dans l’analyse de

débris d’incendie, la notion de source est un concept compliqué qui ne peut pas être

strictement défini. Une trace peut posséder différents niveaux de source. Chacun de

ces niveaux de source peut être défini par des caractéristiques de source spécifiques.

Considérant l’analyse d’un échantillon d’essence liquide : (1) est-ce que la source de

cet échantillon fait référence au jerrican dans lequel il était contenu, (2) à la

station-service à partir de laquelle l’essence a été prélevée ou (3) à la raffinerie où elle a

été produite ? Il est évident que les caractéristiques sur lesquelles l’examinateur se

base pour identifier l’identité de source d’un échantillon dépendent de la relation que

l’objet entretient avec la source étudiée. Il est alors indispensable de définir la nature

de la relation source-objet considérée, ainsi que la source et le niveau de source dans

lequel cette relation est étudiée. Chaque cas est différent et ces éléments doivent être

définis en accord avec les connaissances a priorisur le cas investigué. Dans le cadre

des produits inflammables, le processus d’inférence d’identité de source peut mener

à évaluer la possibilité d’établir un lien entre un liquide inflammable ou des traces

de liquide inflammable entre les entités non exhaustives ci-dessous.

• un récipient (p. ex. un jerrican) contenant un liquide inflammable a été

re-trouvé en possession d’un suspect, dans sa voiture ou dans son domicile,

voire à proximité des lieux de l’incendie ;

• des traces de liquide inflammable ont été retrouvées sur un suspect (p. ex. sur :

ses mains, ses vêtements ou ses chaussures) ;

• des sources provisionnelles de liquides inflammables ont été prélevées dans des

stations-service (p. ex. à proximité des lieux de l’incendie, à proximité du

domicile d’un suspect ou sur ses trajets quotidiens) ;

• des traces de liquide inflammable ont été détectées dans des prélèvements

réalisés sur les lieux de plusieurs incendies ;

Les entités susmentionnées sont des prélèvements liquides ou solides avec des traces

de liquides inflammables potentiellement adsorbées. Il y a donc trois types de relation

qui peuvent être étudiés.

• Relation liquide/liquide : comparaison de deux liquides inflammables, dont

l’un ou les deux peuvent être altérés ou non ;

• Relation liquide/trace : comparaison d’un liquide altéré ou non avec des traces

de liquides inflammables détectées sur des prélèvements (débris d’incendie,

prélèvements sur les mains, vêtements, chaussures d’un suspect) ;

• Relation trace/trace : comparaison des prélèvements du point précédent ;

La spécificité du cas investigué détermine le type de relation étudié. Les difficultés

associées à une comparaison de deux liquides non altérés et celle de débris

d’incen-die de deux incend’incen-dies séparés spatio-temporellement sont très différentes. Il existe

notamment trois difficultés majeures liées à la définition de la source : (1)

l’inter-changeabilité des sources, (2) la concurrence de sources et (3) la continuité de la

source.

Interchangeabilité des sources L’interchangeabilité des sources est un phénomène

qui peut être illustré par une confusion des sources, menant à faussement identifier

la source d’une trace. À titre d’exemple, la complexité du marché pétrolier implique

qu’il peut être futile de définir la source d’un échantillon d’essence au niveau de la

marque. Il n’est pas rare que des lots de production soient échangés entre les acteurs

39 3.1 FONDEMENTS DE L’INFÉRENCE DE SOURCE

du marché et il se peut qu’une essence soit vendue sous le nom d’une marque alors

qu’en réalité elle a été produite par une autre.

Concurrence de sources La concurrence de sources est un phénomène qui peut être

illustré par le mélange de deux sources formant un mélange inséparable qui est à

son tour unique et ne correspond plus à aucune des deux sources individuellement

avant mélange. À titre d’exemple, si un incendiaire utilise l’essence siphonnée du

réservoir de sa voiture pour initier un feu et qu’un prélèvement y est réalisé après

l’acte litigieux, alors il est possible d’identifier la source des traces détectées sur les

lieux. En revanche, si l’incendiaire a fait le plein de sa voiture entre le moment des

faits et le prélèvement, alors la source des traces détectées sur les lieux aura été

modifiée par une autre source.

Continuité de la source La continuité de la source ne fait pas référence à une

mo-dification ponctuelle dans le temps, mais plutôt à un processus continu. À titre

d’exemple, le vécu d’un lot de production d’essence implique que sa composition

chimique évolue dans le temps. Cette composition change en fonction de la

pé-riode de l’année et elle change quand elle est livrée et mélangée dans les cuves des

stations-service. Si un incendiaire remplit un jerrican d’essence à la pompe d’une

station-service et qu’il utilise son contenu comme accélérant, il est possible que

l’in-vestigateur détecte des traces de ce produit. Imaginant que l’enquête policière mène

après un certain temps à retrouver le jerrican utilisé et la station-service dans

la-quelle l’incendiaire s’est approvisionné, le problème de la continuité de la source se

pose. En effet, le vécu du contenu du jerrican et celui de la cuve de la station-service

sont inconnus aux yeux de l’analyste. Le contenu du jerrican peut avoir subi des

altérations dans le temps comme l’évaporation, il a peut-être même été rempli avec

une autre essence. La cuve de la station-service a pu être à nouveau approvisionnée

en essence. Il en ressort que dans ces cas hypothétiques, malgré la connaissance des

différentes entités, leur vécu et par conséquent l’évolution de leur composition

chi-mique est inconnue. Il y a donc une rupture dans l’espace et le temps par rapport

au vécu des sources potentielles et des traces prélevées sur les lieux.

Démontrer l’identité de source d’un objet avec une source potentielle n’est pas aisé

et de nombreux paramètres doivent être définis. Les propriétés choisies pour

démon-trer l’identité de source doivent respecter deux critères principaux : (1) l’unicité :

un objet est défini à travers un ensemble de propriétés uniques. À savoir que les

propriétés uniques qui lient un objet et une source potentielle doivent permettre de

les différencier des tous les autres objets. Ce point est statistiquement représenté

par les notions d’intra- etinter-variabilité ; (2) la constance : les propriétés uniques

définissant un objet et la source potentielle doivent être suffisamment stables dans

le temps de la période d’intérêt (Besson, 2016). L’identité quantitative est établie

à travers la continuité dans l’espace et le temps. Toutefois, en science forensique

cette continuité de l’existence des traces et de la source dans le temps et l’espace est

souvent inconnue.

Kwan(1977) dans sa thèse de doctorat avait déjà anticipé la place que prendraient les

méthodes statistiques en science forensique, notamment pour l’inférence statistique.

Une méthode d’inférence statistique est traduite ici comme une appellation générique

pour toute méthode qui utilise les statistiques et les mathématiques comme un

moyen pour évaluer une hypothèse d’inférence d’identité de source. Les méthodes

d’inférence statistique dans le cadre de ce projet sont plus volontiers appelées des

méthodes chimiométriques étant donné que les outils ont été appliqués à des données

de nature chimique.