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3. STRATEGIES D’ECHAPPEMENT DES TUMEURS

3.1. Phénomènes de tolérance, cellules suppressives

La tolérance centrale est un mécanisme indispensable à la survie de l’individu. Cette étape essentielle se déroule dans le thymus, où les cellules dendritiques, macrophages et cellules épithéliales thymiques présentent aux thymocytes les antigènes du soi. Seuls les thymocytes capables d’interagir avec les molécules du CMH sont conservés (sélection positive). Parmi ceux-ci, ceux ayant une faible affinité pour les antigènes du Soi sont conservés et constituent le répertoire T alors que ceux qui ont une affinité importante pour les auto-antigènes sont dangereux et sont donc éliminés (sélection négative) ou constituent une population particulière de lymphocytes, les lymphocytes T régulateurs (Coutinho et al., 2005). De cette manière, les lymphocytes T susceptibles de reconnaître les auto-antigènes tumoraux (qui par définition appartiennent au Soi), auront été éliminés et ne pourront plus participer à la réaction immunitaire, ce qui explique qu’ils représentent moins de 1/1 000 000ème du

répertoire T. De façon intéressante, il semble que même les antigènes « cachés » dans le système nerveux central soient présentés au niveau du thymus (Wekerle et al., 1996; Bruno et

al., 2002). Pourtant, ce mécanisme n’est pas parfait et certains lymphocytes T spécifiques

d’antigènes de la myéline notamment, font partie du répertoire T de nombreux individus sains (Fazilleau et al., 2006; Wekerle, 2006).

Ces lymphocytes T potentiellement auto-réactifs ayant échappé à la sélection négative seront alors soumis à des phénomènes de tolérance périphérique. Ainsi, si la plupart des cellules de l’organisme expriment les molécules du CMH cl.I et sont donc susceptibles d’interagir avec les lymphocytes T CD8+, une très faible proportion exprime en parallèle les molécules de costimulation nécessaires à l’activation effective de ces lymphocytes T, conduisant plutôt à leur anergie. Il en va de même pour les cellules de gliomes qui généralement n’expriment pas les costimulateurs activateurs de la famille B7.

D’autres acteurs contribuant à l’échappement des tumeurs sont les lymphocytes T

régulateurs (pour revue, Beyer et Schultze, 2006). Ils ont été découverts suite à des

expériences de thymectomie chez la souris qui, pratiquées avant le troisième jour de vie, entraînent des maladies auto-immunes sévères et spontanées (Bonomo et al., 1995; Sakaguchi

et al., 1995). Des animaux dépourvus de thymus (souris « nude ») recevant une injection de

lymphocytes T déplétés en cellules CD25+ développent le même phénotype que les animaux thymectomisés, alors que l’injection de la même population comprenant les cellules CD25+ se traduit par un phénotype normal (Sakaguchi et al., 1995). Les lymphocytes T CD4+ CD25+ ont ainsi été nommés régulateurs pour leur capacité à contrôler l’activité des lymphocytes T auto-réactifs et donc à empêcher le développement de maladies auto-immunes. Longtemps caractérisés par leur expression constitutive de CD25 (chaîne du récepteur à l’IL-2), il s’est avéré que ce marqueur n’était pas parfait, les lymphocytes T effecteurs activés l’exprimant aussi. La mutation du gène foxp3, responsable du syndrome IPEX (« immunodysregulation, polyendocrinopathy, enteropathy, X linked syndrome »), se traduit par de multiples maladies inflammatoires ainsi que par l’absence de la population de lymphocytes T régulateurs. Les souris déficientes en Foxp3 générées par la suite ont permis de mettre en évidence l’importance de ce facteur de transcription dans le développement et la fonction des lymphocytes T régulateurs, puisque le simple fait de transfecter ce gène dans des lymphocytes T effecteurs leur confère le phénotype suppresseur et leur permet d’inhiber la prolifération des autres lymphocytes (Fontenot et al., 2003; Fontenot et Rudensky, 2005). Ainsi, le phénotype commun des lymphocytes T régulateurs naturels serait CD4+, CD25+, Foxp3+, CTLA-4+ et GITR+ (Sakaguchi, 2005). Comme pour tous les lymphocytes T, ils seraient activés par un

signal antigène spécifique. Une fois activés, ils deviendraient capables de supprimer l’activation et la prolifération des lymphocytes T adjacents de façon non antigène spécifique. Il a été montré in vitro que cette suppression était contact-dépendante, même si in vivo des cytokines telles que l’IL-10 et le TGFβ pourraient avoir des fonctions importantes (von Boehmer, 2005). Les lymphocytes T régulateurs sont aussi capables de bloquer l’activité des lymphocytes T CD8+ en inhibant leur fonction cytotoxique par un mécanisme dépendant du TGFβ (Mempel et al., 2006). Les lymphocytes T régulateurs sont cependant hétérogènes et plusieurs familles ont été décrites (Maggi et al., 2005; Beissert et al., 2006) : aux lymphocytes T régulateurs « naturels » décrits ci-dessus se rajoutent les lymphocytes T régulateurs induits à partir des lymphocytes T CD4+ conventionnels : les lymphocytes Tr1 et Th3, majoritairement FoxP3- et agissant exclusivement par l’intermédiaire des cytokines anti-inflammatoires IL-10 et TGFβ qu’ils sécrètent respectivement et les lymphocytes T CD4+ CD25+ FoxP3+, très semblables aux T régulateurs naturels mais dont le rôle et le mode d’action ne sont pas déterminés précisément à l’heure actuelle (Wang, 2006a). Un déficit dans le nombre où la fonction des lymphocytes T régulateurs est fréquemment associé au développement de maladies auto-immunes, notamment au cours de l’EAE (McGeachy et al., 2005). Au contraire, leur action a tendance à favoriser la croissance des tumeurs en inhibant l’activation des lymphocytes T CD4+ou CD8+, des lymphocytes B, des cellules dendritiques, des cellules NK et NKT (Orentas et al., 2006; Wang, 2006b) et de nombreuses études ont rapporté un nombre ou une proportion plus importante des cellules CD4+ CD25+ FoxP3+ dans divers modèles tumoraux, notamment les gliomes (Andaloussi et Lesniak, 2006; Fecci et al., 2006).

Les lymphocytes NKT sont une population particulière reconnaissant un répertoire restreint de peptides dans le contexte des molécules du CMH cl.I non classiques CD1d. Ces cellules seraient impliquées dans l’échappement des tumeurs puisque l’implantation de cellules cancéreuses dans des animaux déficients en CD1d entraîne un rejet plus important de ces tumeurs par rapport aux animaux sauvages (Terabe et al., 2006). Deux populations ont été décrites, la mieux caractérisée exprimant un TCR conservé Vα14-Jα18 (NKT de type I) et intervenant dans l’immunosurveillance et l’autre, Vα14-Jα18- (NKT de type II) pouvant être impliquée dans l’immunoévasion des tumeurs. En effet, les travaux de Terabe et collaborateurs (2005) ont montré que quatre modèles de tumeurs implantées dans des souris CD1d-/- étaient rejetées plus facilement que dans les animaux sauvages, ce qui n’était pas le cas dans des souris déficientes en Jα18. Les mécanismes permettant l’échappement des

tumeurs par ces cellules NKT ne sont pas encore élucidés, l’IL-13 et le TGFβ pouvant être impliqués pour certaines tumeurs (Terabe et al., 2000) et pas dans d’autres (Terabe et al., 2006).

Les cellules myéloïdes suppressives expriment les marqueurs de surface CD11b et

Gr1 ainsi que CD31, spécifique des cellules myéloïdes immatures (pour revue, Serafini et al., 2006). En temps normal, elles sont principalement localisées dans la moelle osseuse et circulent très peu dans le reste de l’organisme. Ces cellules peuvent maturer en cellules dendritiques, macrophages ou granulocytes dans un contexte inflammatoire (Bronte et al., 2000). Dans un environnement de type Th2, leur caractère suppresseur est au contraire accru. Les tumeurs secrètent de nombreux facteurs tels que IL-10, IL-6 ou VEGF favorisant l’acquisition du phénotype immunosuppresseur par ces cellules myéloïdes ainsi que du GM-CSF permettant leur recrutement (Bronte et al., 1999). Les cellules myéloïdes immatures, retrouvées dans tous les cancers, inhibent les lymphocytes T CD8+ par contact direct, sans interagir avec les lymphocytes T CD4+ dans la mesure où elles n’expriment pas les molécules du CMH cl.II (Kusmartsev et al., 2004). Leur mécanisme d’action passe entre autres par les réactifs oxygénés (Kusmartsev et al., 2004) et une activité très importante de l’enzyme arginase, impliquée dans le métabolisme de l’azote (Rodriguez et Ochoa, 2006).