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III- Régulation de la virulence chez P aeruginosa

5- Petits ARNs régulateurs

P. aeruginosa doit être capable d’intégrer très rapidement les changements

environnementaux et tout aussi rapidement de réguler ses gènes. La manière la plus rapide et la moins coûteuse en énergie est d’utiliser les petits ARNs. Très récemment, une étude de « RNA-seq » a permis d’identifier plus de 380 ARNs cis-antisens et 165 petits ARNs chez P.

aeruginosa (Wurtzel et al., 2012). Ce chiffre n’est pas surprenant pour une bactérie capable

de s’adapter dans des environnements variés. Leur fonction, pour une grande majorité, n’est pas définie. Cependant, un certain nombre doit correspondre à des ARNs régulateurs. Dans les ARNs cis-antisens, il y en a qui sont de petite taille comme les petits ARNs (100 à 300 nt) mais la majorité a une taille allant de 700 à 3500 nt (Georg and Hess. 2011).

Les petits ARNs régulateurs ont une taille allant de 100 à 470 nt et sont chargés de la régulation au sein de la bactérie selon deux modes d’action. Ils peuvent intervenir par appariement de bases avec l’ARNm d’intérêt et sont alors appelés des « ARNs trans- antisens » (petit ARN provenant d’un autre endroit du chromosome et se fixant sur le site de fixation au ribosome) ou « cis-antisens » (petit ARN provenant du brin d’ADN anti-sens) en fonction de leur zone de fixation sur l’ARNm (Figure 11).

41 Gène X 5’ 3’ 5’ 3’ ARN trans- antisens ARN cis- antisens RBS RBS 5’ UTR 3’ UTR

Figure 11 Contrôle de l’activité et de la stabilité de l’ARNm par les petits ARNs. d’après (Gripenland et al.,

2010)

Le deuxième mode d’action concerne de petits ARNs interagissant avec des protéines régulatrices se fixant à des ARNm à proximité ou sur leur site de fixation au ribosome (« Ribosome Binding Site », RBS).

a)

Régulation par appariement de bases: exemple des ARNs anti-sens PrrF1 et

anti-sens PrrF2

Le contrôle de la concentration intracellulaire en Fer est crucial pour la bactérie. En effet, le fer est un élément essentiel à sa survie mais son taux doit être maitrisé. Ainsi la bactérie synthétise et sécrète des sidérophores (pyoverdine et pyochéline) quand le niveau de fer est bas et un régulateur du fer appelé Fur (ferric uptake regulator) quand son niveau est trop élevé.

Quand la concentration en fer est trop basse, il y a transcription de deux petits ARNs : PrrF1 (115 nt) et PrrF2 (113 nt) (Wilderman et al., 2004). Ces derniers, une fois appariés à leurs ARNm cibles, empêchent la traduction de protéines régulant le taux en fer. En condition ferrique élevée, le régulateur Fur complexé au fer empêche la transcription des deux petits ARNs PrrF1 et PrrF2 ; la synthèse des protéines permettant le contrôle du niveau de fer (bactérioferritine) et de sa toxicité (superoxyde dismutase) est donc possible (Figure 12).

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RBS

Concentration basse en Fer

ORF RBS

Concentration élevée en Fer

PrrF1,2 PrrF1,2

Transcription active

Alignement

de base Aucune traduction

des gènes-cibles

Traduction des gènes-cibles (sodB,katA,antABC…)

Inhibition de transcription

Fur-Fe2+

Fur

b)

Régulation de protéines se fixant aux ARNm : exemple de la protéine RsmA

Cette régulation fait intervenir deux acteurs : une protéine se fixant à des ARNm cibles et un petit ARN régulateur qui séquestre la protéine régulatrice.

Les petits ARNs régulateurs présentent des motifs de reconnaissance particuliers dans les boucles de leur structure secondaire : ANGGA (55%) et AGGA (45%) pour P. aeruginosa (préférentiellement AGGA (67%) plutôt que ANGGA (33%) pour E. coli) (Babitzke and Romeo. 2007). Ce sont des séquences identiques aux sites de fixation présents sur l’ARNm reconnus par la protéine régulatrice. C’est donc un leurre pour cette protéine qui va préférentiellement se fixer au petit ARN plutôt qu’à l’ARNm qu’elle régule et va se retrouver ainsi séquestrée.

Chez P. aeruginosa, une des protéines régulatrices est appelée RsmA (Regulator of Secondary Metabolism A). Elle fait partie de la famille des protéines de type CsrA se fixant à des ARNm cibles. CsrA (Carbon Storage Regulator A) est l’homologue de RsmA chez E.

coli ; elles présentent entre elles 96 % d’identité (Heeb et al., 2002 ; Valverde et al., 2003) ;

Kay et al., 2005). Un mutant ∆csrA peut même être complémenté par une copie de rsmA apportée en trans. RsmA reconnait la séquence spécifique « A/UCANGGANGU/A » présente dans la région 5’UTR recouvrant ou adjacente au RBS de l’ARNm-cible et vient s’y fixer

Figure 12 Représentation schématique de la régulation du taux de fer intracellulaire chez P.

43 (Lapouge et al., 2008) (Figure 13A). Cette fixation a pour conséquence l’inaccessibilité du RBS pour le ribosome, son incapacité à être recruté, l’abandon de la traduction voire même une instabilité des ARNm (Schubert et al., 2007).

RsmA régule négativement par cette voie les facteurs associés à une virulence chronique tels que T6SS-1, EPS, tandis qu’elle a une action positive sur le SST3, les pili de type IV (Brencic and Lory. 2009, Burrowes et al., 2006). Le mécanisme de régulation positive par RsmA n’a pas été encore éclairci mais il pourrait s’agir d’un effet indirect, par inhibition d’un inhibiteur. Pour le SST3, il a été proposé un phénomène de protection de l’ARNm d’exsA contre une dégradation par la RNaseE (S. Lory, non publié).

Chez P. aeruginosa, les petits ARNs régulateurs RsmY (118 nt, sept motifs GGA) et RsmZ (127 nt, huit motifs GGA) sont chargés de titrer RsmA (Figure 13B). Des expériences de retard sur gel ont révélé la formation de 4 complexes entre RsmA et chacun des petits ARNs (Valverde et al., 2004 ; Heeb et al., 2006).

La régulation se complexifie davantage puisqu’une nouvelle protéine régulatrice vient d’être découverte chez P. aeruginosa: il s’agit de RsmN/RsmF (Morris et al., 2013 ; Marden

et al., 2013). C’est une protéine se fixant à l’ARN dont la synthèse est sous le contrôle de

RsmA. Il existe donc bien une hiérarchie dans la régulation post-transcriptionnelle chez P.

aeruginosa (Marden et al., 2013). RsmN/F et RsmA présentent 34% d’homologie entre elles

et ont une structure différente : de plus elles possèdent des régulons distincts mais des cibles communes.

Chez Pseudomonas fluorescens, deux protéines se fixant à l’ARNm, RsmA et son homologue RsmE, sont titrées par trois petits ARNs RsmX, RsmY et RsmZ (Heeb et al., 2002 ; Valverde et al., 2003 ; Kay et al., 2005). Ces deux protéines répriment les gènes de métabolites secondaires comme ceux responsables de la production d’antifongiques.

Figure 13 RsmA et RsmY : A/ En se fixant sur le RBS (site de fixation du ribosome), RsmA empêche la

traduction de l’ARNm. B/ Structure de RsmZ avec ses 4 boucles de fixation à RsmA (Heeb et al., 2006).

5’ 3’ RBS 3’ UTR Ribosome RsmA A B

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IV-

Transition vie planctonique / vie communautaire

Comme je l’ai déjà mentionné, P. aeruginosa possède deux modes de vie distincts, associés à l’expression de facteurs de virulence donnés.

Dans le mode de vie planctonique, la bactérie présente plutôt un phénotype virulent exprimant les facteurs responsables d’infections aiguës. Avec un SST2 et un SST3 actifs, la bactérie libère des enzymes dégradatives et des toxines dans le milieu extérieur ainsi que dans la cellule cible (pyocyanine, élastase, phospholipase, ExoS, ExoT, …).

Par contre, en conditions moins favorables ou de stress, comme celles trouvées dans les poumons d’un patient CF, la bactérie doit se mettre « en veille » c'est-à-dire « effacer » tout ce qui pourrait révéler sa présence au système immunitaire de l’hôte : il y a passage au mode de vie communautaire en biofilm. Les bactéries perdent leur flagelle, se fixent à un support, s’agglutinent et surproduisent des exopolysaccharides qui vont former une gangue protectrice. De plus, comme cet environnement comporte plusieurs espèces bactériennes, P.

aeruginosa va activer son SST6-1 impliqué dans la compétition interbactérienne (Hood et al.,

2010).

Ce changement drastique de comportement est rendu possible grâce à une fine régulation des facteurs de virulence de la bactérie. Elle s’exerce à plusieurs niveaux : transcriptionnel, post-transcriptionnel, traductionnel et post-traductionnel.

Pour ce faire, des signaux environnementaux (encore inconnus à ce jour) doivent être détectés, transduits et intégrés dans la bactérie. Les voies clé de cette intégration impliquent :

- des systèmes à deux-composants dont un pivot, GacS/GacA, influencé par deux senseurs membranaires RetS et LadS, et jouant un rôle-clé dans la régulation post- transcriptionnelle (Figure 14).

- les messagers secondaires, di-GMPc et AMPc (avec la voie AMPc/Vfr), contribuent également au relais des signaux. Leur assimilation se traduit par l’expression ciblée de facteurs appropriés (Figure 14).

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