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UN SECTEUR TRÈS PUISSANT MALGRÉ LA CRISE

PETIT TOUR D’HORIZON DES SOCIÉTÉS

Les entreprises sidérurgiques françaises

Un aperçu général

L’observation du graphique de la production sidérurgique de quelques grandes unités de la sidérurgie française indique que la crise est assez différemment ressentie d’une unité à l’autre. Il est vrai qu’en général, les entreprises peinent à retrouver leur niveau de 1929, mais ce n’est pas le cas de toutes. La société Escaut et Meuse se maintient presque imperturbablement pendant toute la durée des années de crise. Au sein d’une même société, les Forges et aciéries du Nord et de l’Est, les unités de production se comportent différemment, ce qui indique a priori des variations par type de produits.

0 100 000 200 000 300 000 400 000 500 000 600 000 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 en tonnes SA d’Escaut et Meuse SA des H-F, forges et aciéries de Denain et d’Anzin usine d’Isbergues CCNM Forges et aciéries du Nord et de l’Est / Valenciennes Forges et aciéries du Nord et de l’Est/ Louvroil

Figure 38. Production d’acier brut des grandes usines françaises (plus de 100 000 tonnes)788

Les plus petites entreprises ont aussi connu des comportements très différents face à la crise : pour certaines, le niveau de production de 1929 est largement retrouvé en 1936 ou en 1938, pour la plupart seulement en 1939, mais certaines restent en dessous. On peut donc en conclure que même au sein d’un seul secteur, et en comparant des entreprises de taille identique, on ne peut trouver d’évolution vraiment identique au cours de la période. Certaines ont vécu bien plus gravement la crise mais sur une période plus resserrée, tandis que d’autres se sont maintenues plus ou moins après un recul beaucoup moins important.

0 10 000 20 000 30 000 40 000 50 000 60 000 70 000 80 000 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 Forges de la Providence Sté fr. de constructions mécaniques (ex- Cail) Denain usines métallurgiques de St Eloi Forges et laminoirs de St Amand Fabrique de fer de Maubeuge aciéries de Paris et d’Outreau

SA Baume & Marpent

Sté métall. d’Hennebont et des Dunes

Forges et aciéries du Nord et de l’Est /Haumont

Figure 39. Production d’acier brut des unités plus modestes (moins de 100 000 tonnes)789

Les rapports annuels d’exercice des sociétés, comme ceux de la société Châtillon- Commentry et Neuves-Maisons, de la Cie de la Marine et d’Homécourtou ceux de la Sté des Hauts fourneaux de Saulnes (Jean Raty & Cie) sont particulièrement détaillés et permettent de bien appréhender l’évolution annuelle de la situation de la société et de l’industrie sidérurgique dans son ensemble. Procédons chronologiquement en prenant quelques exemples. Les commentaires sur l’exercice 1933-1934 relèvent que la sidérurgie se porte mieux, finalement, que l’ensemble de l’économie et l’on attribue ce relatif succès (les résultats de l’exercice 1933- 1934 sont meilleurs que ceux des deux exercices précédents) aux ententes.

« Cette stabilité relative, malgré l’accentuation de la crise, doit être attribuée pour une large part à l’action régulatrice des comptoirs intérieurs et des ententes internationales en dépit des difficultés nombreuses rencontrées pour le maintien de ces comptoirs et de ces ententes. Il est incontestable que cet effort de coordination, réalisé par les intéressés eux-mêmes, dans un esprit de discipline librement consentie, a produit d’heureux résultats. »790

Au cours de l’année 1935, la situation continue à s’améliorer pour la société dont la production et les bénéfices sont en légère hausse, et l’on considère désormais que la situation de la production mondiale d’acier est redevenue à peu près normale, avec un niveau de production qui a augmenté de 82 % depuis 1932, point le plus bas791. Mais la situation des différents pays

est extrêmement variée, l’Allemagne ayant atteint à nouveau (de même que la Grande-Bretagne et l’Italie) son niveau de production de 1929 alors que la France est en retard en Europe avec une production d’environ 63 % de celle de 1929 et des exportations de moitié par rapport à la même

789 AN/ 40 AJ/ 330.

790 AN/ 65 AQ/ K 136/ 1/Cie des forges et aciéries de la Marine et Homécourt, rapport d’exercice 1933-1934. 791 AN/ 65 AQ/ K 136/ 1/Cie des forges et aciéries de la Marine et Homécourt, rapport d’exercice 1934-1935.

période. L’explication proposée, en dehors d’une activité économique et d’une consommation intérieure toujours basses, est la restriction du transfert de devises à cause de la fermeture de nos frontières aux produits agricoles dont une partie provenait de pays habituellement clients de la France en produits sidérurgiques. Les pouvoirs publics sont fermement soutenus par les industriels dans les actions déjà entreprises contre la crise. Et l’on rappelle parallèlement le bienfait des ententes.

« Les ententes métallurgiques intérieures, particulièrement nécessaires à un moment où la consommation tombe à un niveau si inférieur à la capacité de production des usines existantes, sont arrivées à leur terme au cours de l’été dernier. Les négociations relatives à leur renouvellement ont été très difficiles. Mais nous sommes heureux de pouvoir vous dire aujourd’hui qu’elles sont parvenues à un résultat complet et durable. Le sentiment de l’intérêt général et de la solidarité nécessaire ont amené l’unanimité des sociétés métallurgiques à accepter de soumettre à un arbitre les questions divisant les intérêts qu’elles ont à défendre. Les sacrifices que cette discipline peut imposer doivent trouver, à condition qu’ils soient équitablement partagés, une compensation dans le domaine commercial, financier et social.

Sur les marchés d’exportation, les Comptoirs internationaux qui groupaient les principales industries du continent ont étendu et renforcé leur action par les accords conclus avec le groupe métallurgique anglais, organisant les importations de métal en Grande-Bretagne et la vente sur les marchés extérieurs et mettant ainsi fin à une lutte qui durait depuis plusieurs années. Des accords ont été aussi conclus avec certains groupes de l’Europe centrale. Ces progrès de l’organisation intérieure et internationale dans notre industrie apportent leur contribution utile à la stabilisation économique indispensable. »792

Le bilan de l’année 1935-1936, dont l’exercice se finit en juin, ne se ressent pas encore des effets des conflits sociaux du Front Populaire, mais on note au contraire une nouvelle amélioration (production française atteignant, en mai 1936, 75 % de celle de 1929, la production allemande étant de 102 %) à tel point que pour la première fois depuis 4 ans, on distribue un petit dividende. L’optimisme face aux événements de l’été 1936 reste encore de rigueur et l’on espère un rapide « retour des esprits à la modération». Le leitmotiv est toujours celui des bénéfices apportés par les diverses ententes. Cependant, le choc social de 1936 est assez brutal : hausse des salaires (augmentation de 70 à 80 % du taux du salaire horaire) et des allocations familiales, loi des 40 heures (mise en application début décembre), le tout sans période transitoire d’application pourtant prévue dans les accords793.

Le livre d’or de Denain-Anzin permet aussi de faire un tour rapide de ces années de crise à travers un exemple. Malgré le poids de la crise économique, des progrès importants ont lieu dans la qualité et la variété de la production. En dehors des comptoirs se sont établis également des accords entre entreprises dans le but de faciliter les approvisionnements ou l’écoulement des produits. « Il fallait (...) trouver les approvisionnements et les débouchés. De cette époque date une liaison avec Ancine pour le coke, avec Joudreville pour le minerai, avec différents négociants pour les ferrailles. »794Progressivement, et en partie grâce à l’effort de réarmement

français, la production redevient normale et la stabilisation définitive de la société Denain-Anzin semblait acquise en 1939 quand éclate la guerre.

Le livre d’or de Gouvy, une toute petite entreprise dont la production annuelle record en 1928-1929 a été de 7000 t de produits finis et 3000 t d’aciers, relate lui aussi ces années difficiles, venues après une période de développement rapide qui permettait d'espérer un bon avenir. D'abord, la crise économique met un terme aux espoirs.

792 AN/ 65 AQ/ K 136/ 1/Cie des forges et aciéries de la Marine et Homécourt, rapport d’exercice 1934-1935. 793 cf. supra. AN/ 65 AQ/ K 136/ 1/ Cie des forges et aciéries de la Marine et Homécourt, rapport d’exercice 1936- 1937.

794 AN/ 65 AQ/ K 66/ DENAIN-ANZIN, Livre d’or de la société des hauts fourneaux et forges de Denain et d’Anzin, 1849-1949, Paris, 1950, p. 95.

« La crise mondiale grave vient brusquement arrêter cet essor. Les débouchés à l’exportation se ferment par suite du renforcement des droits de douane. Les prix de vente baissent. Les laminoirs ne peuvent plus être alimentés qu’à deux tournées au lieu de quatre. L’effectif des ouvriers qui était remonté à 505 retombe à 345 en juillet 1931, à 313 un an plus tard.; celui des employés passe de 104 à 80 et 67. »795

Ensuite, l’entreprise est touchée par le retour de la Sarre à l’Allemagne, en 1935. Et l’inquiétude augmente car une de ses unités est laissée de côté par la ligne Maginot en construction.

« L’usine de Hombourg-Haut a ressenti, comme celle de Dieulouard, les effets de la crise mondiale mais elle souffre aussi d’une situation particulière. La Sarre, après le plébiscite de 1935, est retournée dans l’orbite de l’économie allemande: elle constituait un marché important et fidèle qui sera désormais fermé. D’autre part, le tracé de la ligne Maginot laisse Hombourg- Haut en avant de la zone protégée par la fortification. Cette lourde menace pour l’avenir et la réduction inquiétante de l’allure de marche de l’usine, amène le gérant à décider de la fusion des deux usines de Dieulouard et de Hombourg-Haut. »796

L’année 1936 s’écoule sans qu’aucun mouvement de grève n’affecte l’entreprise car des négociations ont eu lieu, et la direction et les syndicats se sont mis d’accord pour des aménagements de salaires et la signature d’une convention collective. Mais en 1938, avec les bruits de bottes qui se rapprochent, la société commence à envisager une situation de crise et s’y prépare.

« En septembre 1938, une alerte sérieuse provoque un début de mobilisation partielle. Les mesures de préparation de la mobilisation industrielle sont poussées activement. Il faut prévoir le pire : la société acquiert, à Fourchambault, dans la Nièvre, des installations qui pourront permettre, en cas de nécessité, d’y installer une position de repli. Ces précautions n’étaient pas inutiles, puisqu’au mois de septembre 1939 la mobilisation générale est décrétée, enlevant à l’usine la gérant 150 ouvriers et 36 employés et ingénieurs, tandis que les services administratifs et commerciaux étaient repliés à Fourchambault. »797

Une autre conséquence de cette période de trouble fut que la concentration des entreprises se renforça légèrement. En 1934, trente usines sidérurgiques françaises dépassaient une production de 50 000 tonnes d’acier brut par an, les deux plus grosses unités étant celle de Hayange, de la société de Wendel, (555 000 t, soit 9 % du total) et celle de Rombas (434 000 t soit 7 %). En 1936, la première a régressé en part de marché (8,4 %) tandis que la seconde a légèrement progressé (7,1 %). Sur le total de la production, l’ensemble de ces trente usines représente 87,23 % de la production totale en 1934, et 87,87 %, deux ans plus tard. Même s’il était faible, le mouvement de concentration semble pourtant s’être poursuivi inexorablement.

Tableau 35. Concentration de la production française d’acier brut (1934-1936)798

1934 1935 1936

1000 t % 1000 t % 1000 t %

Production totale des principales sociétés sidérurgiques françaises (+ de 50 000 t par an)

5 369 87,23 5 463 87,34 5 875 87,87

Production totale des autres sociétés 786 12,77 792 12,66 811 12,13

Total de la production française 6 155 100 6 255 100 6 686 100

795 65 AQ/ K386/ GOUVY, Livre d’or du bicentenaire (1751-1951). 796 65 AQ/ K386/ GOUVY, ibid.

797 65 AQ/ K386/ GOUVY, ibid. 798 BA/ B 109/ 352/ doc. 71.

Quelques bons bénéfices

Les sociétés sidérurgiques françaises qui, en cette fin des années trente, travaillent en grande partie pour l’armement (une dizaine de grandes sociétés), font dans l’ensemble de beaux bénéfices financiers, ainsi que le montre le tableau suivant.

Tableau 36. Bilan des sociétés sidérurgiques françaises799

1934-35 1935-36 1936-37 1937-38

Aciéries de Longwy Bénéfice d’exploitation800 11 432 000 10 339 000 17 488 000 22 309 000

bénéfice net801 5 427 000 5 123 000 7 578 000 8 986 000

Châtillon, Commentry et Neuves-Maisons

1934 1935 1936 1937

bénéfice net Néant 2 645 000 4 727 000 6 003 000

Forges et aciéries du Nord et de Lorraine

1935 1936 1937 1938

bénéfice net 258 500 308 600 21 764 800 30 808 800

aciéries et forges de Firminy 1934 1935 1936 1937

bénéfice ou perte (P) P= 14 958 000 P= 3 888 000 14 408 000 18 751 000

Marine et d’Homécourt 1935 1936 1937 1938

Amortissements 10 000 000 24 000 000 19 000 000 16 000 000

bénéfices nets 14 025 000 3 723 000 5 768 000 5 830 000

Total 24 025 000 27 723 000 24 768 000 21 830 000

forges et aciérie du Nord et de l’est

1935 1936 1937 1938

Amortissements 4 millions 42 millions 28 millions 30 millions

bénéfices nets 10 567 000 11 753 000 21 399 000 22 789 000 Total 14 567 000 53 753 000 49 399 000 52 789 000 aciéries du Nord 1934-35 1935-36 1936-37 1937-38 11 081 000 11 789 000 12 981 000 13 609 000 aciéries de Micheville 1935 1936 1937 1938 bénéfices nets 2 250 000 4 094 000 5 263 000 7 018 000 La Providence 1934-35 1935-36 1936-37 1937-38 Amortissements 40 950 000 49 350 000 53 340 000 57 500 000 bénéfices nets 20 179 000 29 211 000 56 952 000 53 642 000 total802 61 129 000 78 561 000 110 292 000 111 142 000 Tréfileries et laminoirs du Havre 1935 1936 1937 1938 Amortissements 5 826 000 6 034 000 9 073 000 10 324 000 bénéfices nets 20 365 000 23 544 000 29 794 000 31 280 000 Total 26 191 000 29 578 000 38 867 000 41 604 000 Bénéfices 1934-35 1935-36 1936-37 1937-38 Denain et Anzin803 5 356 806 Hauts-fourneaux de Saulnes804 17 070 195 19 032 707

Il faut cependant être circonspect avec ces statistiques car elles ne laissent apparaître que ce que l’on veut bien montrer. Or les bénéfices issus de l’armement n’ont jamais eu bonne presse et il est finalement très difficile, même pour les bilans publiés, de connaître le véritable chiffre des bénéfices, car ils peuvent être en partie dissimulés par la grande latitude laissée aux gestionnaires dans l’établissement des bilans, puisqu’une partie des amortissements n’y est pas forcément

799 Christian Pineau, « Les fructueux marchés des industries de guerre », Banque et Bourse, juin 1939, p. 435-444. Voir en annexe le tableau complet. Il manque à cet ensemble de chiffres les bilans, non publiés, de Schneider, analysés plus loin, et de la firme de Wendel qui refuse la communication de ses chiffres.

800 après déduction des frais généraux.

801déduit amortissements et caisse de secours. 802 non compris provisions pour impôts. 803Le Journal des Débats, 7 avril 1939, p.5. 804Le Journal des Débats, 13 avril 1939, p.5.

reportée et que leur ventilation, tout comme celle des frais “généraux” est assez souple. Cela empêche en grande partie une véritable comparaison entre les sociétés. D’autre part, les participations que possèdent les entreprises ne sont pas toujours transparentes, ni la répartition des bénéfices tirés de ces parts. On peut donc estimer, globalement, que les chiffres officiels sont probablement inférieurs à la réalité mais ils sont néanmoins parlants. La marche à la guerre est transparente et la progression prodigieuse des bénéfices dans le secteur de l’armement l’est aussi : alors que l’on fait des amortissements bien plus élevés en 1938 qu’en 1935, les bénéfices nets sont souvent doublés, parfois triplés.

Même s’il n’est pas possible de disposer du montant des bénéfices des sociétés ou si leur lecture est peu transparente, le montant des dividendes distribués annuellement est un bon indicateur de la santé de l’entreprise805. On peut ainsi constater que les conséquences de la crise

économique sont loin d’être identiques pour toutes les sociétés. Dans le même secteur d’activité, la firme Schneider s’en sort visiblement beaucoup mieux que la société Marine. Longwy et Senelle-Maubeuge ont, semble-t-il, beaucoup plus de difficultés que Fives-Lille ou Denain- Anzin. Mais il faut cependant être prudent dans les interprétations, car la distribution des dividendes est la décision du conseil d’administration, elle reflète une certaine stratégie : certaines entreprises peuvent continuer à distribuer des dividendes pendant que d’autres, dans des situations financières équivalentes, peuvent choisir de restreindre ou de supprimer la distribution afin de constituer des réserves en raison du contexte économique défavorable. Cela dépend aussi des réserves déjà existantes et de la puissance financière de l’entreprise.

0 20 40 60 80 100 120 140 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 dividende en francs Châtillon-Commentry Schneider Denain-Anzin Fives-Lille Senelle-Maubeuge Longwy Marine Cail

Figure 40. Dividende distribué par les entreprises sidérurgiques françaises (1929-1937)806

805 Voir statistiques complètes en annexes à ce chapitre. 806 AN / 187 AQ/ 63.

Les principaux groupes français

Denain-Anzin

La société Denain-Anzin tient une place importante dans le paysage sidérurgique français. Avec une production totale d'acier brut avoisinant les 500 000 tonnes annuelles, elle représente, selon les années, entre 5 et 7 % de la production française. Elle a subi une forte régression de sa production, avec un recul de 32 %, entre 1929 et 1932 mais après un redémarrage en 1933, cette production recule à nouveau l'année suivante puis encore lors de la crise française de 1938. En 1939, la société n'a toujours pas retrouvé son niveau de production de 1929.

0 100 000 200 000 300 000 400 000 500 000 600 000 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 en tonnes

Figure 41. Production d'acier brut de la société Denain-Anzin (1929-1939)807

Denain-Anzin, une société au capital de 30 millions F en 1920, de 62 millions en 1930 jusqu’en 1939, reflète assez bien le profil d’évolution de la majorité des entreprises sidérurgiques françaises dans les années trente. On voit ainsi apparaître le double minimum dû à la crise, en 1932 et en 1934, puis la stagnation de l’année 1936, pour des raisons de conflits sociaux et non de crise; l’année 1938 est à nouveau en net recul pour la production; enfin en 1939, on n’a pas encore tout à fait retrouvé le niveau de 1929. On constate que la conséquence des événements de 1936 a plus d’effets sur le niveau des profits, qui sont en net recul, que sur la production. Mais les années d'avant la grande dépression avaient été exceptionnelles, ce qui explique que, si les bénéfices sont très nettement en repli ensuite, l'entreprise n'a à aucun moment à déplorer de pertes. L’année 1939 est tout à fait exceptionnelle et laisse entrevoir l’importante part d’armement produit par cette société.

Tableau 37. SA des H-F, forges et aciéries de Denain et d’Anzin808 résultat exercice (profits ou pertes) en indice déflaté (en francs 1938)809 1930 12 979 430 1931 6 604 229 1932 2 199 83 1933 3 521 138 1934 3 660 150 1935 4 259 188

807Denain-Anzin, Livre d’or de la société des hauts fourneaux et forges de Denain et d’Anzin, 1849-1949, Paris, 1950.

808Denain-Anzin, ibid.

809 Calculé grâce au tableau déflateur fourni par A. Beltran, R. Frank et H. Rousso, La vie des entreprises sous l’occupation, Paris, 1994, p. 419. base 100 = 1938.

1936 3 375 140

1937 2 775 92

1938 3 438 100

1939 36 856 997

Malgré la crise, la société poursuit ses efforts de recherche et investit. De nouveaux produits apparaissent et la société renforce la sécurité de ses approvisionnements.

« La crise économique sévissait avec intensité à partir de 1930, et les résultats s’en ressentaient très défavorablement. Cependant la production se développait et se perfectionnait : les tôles, les ronds à tubes, les aciers à ressorts, les aciers électriques, les aciers Triplex devenaient des spécialités propres à notre société. (…)

Il fallait (…) trouver les approvisionnements et les débouchés. De cette époque date une liaison avec Ancine pour le coke, avec Joudreville pour le minerai, avec différents négociants pour les ferrailles. A Azincourt, la mine devait être arrêtée en 1936, et seule subsistait la cokerie. le développement de la production à Ferrière-les Étangs exigeait lui aussi des investissements importants »810

On a donc ici un bon exemple d’un groupe sidérurgique qui s’est développé et modernisé au cours des années 1930, malgré la crise, et qui a profité de la manne du réarmement.

Le groupe de Wendel

La firme de Wendel est le plus gros groupe sidérurgique français. Issu d’une famille alsacienne, le « clan » de Wendel est sans doute la famille à la fois la plus typique et la plus originale de la sidérurgie française. Maître de forges depuis le tout début du XVIIIème siècle, moment où l’ancêtre Martin Wendel fonde les forges d’Hayange, les de Wendel sont touchés par la perte territoriale de 1871. Les propriétés de Wendel ont en effet été divisées en deux sociétés à la suite de la perte de l’Alsace-Lorraine car désormais une partie de ses usines se trouve en Allemagne. C’est pour cette raison qu’elle crée en 1872 une société “les petits-fils de François de Wendel et Cie”, officiellement fondée par Madame François de Wendel et chargée de gérer les propriétés “allemandes”811. Jusqu’en 1919, elle doit donc jouer au mieux entre les frontières.

Pour garder un droit à la parole en Allemagne, un des membres est devenu député au Reichstag allemand avant la Première Guerre mondiale. Après la guerre, les deux sociétés, désormais françaises, restent disjointes, en particulier en raison de filiales minières en Allemagne. L’autre particularité de cette double entreprise est qu’elle est depuis l’origine exclusivement la propriété de la famille et gérée directement par elle, dans les années trente par François, Maurice et Humbert. C’est un cas tout à fait comparable au seul cas d’espèce en Allemagne, celui de la famille Krupp.

Puissante, elle est représentée au Comité des Forges par trois frères (François, Maurice et Humbert) et par deux de leurs cousins (Charles et Guy). François et Guy sont engagés dans la politique. Humbert a le contrôle de l’exploitation de l’entreprise. Et tous sont membres de la direction des deux entreprises familiales, les sociétés De Wendel & Cie et Les petits-fils de François de Wendel. La famille de Wendel tient les principaux postes de commandes de la