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3. Conséquences évolutives associées aux WGD

3.3.4. Perte des systèmes d’auto-incompatibilité et allopolyploïdie

Comme évoqué précédemment, la limitation en partenaires sexuels compatibles constitue un terrain favorable pour la transition SI vers SC. Or, chez les espèces allopolyploïdes nouvellement formées, un fort isolement reproducteur est attendu, ce qui peut favoriser une transition rapide vers un SC par sélection pour l’assurance reproductive (Soltis, Visger, et al. 2014; Vekemans et al. 2014). L'existence d'une association phylogénétique entre la perte du SI et l'évolution de la polyploïdie a longtemps été discutée et a fait l'objet de conclusions contradictoires (voir Stone 2002; Mable 2004b; Barringer 2007). Une revue de littérature sur l’association entre la polyploïdie et l’auto-incompatibilité (Miller and Venable 2000) incluant des polyploïdes synthétiques et naturels a trouvé que la transition entre l’état diploïde et l’état polyploïde était associée à une transition de SI à SC chez 70% des espèces étudiées, et que cette association est plus forte pour les espèces avec un SI gamétophytique que pour celles avec un système sporophytique. Il a également été montré que les polyploïdes tendent à avoir des taux d’autofécondation plus élevés que leurs confrères diploïdes (Barringer 2007). Cela peut facilement s’expliquer par le fait que les individus auto- compatibles des espèces polyploïdes ne devraient pas souffrir de la limitation en partenaires compatibles (ici il faut considérer les partenaires de même niveau de ploïdie) puisqu’ils peuvent s’autoféconder (Mable et al. 2004b), permettant ainsi aux populations polyploïdes nouvellement formées de s’établir en conditions de faible densité. Les niveaux de dépression de consanguinité réduits attendus chez les polyploïdes, dus à la redondance fonctionnelle assurée par les paralogues (Comai 2005), peuvent expliquer pourquoi les polyploïdes tendent à avoir des taux d’auto-fécondation plus élevés que leurs congénères diploïdes. Toutefois, le lien entre la polyploïdie et des niveaux réduits de dépression de consanguinité n’est pas encore parfaitement établi (Barringer 2007).

Il semblerait que la polyploïdie conduise souvent à l’auto-compatibilité dans les lignées SI, surtout dans les systèmes GSI (Ramsey and Schemske 1998; Stone 2002; Robertson et al. 2010), mais cela ne signifie évidemment pas pour autant que les transitions SI vers SC s’expliquent toutes par la polyploïdie. Beaucoup de cas de perte du SI ont été identifiés sans qu’aucun événement de polyploïdie n’ait été rapporté (voir section 3.3.3, Robertson et al. 2010). En revanche, la polyploïdie, en exposant le ou les nouveaux individus polyploïdes formés à pas ou peu de partenaires sexuels compatibles (à la fois à cause d’un niveau de ploïdie différent de celui des individus parentaux, d’un nombre d’allèles S très réduits par effet de fondation, et de changements physiologiques et/ou morphologiques qui

suivent la polyploïdisation, voir Soltis, Visger, et al. 2014), devrait contribuer à une évolution rapide de l’auto-compatibilité. La moindre mutation cassant le SI devrait tout naturellement être favorisée par la sélection naturelle en permettant aux polyploïdes nouvellement formés de s’établir. La perte du SI peut être partielle ou complète, temporaire ou irréversible. Toutefois, les modalités de recouvrement du SI après sa perte restent à ce jour mal comprises.

A l’heure actuelle, chez les Brassicaceae, quelques cas de polyploïdie récente associée à une perte du SI ont été documentés. L’espèce allotétraploïde et auto-compatible

Arabidopsis kamchatica résulte de l’hybridation allopolyploïde entre deux espèces diploïdes

auto-incompatibles, A. halleri et A. lyrata, associée à une perte du SI (Tsuchimatsu et al. 2012). Il y a eu vraisemblablement plusieurs évènements indépendants d’hybridation allopolyploïde puisque cinq allèles S distincts et non fonctionnels – existants chez les espèces parentales – ont été retrouvés chez l’allotétraploîde A. kamchatica. Chez l’espèce allotétraploïde et auto-compatible Arabidopsis suecica résultant de l’hybridation allopolyploïde entre A. arenosa (SI) et A. thaliana (SC), le locus S hérité du génome de A.

thaliana est fixé pour une inversion dans SCR également rencontrée chez A. thaliana et

supposée être à l’origine de la perte du SI chez cette dernière, tandis que le locus S hérité du génome de A. arenosa contient un allèle proche phylogénétiquement d’un allèle rencontré chez A. halleri, récessif par rapport à l’allèle hérité de A. thaliana (Novikova et al. 2017). Il a été suggéré que l'allèle initialement fonctionnel issu du parent A. arenosa a été rendu silencieux au niveau transcriptionnel par l’allèle du locus S hérité d'A. thaliana (Novikova et al. 2017). Le petit ARN issu du parent A. thaliana et sa cible sur l'allèle issu du parent A

arenosa impliqués dans ce mécanisme de dominance ont en effet été supposés fonctionnels

chez A. suecica (Novikova et al. 2017). Ainsi, il est fort probable que A. suecica soit devenue immédiatement SC (au moins partiellement SC) puisque l’allèle S non fonctionnel hérité de

A. thaliana est dominant sur l’allèle S fonctionnel hérité de A. arenosa, et qu’une mutation

induisant une perte de fonction s’est fixée plus tard dans l’allèle de A. arenosa (Novikova et al. 2017). Les espèces allotétraploïdes SC Capsella bursa-pastoris et Cardamine flexuosa sont également issues d’une hybridation allopolyploïde entre une espèce diploïde SI et une espèce diploïde SC (Capsella grandiflora × C. orientalis et Cardamine amara × C. hirsuta, respectivement) (Mandáková et al. 2014; Douglas et al. 2015). Enfin, chez les Brassiceae, les espèces parentales de l’allotétraploïde auto-compatible Diplotaxis muralis sont a priori D.

tenuifolia qui est auto-incompatible et D. vimenea qui est auto-compatible (voir Marhold and

une hybridation allopolyploïde de type SC × SI. Cependant, tous ces exemples concernent des espèces polyploïdes relativement récentes (<100 000 ans) dont les espèces parentales sont encore actuelles, et il est bien plus difficile d’analyser le cas des espèces mésopolyploïdes dont les espèces parentales sont bien souvent éteintes et dont on peut difficilement déterminer le système de reproduction.

Dans le genre Leavenworthia, l’analyse du polymorphisme au locus S chez des espèces SI et des espèces SC suggère que l’ancêtre commun des espèces de ce genre était auto-incompatible et a subi un fort goulot d’étranglement génétique qui a été suivi d’une apparente re-diversification allélique au locus S (Herman et al. 2012). Plus tard, il a été montré que le système d’auto-incompatibilité chez Leavenworthia n’est pas homologue au système SI des autres Brassicaceae (Chantha et al. 2013), et qu’il a donc évolué de novo (à partir de gènes paralogues non polymorphes) après la perte du SI impliquant SRK/SCR. Il est connu que l’ancêtre commun de ce genre a subi un événement de mésopolyploïdie (WGT) (Haudry et al. 2013), et il est tentant de supposer, par analogie aux cas récents d'allopolyploïdie décrits ci-dessus, que la perte du SI homologue au système SI des Brassicaceae pourrait être associée à cet évènement. Chez les genres Brassica et Raphanus, le regroupement des allèles SRK et SCR en seulement deux classes alléliques (voir section 3.3.2) suggère un évènement de goulot d'étranglement majeur, qui pourrait être associé avec l'évènement ancien d'allohexaploïde (WGT) partagé par les membres de la tribu des Brassiceae (suite à deux événements successifs d'hybridation allopolyploïde). Il est possible que le SI ait été partiellement ou totalement perdu de façon temporaire avant d’être regagné et donc avant la re-diversification allélique au locus S. Cette re-diversification allélique récente, sous l'effet de la sélection fréquence-dépendante négative associée au système SI, est démontrée par les reconstructions phylogénétiques et également par l'observation de signatures très fortes de sélection positive dans le domaine extracellulaire du gène SRK chez Brassica (Castric and Vekemans 2007). De manière analogue, le goulot d'étranglement au locus S observé dans le genre Biscutella (Leducq et al. 2014, FIGURE 9) pourrait également

avoir été causé par un évènement de mésopolyploïdie (WGD) car un tel évènement dans l'histoire du genre Biscutella a été mis en évidence récemment (Geiser et al. 2016). Les évènements d'allopolyploïdie provoqueraient donc la perte de fonctionnalité du système SI et la production de lignées SC évoluant vers l'autogamie, mais dans certains cas, une nouvelle mise en place du système SI (ou l’évolution d'un système SI non homologue) accompagnée néanmoins d'une forte réduction de la diversité allélique au locus S semble possible.