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Développement d’une approche méthodologique pour inférer l’histoire évolutive de la tribu mésopolyploïde des Brassiceae

Dans le premier chapitre de cette thèse, nous avons présenté le développement d’une nouvelle méthodologie permettant d’assigner les homéologues à leur espèce parentale d’origine chez les Brassiceae, afin de construire une phylogénie d’espèces sur laquelle chacune des lignées parentales apparaît. Ce résultat représente une nouveauté par rapports aux méthodes actuellement disponibles qui analysent des données de séquençage à haut débit (Yang and Smith 2014). Notre méthode utilise une base de données contenant l’ensemble des gènes nucléaires retenus à l’état de triplets (une copie présente dans chacun des trois sous- génomes) chez Brassica rapa et Brassica oleracea, à partir de laquelle les copies homéologues des gènes sont assignées à leur espèce parentale d’origine. Il est donc ainsi possible de reconstruire les relations phylogénétiques entre les lignées parentales et l’ensemble des espèces actuelles étudiées. L’avantage de cette méthode réside aussi dans le fait qu’elle fonctionne avec des données aussi lacunaires que les génomes de faible couverture et les assemblages de transcriptomes qui sont par définition incomplets à cause i) de la variation temporelle et tissulaire du taux d’expression des gènes, ii) de phénomènes de « silencing » et iii) de problèmes d’assemblage des reads et/ou de couverture.

Cependant, notre méthode se base entièrement sur l’annotation d’un ou plusieurs génomes de référence (ici Brassica rapa et Brassica oleracea) dont les blocs génomiques ancestraux doivent avoir été correctement assignés à leur sous-génome d’origine (Liu et al. 2014). Nous avons relevé plusieurs discordances entre les différentes annotations indépendantes qui ont été proposées dans la littérature, en fonction des approches utilisées par les auteurs, ce qui suggère de rester prudent quant à nos interprétations. Notamment ces différences d'assignation des copies homéologues sont liées à la manière dont sont traités les éventuels évènements de conversion génique entre copies homéologues (Murat et al. 2015). Toutefois, nous avons trouvé des résultats similaires au niveau de la reconstruction phylogénétique des clades de la tribu des Brassiceae (bien qu'avec des supports de nœuds ancestraux plus faibles), en utilisant uniquement les triplets annotés de façon identique entre deux études distinctes (Liu et al. 2014; Murat et al. 2015). Il pourrait être intéressant de réaliser une étude par simulation numérique du processus d'évolution de sous-génomes après un évènement d'allopolyploïdie, en incluant ou non la possibilité de conversion génique, et

ensuite de tester différentes méthodes de reconstructions phylogénétiques, de manière à tester la robustesse de l'approche proposée.

Résolution de la topologie des clades de la tribu des Brassiceae

Grâce au développement de notre approche méthodologique basée sur la construction d’arbres de gènes homologues visant à inférer les relations d’orthologie, nous avons pu établir la toute première phylogénie nucléaire des différents clades de la tribu des Brassiceae à partir d’un grand nombre de gènes. L’obtention d’une telle phylogénie était particulièrement importante puisque de nombreuses études basées sur des marqueurs chloroplastiques, mitochondriaux, ou nucléaires (ITS) (Warwick and Black 1991; Pradhan et al. 1992; Warwick and Black 1993; Warwick and Black 1994; Warwick and Black 1997; Warwick and Sauder 2005; Hall et al. 2011; Arias and Pires 2012; Willis et al. 2014) ont donné des résultats souvent incongruents. Il est particulièrement rassurant de noter que les phylogénies, au sein des Brassiceae, obtenues pour les trois sous-génomes sont fortement concordantes.

Nous avons aussi dressé une phylogénie d’espèces à partir des régions codantes du génome chloroplastique, dans le but de confronter les topologies nucléaires et chloroplastiques qui se sont avérées être partiellement différentes. Par exemple, nos résultats confirment certains travaux précédents indiquant que la position phylogénétique du genre Raphanus (radis) est distincte entre le génome chloroplastique (co-ségrége avec les espèces du clade Oleracea), et le génome nucléaire (co-ségrége avec les espèces du clade Nigra). Cependant, bien qu’incluant six des huit clades reconnus de Brassiceae, notre analyse n’inclut qu’un faible nombre d’espèces (un à trois représentants par clade). Il serait donc intéressant de conforter nos résultats avec un jeu de données plus conséquent, incorporant divers genres au sein des différents clades de Brassiceae, notamment des genres rapportés comme étant polyphylétiques alors qu’on les pensait monophylétiques (Al-Shehbaz 2012). L’obtention récente de 3 transcriptomes de l’espèce Crambe maritima permettra de rajouter un représentant du clade « Crambe », et donc d’être quasiment exhaustif dans notre échantillonnage des clades de Brassiceae (sept sur les huit).

Evaluation de l’ordre des évènements de polyploïdisation à l’origine des Brassiceae

Selon le modèle d’allohexaploïdie en deux étapes (“two-step model of genome merging”) proposé par Tang et al. (2012) pour la lignée Brassica, les génomes parentaux MF1 et MF2 auraient d’abord fusionné pour donner une lignée tétraploïde qui aurait elle aussi fusionné, après quelques réarrangements génomiques et pertes de gènes dans l'un ou l'autre de ces deux sous-génomes, avec une espèce diploïde apportant le génome LF. Cette hypothèse a

été proposée afin d’expliquer les pertes de gènes et l’expression génique biaisée entre sous- génomes, avec des niveaux d’expression et de rétention de gènes plus élevés retrouvés dans le sous-génome LF (Wang et al. 2011).

Les biais dans les pertes de gènes entre sous-génomes ont été rapportés chez de nombreuses espèces allopolyploïdes et il a été proposé qu’ils soient consécutifs au biais d’expression entre homéologues (« homoeolog expression bias »). Le biais d’expression entre les homéologues peut favoriser («unbalanced homoeolog expression bias ») ou non (« balanced homoeolog expression bias ») l’un des sous-génomes parentaux, et ces deux types de biais d’expression ont été rapportés chez de nombreux allopolyploïdes tels que chez Gossypium (Hu et al. 2015; Rapp et al. 2009; Renny-Byfield et al. 2015; Yang et al. 2006; Yoo et al. 2013; mais voir Zhang et al. 2015), Triticum (Leach et al. 2014; Pfeifer et al. 2014), Zea (Schnable et al. 2011), Tragopogon (Buggs et al. 2010; Koh et al. 2010), Arabidopsis (Chang et al. 2010), Brassica (Cheng et al. 2012, Liu et al. 2014, Parkin et al. 2014), Mimulus (Edger et al. 2017), Spartina (Chelaifa et al. 2010) et le récent allotétraploïde Capsella bursa- pastoris (Douglas et al. 2015). Le biais d’expression équilibré entre homéologues semble être marginalement moins fréquent que le biais déséquilibré chez les allopolyploïdes, mais aucune conclusion formelle ne peut être tirée. Cependant, une étude récente dans le genre Mimulus a montré que la dominance entre sous-génomes, décrite chez l'espèce néohexaploïde M.

peregrinus, était associée à la densité et à la méthylation des éléments transposables dans les

génomes parentaux et non pas à l’ordre des évènements de fusions de génomes (Edger et al. 2017). En effet, les interactions entre les génomes parentaux des allopolyploïdes peuvent induire des changements épigénétiques, comme la méthylation de l'ADN (Chen 2007), et de telles modifications ont été documentées chez de nombreuses plantes (Salmon et al. 2005; Parisod et al. 2009; Song and Chen 2015). De tels changements asymétriques dans les profils de méthylation de l'ADN pourraient expliquer, en tout ou partie, le biais d'expression entre homéologues systématiquement observé chez plusieurs espèces allopolyploïdes. En accord avec cette hypothèse, Woodhouse et al. (2014) ont montré, chez B. rapa, que le sous-génome dominant LF a une densité en éléments transposables plus faible que les sous-génomes MF1 et MF2, ce qui induit des différences de profils de méthylation de l'ADN entre les sous- génomes. Ces résultats suggèreraient donc que les patrons de dominance entre sous-génomes ne fournissent pas d'informations sur la chronologie de la fusion des génomes chez les espèces allopolyploïdes. Il a également été documenté que l’hybridation a un impact plus important sur l’expression des gènes que le doublement du génome (Chelaifa et al. 2010, Ainouche et al. 2012) et que c’est davantage la fusion des génomes que la polyploïdie en tant

que telle qui est responsable des profils non additifs de méthylation (chez Spartina) (Salmon et al. 2005; Parisod et al. 2009). Chez les autopolyploïdes, aucun marquage épigénétique nettement différent n'est attendu en raison de leur mode de formation (impliquant des génomes quasi identiques), ce qui pourrait expliquer l'absence de biais d'expression entre homéologues chez les autopolyploïdes (Garsmeur et al. 2014). Ainsi, la mesure du biais d'expression entre homéologues (par exemple en utilisant des données de transcriptomique) pourrait être un indicateur utile pour déterminer si une espèce polyploïde provient d'auto- ou d’allopolyploïdisation, même si cette approche ne pourrait s’appliquer qu'aux néo- et mésopolyploïdes dont les segments dupliqués peuvent être assignés à des génomes ancestraux spécifiques.

FIGURE 16. Deux scénarios alternatifs d’allohexaploïdie en deux étapes à l’origine de la tribu

des Brassiceae. Le premier scenario (A) correspond au célèbre modèle d’allohexaploïdie en deux étapes (Wang et al. 2011, Tang et al. 2012) : une première hybridation allopolyploïde entre les espèces parentales diploïdes MF1 et MF2 suivie d’une seconde hybridation allopolyploïde entre l’hybride tétraploïde nouvellement formé et l’espèce parentale diploïde LF. Le deuxième scenario (B) correspond à une première hybridation allopolyploïde entre les espèces parentales diploïdes LF et MF2 (ou MF1, scénario non représenté) suivie d’une seconde hybridation allopolyploïde entre l’hybride tétraploïde nouvellement formé et l’espèce parentale diploïde MF1 (ou MF2, scénario non représenté). Dans les deux scénarios ici présentés, les positions phylogénétiques de Sisymbrium et du genre Orychophragmus comme clades sœurs de l’espèce parentale LF correspondent aux résultats originaux obtenus dans la présente étude.

Brassiceae

Sisymbrium

Orychophragmus

Brassiceae

Sisymbrium

Orychophragmus

Extinct MF1 ancestral lineage