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La perte de chance de guérison : élément-clé du dommage subi

Dans le document Les médicaments inutiles (Page 144-147)

484. - Concernant l'usage de médicaments inutiles, les juges reconnaissent l'existence d'un dommage lié à cette consommation lorsque le patient a couru un risque inutile.

485. - Les juges prennent également en compte un autre préjudice, spécifique au droit de la santé : le préjudice de la perte de chance de guérison. L'usage d'un médicament inutile, en plus de faire courir des risques inutiles, fait perdre au patient des chances de guérir.

486. - Le préjudice de la perte de chance de guérison est reconnu par le juge administratif depuis un arrêt Hôpital-Hospice de Voiron du 24 avril 1964298. Ce préjudice peut également être invoqué devant le juge judiciaire299.

487. - Concernant la Cour de cassation, cette solution a été confirmée par un arrêt Faivre du 27 janvier 1974300 qui affirme qu' « un préjudice peut être invoqué du seul fait qu'une chance existait et qu'elle a été perdue ».

Cette jurisprudence repose en fait sur une incertitude scientifique. Il est certes impossible de savoir si en l'absence du traitement litigieux, le patient aurait guéri, mais il est certain que le patient aurait conservé une chance de guérison ou d'amélioration de son état.

488. - Bien entendu, la perte de chance doit avoir été provoquée par une faute et si un médecin a rempli tous ses devoirs et que le patient, malheureusement, ne guérit pas, il n'y aura pas de faute susceptible de justifier sa responsabilité. Il est impossible d'imputer l'absence de guérison aux professionnels de santé puisqu'il n'y a, en la matière, pas d'obligation de résultat. En revanche, l'obligation de moyen sert ici de référentiel.

489. - Afin que le préjudice soit susceptible d'entraîner la responsabilité, la situation doit se présenter comme ceci : il existait, avant le début du traitement, une chance pour le patient de guérir, de garder un état stable ou de voir son état s'améliorer. Le choix de recours à ce traitement repose sur une faute – mauvais diagnostic, traitement inapproprié au diagnostic et donc inutile, traitement connu comme étant inutile ou encore constatation par le médecin de l'inefficacité du traitement sans pour autant qu'il n'aille plus loin dans les investigations – et

298 CE, 24 avr. 1965, Lebon, p. 259, Hôpital-Hospice de Voiron : en l'espèce, le patient a perdu une chance d'éviter une amputation du fait du mauvais fonctionnement su service public hospitalier.

299 Cass. 1re civ., 14 déc. 1965, Bull. 1965, I, n° 707. 300 Cass. 1re civ., 27 janv. 1974, Bull. 1974, I, n° 37.

prive le patient de cette chance. Il faut bien sûr que ce soit ce traitement qui soit à l'origine de la perte de chance et qu'il n'y ait pas de doute sur ce point301.

490. - La modification de l'objet de causalité permet d'engager la responsabilité du médecin pour une erreur qui, si ce régime n'avait pas été créé, serait restée impunie. La victime n'a plus à prouver que son état est consécutif à des soins fautifs, il lui suffit d'établir que la faute l'a privé d'une chance.

491. - Voici un exemple afin d'illustrer l'appréciation de la perte de chance. Cet exemple est relatif à des soins chirurgicaux mais le principe est le même en matière d'administration de médicament.

Par un arrêt en date du 29 juin 1999302, la chambre criminelle de la Haute Cour a engagé la responsabilité de professionnels de santé pour faute ayant causé la perte de chance de survie d'une patiente. En l'espèce, une jeune femme est victime d'un accident de voiture – dont les séquelles sont, avec certitude, étrangères à son décès – et est admise au sein d'un hôpital. Prise en charge rapidement par une équipe soignante, son état semble favorable. Cependant, une dizaine de jours après son admission à l'hôpital et quelques jours seulement après l'amélioration de son état, la patiente présente des épisodes diarrhéiques, des nausées et des maux de ventres inquiétants. Les professionnels de santé s'occupant de la patiente décident alors de pratiquer une laparotomie303 exploratrice. Au cours de cette opération, la patiente est victime d'un arrêt cardiaque d'une dizaine de minutes. Les opérations de réanimation relancent la pompe cardiaque mais les dégâts sur son système nerveux sont irréversibles : la victime est réduite à un état végétatif qui ne peut qu'empirer, au mieux se stabiliser.

La problématique en l'espèce est que la laparotomie n'était absolument pas utile, voire même déconseillée. Les médecins auraient dû - notamment grâce à des radios de leur patiente - si ce n'est déceler le mal dont elle souffrait réellement au moins s'abstenir de cette opération. Les experts sont sur ce point formels : les symptômes observés n'auraient pas dû conduire les professionnels à pratiquer la laparotomie. Cette opération était complétement inutile et l'état de la patiente révélait clairement l'origine de ses symptômes.

La perte de chance est établie par les experts qui affirment que sans cette opération et avec des

301 Cass. 1re civ., 17 nov. 1982, n° 81-13.530. 302 Cass. crim., 29 juin 1999, n° 98-81.326.

303 Laparotomie : ouverture de la paroi abdominale pour accéder chirurgicalement aux organes de l'abdomen ou pour faire des explorations.

soins adaptés, la patiente aurait pu guérir et éviter l'arrêt cardiaque. La faute est également établie ainsi que le lien de causalité qui est certain et direct.

Il est intéressant de préciser que les experts convoqués reconnaissent la bonne foi des chirurgiens dans leur diagnostic et dans leur choix, ceux-ci n'étant pas accoutumés à ce genre de symptômes ni aux soins adaptés à dispenser. Cela n'empêche pourtant pas la Cour de cassation de confirmer l'arrêt de la Cour d'appel qui avait retenu une faute à leur égard. Cela prouve notamment une appréciation stricte par la jurisprudence de l'obligation de sécurité de moyen à la charge des professionnels de santé.

492. - Cependant, malgré la systématisation de la reconnaissance du lien de causalité et la consécration prétorienne de nombreux préjudices différents, il peut arriver qu'aucune faute ne soit reconnue. La victime, en dépit d'un préjudice réel, devrait alors – selon le régime commun – se retrouver sans indemnisation. Cependant, du fait de la gravité des dommages en matière de droit de la santé, il existe des alternatives pour la victime.

Dans le document Les médicaments inutiles (Page 144-147)