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Le lien de causalité

Dans le document Les médicaments inutiles (Page 141-144)

467. - Le lien de causalité est difficile à établir en droit de la santé car il existe souvent une incertitude scientifique (§1). En l'absence de solutions apportées par le législateur, les magistrats ont approfondi leur analyse du lien de causalité (§2).

§1 De l'incertitude du lien de causalité

468. - En principe, lorsqu'une victime souhaite être indemnisée par la personne qu'elle estime responsable de son dommage, elle doit prouver un lien de causalité entre le fait de cette personne et le dommage subi.

Cependant, dans le cas des accidents médicaux ou des incidents iatrogènes, le lien scientifique peut s'avérer incertain et donc impossible à prouver. Lorsque le caractère nocif du produit est reconnu, le lien de causalité juridique coïncide avec la causalité scientifique295. Néanmoins, la plupart du temps la science présente des limites et ne peut identifier avec certitude que le fait litigieux ou le défaut d'un produit est la cause du dommage. En l'absence de disposition légale, la jurisprudence a du se prononcer sur la nature de ce lien de causalité et sur les indices qui permettent de le caractériser.

§2 Les solutions jurisprudentielles

469. - La jurisprudence n'a pas donné de définition unique du lien de causalité en droit de la santé, mais elle a exposé des indications qui reprennent en partie les théories de la causalité.

470. - Il existe deux principales théories afin de déterminer la causalité : la théorie de la cause adéquate et la théorie de l'équivalence des conditions.

295 L. Grynbaum, La certitude du lien de causalité en matière de responsabilité est-elle un leurre dans le contexte d'incertitude de la médecine ? : Recueil Dalloz, 2008, p. 1928.

471. - La première théorie vise à retenir la faute qui est a priori la cause principale du dommage, c'est-à-dire la cause qui a le plus probablement déclenché ce dommage. La seconde théorie vise à prendre en compte toutes les causes possibles ayant concouru à la survenue du dommage et de les considérer comme équivalentes.

472. - En droit de la santé, le juge cherche à systématiser le lien de causalité afin de pallier les insuffisances de la science. En conséquence, il n'existe pas de définition unique du lien de causalité mais plutôt des conceptions variant selon les dommages ou les acteurs concernés. 473. - Le juge a généralement recours à la théorie de l'équivalence des conditions. Cette théorie est parfaitement adéquate à la chaîne du médicament composée de nombreux acteurs. 474. - La Haute Cour a également recours à la théorie de la causalité adéquate en créant des régimes de présomptions de fait au sein desquels la victime doit prouver que la faute invoquée est la cause la plus susceptible d'avoir provoqué le dommage. Du fait de l'incertitude scientifique de la causalité en droit de la santé, cette théorie paraît également appropriée. 475. - En droit de la santé, le juge a en fait recours à ces deux théories. Il fait plus souvent appel à la théorie de la cause adéquate lorsqu'une présomption de fait est nécessaire.

476. - Il existe des présomptions de droit – contamination par le virus du SIDA en raison de transfusion sanguine296 ou par le virus de l'hépatite C – et des présomptions de fait. Ces dernières impliquent la réunion de plusieurs conditions.

477. - Le juge a mis en place un système de présomptions de fait en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Pour ce cas spécifique, le juge estime qu'une présomption – rassemblant des indices tels que l'élimination de toutes autres causes possibles, la coïncidence temporelle de l’apparition du dommage avec l'utilisation du produit – permet de retenir la causalité entre la défectuosité du produit et le dommage. Le droit prétorien a également retenu ce principe de présomption de fait en matière de vaccination contre l'hépatite B et de la maladie de sclérose en plaques qui lui serait imputée.

478. - Il ressort de l'étude de la jurisprudence en la matière que les magistrats ont pris en compte la spécificité de la responsabilité en matière de droit de la santé. Ils ont pour cela instauré un régime protecteur au sein duquel le lien de causalité n'est plus un lien étiologique mais juridique, fondé sur une fiction. Les incertitudes de la science laissent place au tissage

judiciaire, les présomptions se mêlant à la réalité. Le rôle du juge est d'autant plus grand que l'expert scientifique admet son ignorance. Le juge fonde donc en grand partie la responsabilité en droit de la santé sur une présomption grave, précise et concordante.

L'affaire de l'Isoméride

479. - Bien avant l'affaire Mediator, le laboratoire Servier avait déjà sévi et fait parler de lui au travers de la commercialisation, depuis 1985, d'un coupe-faim composé de dexfenfluramine, qui est un dérivé de l’amphétamine. Entre 1995 et 1997, plusieurs études montrant la dangerosité de ce produit qui cause de l'hypertension artérielle pulmonaire, conduisent au retrait de son AMM en 1997. Suite à cela, des victimes ont intenté des procès à l'encontre du laboratoire afin d'engager sa responsabilité, retenue et validée en appel.

480. - Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 24 janvier 2006297 confirme cette solution, et apporte des précisions sur l'appréciation du lien de causalité dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux. La défectuosité du produit est en l'espèce liée au manque d'indication, sur la notice accessible aux patients, des informations concernant la possibilité d'un risque d’hypertension artérielle pulmonaire. 481. - Concernant la conception de la causalité, cet arrêt est extrêmement intéressant. La Cour de cassation soutient la Cour d'appel qui s'est fondée sur des présomptions graves et concordantes pour établir l'imputabilité du médicament dans l'apparition de la maladie, bien que ce médicament n'en soit pas la seule cause – il existait des prédispositions chez la victime. Cela implique que la causalité repose sur des hypothèses fictives et non sur des données scientifiques et que l'on admet qu'une cause directe mais partielle fonde la responsabilité du fait des produits défectueux. La théorie de la cause adéquate est ici retenue puisqu'il n'existe pas d'autre explication à la survenance du dommage.

482. - La nature du dommage est aussi particulière en droit de la santé puisqu'il n'est pas nécessaire qu'un patient subisse réellement un dommage corporel pour être indemnisé.

Section II : La perte de chance de guérison : élément-clé du dommage subi

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