Comme nous l’avons discuté précédemment, la revue de la littérature de permet pas de définir avec certitude une stratégie thérapeutique dans la dépression atypique. Cependant les antidépresseurs IRS, du fait d’une possible équivalence aux IMAO et d’un bon profil de tolérance, sembleraient être les molécules à utiliser en première ligne. Ainsi les recommandations de traitement en première intention de la dépression atypique rejoignent celles des épisodes dépressifs indifférenciés, ce qui est défendu par la recommandation NICE [212].
En revanche en cas d’échec de plusieurs antidépresseurs IRS, l’utilisation d’IMAO pourrait être envisagée en monothérapie, comme suggéré par les collaborateurs du groupe Columbia dans plusieurs revues de la littérature [14, 43, 163, 166]. Le niveau de preuve d’une telle recommandation serait pourtant faible, car les IMAO n’ont jamais été évalués dans la dépression atypique après l’échec de plusieurs lignes de traitements antidépresseurs. De plus comme nous le discutions précédemment les IMAO disponibles
en France n’ont jamais été évalués dans une étude contrôlée (c’est le cas de l’iproniazide), ou n’ont pas prouvé leur supériorité de façon certaine (le cas du moclobémide)[166].
L’association de la présence de symptômes atypiques lors d’un épisode dépressif avec le trouble bipolaire, comme le suggèrent H. Akiskal et F. Benazzi, devrait nous conduire à formuler l’hypothèse que l’utilisation de thymorégulateurs dans le traitement de la dépression atypique pourrait avoir un intérêt. On ne retrouve pas dans la littérature de tentative d’évaluation de l’efficacité du lithium, du valproate, de la carbamazépine ou de la lamotrigine dans la dépression atypique, que ce soit en monothérapie ou en association à un traitement antidépresseur. Une tentative de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse se heurterait à plusieurs obstacles. Tout d’abord les molécules concernées, tout comme celles qui devraient être utilisées dans un groupe contrôle, comme la phénelzine ou la fluoxétine, sont des médicaments commercialisés sous forme générique. L’intérêt commercial des laboratoires pharmaceutiques est faible pour financer la réalisation d’études de bonne qualité méthodologique avec une puissance suffisante pour mettre en évidence un effet. De plus la mesure de la réponse et de la rémission d’un épisode dépressif atypique n’a été réalisée dans les études précédentes que par l’utilisation d’échelles de dépression validées et reconnues mondialement, comme celles d’Hamilton (HDRS) et de Montgomery‐Asberg (MADRS). Or comme nous l’avons observé dans la description de ces échelles, les symptômes de la dépression atypique n’y sont pas assez représentés pour que les scores de sévérité obtenus soient représentatifs de l’état réel du patient. La définition d’une échelle quantitative spécifique de la dépression atypique pourrait être faite en utilisant le questionnaire des symptômes atypiques en complément de l’échelle d’Hamilton (le SIGH‐ADS) et en définissant un indice composite entre le score aux 17 items de l’HDRS et le score aux items supplémentaires des caractéristiques atypiques.
Conclusion générale
Décrite initialement lors de la naissance de la psychopharmacologie[13]au milieu du vingtième siècle, la dépression atypique correspondait alors à un type de dépression différant de la dépression mélancolique par une meilleure réponse aux IMAO qu’à l’imipramine et aux ECT, et où les patients présentaient plus souvent des symptômes d’anxiété et une fatigue. La dépression atypique peut être considérée comme l’une des héritières de l’opposition ancienne entre les deux dépressions, où elle succède au spleen, à la neurasthénie, et à la dépression exogène ou réactive[193]
La dépression atypique est définie actuellement comme un sous‐type de dépression où la réactivité de l’humeur aux événements positifs est conservée. Lors des épisodes les patients peuvent présenter, au contraire de l’insomnie et de l’anorexie des caractéristiques mélancoliques de la dépression, une augmentation du temps de sommeil, de l’appétit et du poids. Une sensation de fatigue physique peut être ressentie, avec une sensation de lourdeur dans les membres, comme s’ils étaient remplis de plomb. En dehors des épisodes dépressifs, les patients peuvent souffrir d’une sensibilité au rejet dans les situations interpersonnelles, qui peut être un facteur précipitant de rechutes ou de récidives dépressives [2, 3, 111].
Les caractéristiques atypiques, dont le nom pourrait faussement laisser penser qu’elles sont rares, sont retrouvées dans 15 à 40% des cas de dépression[14], atteignent majoritairement les femmes ; les épisodes dépressifs atypiques surviennent précocement dans la vie et sont plus souvent chroniques [39]. L’association à un trouble panique avec agoraphobie, ou à une phobie sociale est fréquente[45]. Par rapport aux patients souffrant d’épisodes dépressifs non atypiques on a observé une plus forte prévalence d’antécédents traumatiques dans l’enfance ou l’adolescence[63], sans qu’une association avec l’état de stress post traumatique n’ait été mise en évidence[45]. La dépression atypique n’est pas un trouble bénin, comme en témoigne la fréquence des tentatives de suicide supérieure à celle de la dépression indifférenciée [39, 41].
Les symptômes de la dépression atypique ont été fréquemment retrouvés chez des patients souffrant de trouble bipolaire [213]ce qui doit engager les cliniciens à une analyse rigoureuse de l’anamnèse afin de ne pas rater le diagnostic de bipolarité. La définition du trouble bipolaire utilisée diminuant largement les exigences des critères
diagnostiques[202], le lien entre dépression atypique et bipolarité n’est pas consensuel[14, 43, 44, 214]. L’utilisation de traitements thymorégulateurs pourrait être envisagée dans le traitement de la dépression résistante et de la dépression bipolaire à caractéristiques atypique, en monothérapie ou en association. Il n’y a cependant jamais eu d’évaluation de ces traitements dans cette indication.
Le traitement de référence de la dépression atypique a longtemps été la phénelzine, un antidépresseur de la classe des IMAO[163]. Depuis le développement des IRS dans les années quatre‐vingt, il n’a jamais été possible de démontrer la supériorité des IMAO sur ces antidépresseurs, alors que l’avantage de ces derniers sur les profils de tolérance est indiscutable[215]. Les IRS sont donc recommandés en première intention dans le traitement de la dépression atypique, malgré un niveau de preuve de leur efficacité affaibli par le petit nombre d’essais cliniques, la petite taille des échantillons analysés et souvent l’absence de groupe contrôle[163].
La dépression atypique étant soignée en première intention de la même façon que les autres types de dépressions, son existence dans la nosographie semble maintenant plus utile pour guider des études biologiques de la dépression. L’élucidation de la physiopathologie d’un sous‐type de dépression permettrait possiblement d’identifier de nouveaux moyens thérapeutiques. De plus négliger son intérêt clinique car les IMAO ne sont plus souvent prescrits ne peut pas être une vision à long terme. Dans la stratégie thérapeutique de la dépression résistante, le choix entre l’utilisation d’un antidépresseur tricyclique et d’un IMAO pourrait être éclairé par la recherche de symptômes de la dépression atypique.
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Annexes
1.
Echelle Globale de Fonctionnement (EGF)
ECHELLE D'EVALUATION GLOBALE