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DISCUSSION GÉNÉRALE

C. Perspectives thérapeutiques

Nous l’avons vu, l’identification d’une addiction à l’alimentation chez le sujet obèse a pour enjeu de permettre la mise en place de stratégies thérapeutiques spécifiques, possiblement empruntées au domaine de l’addiction. En ce sens, nous avons développé un protocole de recherche visant à étudier l’intérêt d’une technique de neuromodulation dans la prise en charge, chez le sujet souffrant d’obésité, d’une addiction à l’alimentation. Ce protocole est aujourd’hui en cours de recrutement, avec, à ce jour, 12 sujets inclus.

Plusieurs études en neuro-imagerie fonctionnelle ont permis d’établir un substratum neuroanatomique au processus de craving. Ces travaux mettent notamment en évidence une implication du cortex préfrontal dorsolatéral droit et gauche (DLPFC) dans le craving rattaché à des consommations aussi diverses que celles de tabac (437), de cocaïne (270), d’opiacés (438), d’alcool (439) ou de nourriture (440). Au plan physiopathologique, le rôle modulateur du DLPFC sur les circuits dopaminergiques mésolimbique et mésostriatal rattachés au système de la récompense a également été rapporté (441). Des données récentes en neuroimagerie chez des patients présentant de compulsions alimentaires montrent un déséquilibre dans les circuits préfrontaux et limbiques qui soutiennent la cognition et les aspects liés à la récompense (356,442,443). Par ailleurs, dans une revue de la littérature publiée par notre équipe, il est pointé la participation du DLPFC dans l’impulsivité et son intérêt potentiel en tant que site de neurostimulation (444). Ces données permettent de penser qu’une stimulation de cette zone corticale pourrait avoir des effets — potentiellement thérapeutiques — sur le craving des sujets

Bien que « récemment » remise sur le devant de la scène en tant que méthode de stimulation cérébrale (445), la tDCS est d’utilisation ancienne, puisque la première étude visant à étudier l’effet d’un courant électrique directement appliqué sur une zone corticale remonte à 1937 (446). Dans les pathologies neurologiques et psychiatriques où elle est en cours d’évaluation, la tDCS semble induire des effets thérapeutiques plus intenses et plus durables que la rTMS, en agissant sur la modulation corticale. Ainsi, 10 à 12 séances de tDCS (une à deux séances de 20 minutes/j) appliquées au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral gauche induisent un effet thérapeutique durable sur les épisodes dépressifs majeurs (447).

Le principe de la tDCS consiste à faire passer un courant électrique continu entre deux électrodes salines au travers de la boite crânienne d’un sujet afin d’augmenter ou de diminuer l’excitabilité des zones corticales traversées. L’effet « anodique » de la tDCS a pour action d’augmenter l’excitabilité corticale, alors que l’effet « cathodique » la diminue de façon durable (448). Ces effets anode/cathode seraient médiés par le système glutamatergique et plus particulièrement par les récepteurs NMDA (449), mais d’autres études incriminent la balance Glutamate/GABA, ainsi que la Dopamine (450). Par ailleurs, la tDCS est caractérisée par une totale innocuité, qui n’est pas contestée, et permet donc, contrairement à la rTMS, d’inclure des sujets qui présentent des antécédents de troubles convulsifs (445).

Différentes études ont rapporté une diminution aigüe de l’envie de nourriture à la suite d’une séance de stimulation transcrânienne à courant continu visant à renforcer l’activité du cortex préfrontal dorsolatéral(451–454). Ces articles utilisaient principalement une stimulation du DLPFC avec par contre des latéralisations anodes/cathodes différentes. Les résultats de ces études tendent à montrer une efficacité sur le craving et la capacité d’autorégulation associée.

Le positionnement des électrodes dans le craving reste encore aujourd’hui discuté. Plusieurs études ont évalué les effets de la tDCS sur le craving dans l’addiction. Fregni et son équipe ont réalisé une étude comparant l’application d’une stimulation anodique de 2 mA soit sur le DLPFC gauche ou droit pendant 20 min. Cette stimulation anodique réduit le phénomène

alcooliques, dépendant à la nourriture, des utilisateurs de marijuana et des participants en bonne santé (451–453,455–458). La stimulation par tDCS utilisant une technique dite « bifrontale » avec le positionnement de l’anode en regarde du DLPFC droit et de la cathode en regard du DLPFC gauche semble dont être la modalité la plus efficace sur le craving.

La mise en place de nouvelles approches visant les phénomènes de craving chez les patients souffrant d’obésité est indispensable. Il est donc nécessaire d’adopter des approches innovantes afin de faciliter les changements de comportement conduisant à une perte de poids réussie, comme cela pourrait être le cas avec la tDCS. Ces nouvelles stratégies sont d’autant plus indispensables que le craving est un phénomène clé dans la réussite de la prise en charge des patients souffrant d’obésité, notamment en cas d’addiction à l’alimentation associée. En effet, il a été montré que le degré de craving, évalué à l’aide d’échelles spécifiques, était corrélé au succès de la prise en charge diététique (459). Il a également était montré que ce phénomène de craving bien que diminué par la chirurgie bariatrique, ne redescendait pas jusqu’à un niveau dit « normal » (460). Ainsi, que ce soit avant ou après la prise en charge chirurgicale de l’obésité, la tDCS pourrait s’avérait être un outil indispensable. Il s’agirait alors de développer un outil pour aider au succès de la prise en charge des patients souffrant d’obésité, et ceux-ci, quelle que soit l’étape de cette prise en charge.

Pour cette étude, nous avons fait l’hypothèse qu’une stimulation tDCS diminuera le craving alimentaire chez les sujets souffrant d’obésité. Au total, la facilité de mise en œuvre de la tDCS, son innocuité et son action sur l’excitabilité corticale sont autant de critères concordants qui permettent d’espérer que cette technique sera à même d’offrir un complément, voire une alternative thérapeutique, lors de la prise en charge des patients obèses.

De plus outre l’efficacité clinique attendue nous avons également inclus dans ce protocole des éléments qui nous permettrons de continuer à explorer nos hypothèses de l’implication des mécanismes homéostatiques, hédoniques et cognitifs dans cette pathologie et, nous l’espérons, sa rémission.

Sont donc mesuré :

- Les paramètres morphologiques : Poids, Taille, IMC, Tour de taille, Tension artérielle. - Le degré de dépendances à la nourriture : à l’aide de la Yale food addiction scale - Le nombre de « crises » par semaine : Le nombre des crises sur une semaine sera

recueilli avec un compteur individuel que le sujet actionnera à chaque fois qu’il ressent une envie alimentaire forte associé à un sentiment de perte de contrôle.

- L’humeur des sujets sera évaluée, à chaque visite, au moyen de l’échelle de dépression de Beck — 13 items (Beck Depression Inventory) (462) au début puis à la fin du protocole (à J-3, à J5, M1 et M3). En effet, la tDCS appliquée au DLPFC ayant une influence sur les symptômes thymiques et étant utilisée à des fins thérapeutiques dans la dépression, il apparait nécessaire de contrôler ce paramètre, d’autant plus que la thymie influence également la prise de nourriture

- Dosage biologique : Bilan lipidique, Ghréline, Leptine et prolactine. - Des tâches cognitives :

o La « Balloon Analog Risk Task » (463) : Durant cette tache, les participants doivent faire un choix dans un contexte de risque accru et ambigu. La tâche est composée de 30 essais (ballons). Plus de détails sur la BART sont disponibles dans l’article de Lejuez et al. (463).

o Une tâche de mesure de biais attentionnel avec le dot-probe paradigm. Le paradigme de sondage attentionnel (464). La tâche utilisera des images d’outils (exemple : pince, crayons) et des images en lien avec la nourriture. Les images d’outils seront considérées comme neutres, les images saillantes sont les images en lien avec la nourriture.

o Sont aussi réalisés des tests plus classiques tels que le Stop Signal Task et le Stroop.

Ainsi ce protocole en cours devrait nous permettre de vérifier la validité d’un nouvel outil thérapeutique, mais aussi d’explorer les effets de cette approche sur des marqueurs biologiques et cognitifs impliqués dans ce trouble.