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Perspectives de structuration d’un système de normalisation adapté

Sur la forme, le débat reste mitigé. En effet, pour ce qui est de l’Autorité des Normes Comptables en France, un cadre institutionnel permanent existe et veille sur l’évolution de la norme. Celui-ci est régi par des textes clairs acceptés par tous et qu’aucun autre texte ne peut remettre en cause.

Très récemment, certains États comme la Côte d’Ivoire décident de faire marche arrière par rapport à l’application du SYSCOA révisé, puisque la loi de finance du 18 décembre 2015 portant budget de l’État pour la gestion 2016 demande aux entreprises ivoiriennes de déposer à l’administration fiscale leurs états financiers annuels conformément au droit comptable de l’OHADA, au droit comptable bancaire ou au Code de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA). Beaucoup de difficultés ont suivi la révision du SYSCOA. C’est le cas également avec l’absence de guides d’application consensuels et officiels à la suite de la révision du SYSCOA. On note là une absence de presse et d’une rédaction propres aux organes de normalisation. Ceci ressemble à des phénomènes décrits plus haut à savoir le retrait des États des organes d’intégration ou des risques d’implosion de ces organes par l’apparition manifeste de conflits.

L’épisode récent du SYSCOA révisé a ainsi perturbé plusieurs pays de l’UEMOA qui, après 2 ans d’application du système, ont eu l’impression de revenir en arrière et de s’aligner aux moins développés. Mais désormais, le sens que doit prendre l’amélioration de la normalisation comptable OHADA apparaît clair, et il est possible d’esquisser les conditions de construction d’un normalisateur comptable adapté.

2.4. Perspectives de structuration d’un système de normalisation adapté

Les problèmes qui se trouvent au cœur du processus de normalisation et d’harmonisation comptables dans l’espace OHADA sont apparemment :

- Les conflits d’intérêts dans les structures d’intégration en place, la distinction des compétences entre les organes de normalisation (mal équipé et de faible autorité) et les organes professionnels (d’où viennent exclusivement des initiatives de normalisation, alors que la maîtrise de la méthodologie de la recherche fondamentale pour faire évoluer la norme n’est pas garantie, dans la mesure où ces derniers ne relèvent pas du monde académique). On se retrouve avec une doctrine

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comptable toujours d’origine et d’inspiration française, alors que les phénomènes culturels nationaux contingents particularisent à bien des égards les entreprises locales purement autochtones (Bampoky et Meyssonnier, 2012 ; D’Iribarne, 1989 et 2007 ; Hofstede, 1980 ; Joannides, 2011 ; etc.).

- Le cheminement différent des États et des zones économiques à l’intérieur de l’OHADA. Les pays n’ont pas le même colonisateur et n’ont donc pas la même histoire comptable et des institutions du développement, ni le même modèle d’organisation de ces institutions. Dans quelques pays, on ne trouve que quelques sociétés cotées, la plupart n’en ont pas. L’implantation des big four est très différente selon les pays.

- Le problème de légitimité et de souveraineté des organes de normalisation comptable en place, et de structuration d’un droit évolutif pour le développement et le renforcement des capacités institutionnelles des normalisateurs.

- L’absence d’une presse comptable permanente de l’OHADA pour la rédaction rapide et le renouvellement des guides d’application par rapport aux nécessités constatées et admises d’évolution de la norme.

- Enfin, la structuration d’une Autorité Supranationale de Normalisation Comptable (assortie d’un système garde-fou limitant l’opportunisme de l’ensemble des parties prenantes à la normalisation) forte qui fédère de façon participative les académiques (juristes et comptables), tous les organes professionnels et consultatifs des différents pays membres de l’OHADA. Celle-ci doit venir compléter la cour de l’OHADA. L’Autorité Supranationale de Normalisation doit demeurer un cadre d’initiative de l’amélioration de la norme technique, un cadre de production de la norme sociale pour l’application de la norme technique. Elle peut recevoir des propositions doctrinales d’amélioration de la norme technique et les mettre en études. Tout comme l’ANC en France, l’Autorité Supranationale de Normalisation doit pouvoir ainsi procéder à un appel à projets de recherche en comptabilité sur des thèmes ciblés. Elle doit enfin être légitime et souveraine.

Ces constats laissent donc entrevoir les différentes vertus d’un normalisateur comptable puissant pour l’espace OHADA où les difficultés majeures de normalisation comptable proviennent des conflits d’intérêts institutionnels et de l’autorité des organes

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supranationaux. Au regard des gangrènes précitées sur le processus de normalisation, le normalisateur comptable adapté doit être un normalisateur composite. Il s’agit alors d’un système de normalisation. Ainsi pourrait-on s’accorder sur un certain nombre de propositions :

- Pour maintenir le système comptable OHADA, tant qu’il y aura encore au sein des sous-espaces de l’OHADA des plans comptables ainsi que des organes de normalisation non abrogés de façon expresse et qui sont couverts par des Traités, on se retrouvera face à des barrières dans l’effort d’édification d’un système de normalisation supranational compétent.

- Les différences de cheminement et de développement économique entre les Etats doivent être prises en compte dans la normalisation comptable, de même que les nouvelles réalités économiques relatives aux marchés en place. La solution semble résider dans la confection d’un plan comptable cadre, adaptable suivant les États ou les zones d’intégration économique.

- Les organes de normalisation propres au sous-espace UEMOA devraient être reversés au système OHADA de normalisation. Ces organes, phares et précurseurs de la normalisation comptable en vigueur actuellement dans l’OHADA devraient servir en partie de référence et constituer un tremplin pour bâtir un normalisateur comptable cohérent et harmonieux. Il est évident que sans adhésion totale des États membres à la logique du processus de normalisation à l’échelle de l’OHADA, on se retrouverait avec de grands ensembles économiques assimilables à un colosse aux pieds d’argile.

Conclusion

Les grandes ambitions des pays de l’OHADA se concrétisent par la création de plusieurs organes d’intégration qui disposent d’objectifs parfois contradictoires ou redondants. Il est courant de rencontrer des projets dont la réalisation relève de la compétence de deux institutions sans que les rôles de l’une et l’autre ne soient clairement délimités. Evidemment, cela est, pour la plupart des cas, source de conflits d’intérêts. Les conflits d’intérêts expliquent la léthargie constatée dans le fonctionnement des institutions, et c’est le cas avec l’OHADA. La dimension historique de l’organisation politique, sociale et économique des États a beaucoup pesé sur la dimension institutionnelle de la comptabilité. Il y a plusieurs

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zones économiques constituées par des pays qui n’ont pas le même colonisateur, la même culture, la même histoire de la comptabilité et le même cheminement dans le processus de développement économique et institutionnel. Les implantations industrielles ne sont pas uniformes, de même que les degrés de développement des formations à l’expertise comptable. Par rapport à la comptabilité, les organes intervenant dans la normalisation sont confus dans biens cas, et n’existent pas ou manquent de légitimité et de souveraineté dans d’autres. Ces goulots d’étranglement à grande échelle relèvent d’une absence de méthode dans le fonctionnement et le développement institutionnel.

Certains États comme le Sénégal disposaient de Bureau d’Organisation et de Méthode (BOM) pour pallier la confusion dans la marche d’ensemble des institutions de l’État développeur. Les différents organes conçus pour aller vers la réalisation des objectifs fixés devraient être rangées dans une chaine de compétence de façon à la fois horizontale (en termes de complémentarité) et verticale respectant une hiérarchie qui part du sommet au plus bas niveau d’exécution des tâches. Ce modèle rappelle la chaîne de valeur de Porter (1982) dans le domaine des sciences de gestion, où nous distinguons les activités principales des activités de soutien.

Ensuite, dans l’espace OHADA, certains sous-espaces comme l’UEMOA disposent de systèmes de normalisation compétents non supprimés lors du passage à la normalisation comptable OHADA. Cela montre une autre difficulté de regrouper les grands ensembles (UEMOA, CDEAO, CEMAC, etc.) qui au départ ne sont pas fondés sur des affinités culturelles en même temps linguistiques (notion de cercles concentrés). Il y a, à l’intérieur de l’OHADA, une certaine compétition intercommunautaire.

On note enfin une absence de doctrine comptable d’origine locale. On a plutôt une doctrine africaine d’inspiration française qui est l’œuvre de consultants étrangers et qui ne garantit pas la prise en compte de toutes les spécificités culturelles. La confusion des compétences entre les organes intervenant dans la normalisation comptable bloque l’adaptation de la norme technique par les autochtones. La recherche fondamentale locale n’est non seulement pas active en son sein, mais n’est pas convoquée dans le processus de normalisation même si les enseignants sont parfois associés. En Afrique, l’histoire révèle que la mise en place de la norme technique précède la construction d’un organe de

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normalisation. Le processus de normalisation se révèle alors un peu trop rébarbatif. Il faut un normalisateur unique, légitime au sens de Burlaud et Colasse (2010), souverain, adapté au contexte, et qui résiste aux pressions. Le grand chantier de la normalisation serait l’instauration d’un plan comptable cadre en vue d’éliminer les différences de cheminement institutionnel et de développement économique entre les États, ou d’un plan général avec un cadre conceptuel qui tient compte de toutes les spécificités contextuelles.

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